Au C. François de Neufchâteau, l'un des directeurs de la République française

Auteur(s)

Année de composition

1797-1798 (an VI)

Genre poétique

Description

Mots-clés

Paratexte

Texte

C'est souffrir trop long-tems, Neufchâteau, je t'écris :
Il n'est grandeur ni puissance qui tienne ;
Qu'on me déporte ou qu'on fasse encore pis,
Il faut qu'un pauvre aveugle avec toi s'entretienne.
Dusses-tu te choquer du ton
De ma muse un peu familière,
Je veux aujourd'hui, sans façon,
Te parler comme à mon confrère,
(À mon confrère en Apollon ;
Ceci soit dit sans te déplaire).
Mais passons vite à mon affaire :
Je suis sans bois et sans argent.
Ne vas pas croire, je te prie,
Que ce ne soit qu'une plaisanterie.
Relégué dans un vieux couvent,
Au fond de la cellule où méditait sœur Jeanne,
C'est là que mon esprit profane
A tourné les vers que tu vois ;
Mais, attends que je souffle un moment dans mes doigts ;
Car, devant Dieu, je te le jure,
Pour me chauffer depuis un mois,
Quoique frileux de ma nature,
Je n'ai point usé d'autre bois.
Tu ne me diras pas, j'espère,
« Qu'on ne doit accuser que moi de mon destin,
Et qu'on m'a vu, dans maint brillant jardin,
Me pavaner cette saison dernière ».
Dans ma cellule enseveli,
Je n'ai jamais quitté la place ;
Et, quand j'allais à Tivoli,
C'était toujours dans mon Horace.
Or, Neufchâteau, veux-tu prendre un moyen ?
Il faut, si je te semble un garçon sans reproche,
Que ton grenier au bois devienne un peu le mien,
Ou qu'au moins cet hiver, j'aille tourner ta broche.

 
 

Sources



Œuvres d'Avisse, aveugle, membre de l'Institution des aveugles-travailleurs, Paris, Imprimerie du Musée des Aveugles, 1803, p. 18-19.