Épître au pape

Auteur(s)

Année de composition

1792

Genre poétique

Description

Alexandrins en rimes plates

Mots-clés

Paratexte

Texte

Assistez-moi, grand Dieu, dans ma sainte entreprise ;
Je veux prêcher le Pape, et convertir l'Église. 
De tant de plats sermons j'ai supporté l'ennui !
Je prendrai, si je peux, ma revanche aujourd'hui ; 
Du Cardinal Maury je n'ai pas l'éloquence ; 
Mais je prêche, du moins, d'après ma conscience.

Saint-Père, je remarque avec quelque chagrin, 
Que votre vieux pouvoir penche vers son déclin. 
Aussi vous vous donnez de petits ridicules ; 
Vos brefs signés Royou, vos foudroyantes bulles 
Que l'on respecte à Rome, à Paris font pitié ; 
On n'y craint pas du tout d'être excommunié ; 
On nargue le Saint Siège, et sans aucun scrupule, 
Lorsque vous nous damnez, en public on vous brûle. 

Me sera-t-il permis, en cette extrémité, 
D'oser lever la voix vers votre Sainteté ? 
Je puis la conseiller mieux que le consistoire ; 
Je lui présenterai, pour son bien, pour sa gloire, 
Un projet de bon sens, fait pour être approuvé, 
Et que ses Cardinaux n'eussent jamais trouvé. 

Saint-Père, il faut vous dire à quel point nous en sommes : 
Jadis en les trompant, on gouvernait les hommes ;
Les tems sont bien changés ; le monde s'est instruit ; 
Ce fier Innocent trois, ce Boniface huit ; 
Parlaient au nom de Dieu, sur un ton despotique. 
Prenez un autre style, une autre politique ; 
Et pour que l'Univers écoute votre voix, 
Dites la vérité, pour la première fois.

Oh ! Qu'il ferait beau voir une bulle papale, 
Bien pleine de raison, bien sage, bien morale, 
Où, ne s'expliquant plus en pontife romain, 
Et portant la parole à tout le genre-humain, 
Sa Sainteté dirait : ô mes amis, mes frères, 
On vous a bien trompés, bien conté des chimères ; 
Les prêtres de tout tems, ont eu l'art d'effrayer, 
De mentir, et surtout de se faire payer :

On mettait son argent aux pieds des saints apôtres ; 
Moi, j'ai du droit divin usé comme les autres ; 
J'en demande pardon ; j'en ai quelques remords, 
Et je veux désormais réparer tous mes torts. 

Je ne citerai plus Grégoire ni Basile, 
Ni le mauvais latin de quelque vieux concile, 
Ni l'absurde fatras de l'Épître aux Romains. 
Il est un livre écrit dans le cœur des humains, 
Qu'ils doivent consulter, qui peut seul les instruire, 
De sa lecture enfin suffit pour les conduire ; 
Ce livre est la raison : ses préceptes divins 
Sont loin de ressembler à tous ces dogmes vains, 
Rêves extravagans de cerveaux en délire. 
Deux prêtres peuvent-ils se regarder sans rire ? 
Et les hommes épris de ces illusions, 
Ont pu s'entr'égorger pour leurs religions ! 
Chacun vengeait la sienne : aveuglement extrême ! 
Il n'en existe qu'une, et tous ils ont la même. 
Rien n'en change le fonds, aucun tems, aucun lieu, 
Juifs, Chrétiens, Turcs , Chinois, tous adorent un Dieu, 
Principe intelligent de toute la nature, 
Un Dieu caché pour nous dans une nuit obscure,  
Et de qui la sagesse a su nous éclairer, 
Trop peu pour le comprendre, assez pour l'adorer. 

C'est tout ce que je sais, hélas ! sur ce grand être ; 
En Sorbonne un Docteur prétend le mieux connoître ; 
Et voilà ce que c'est d'avoir lu Saint Thomas ! 
On définit fort bien tout ce qu'on n'entend pas. 
J'ai possédé jadis ce talent très commode ; 
Vous voyez qu'aujourd'hui je change de méthode ;
Je veux, par la clarté, me remettre en (?) 
Il est bon de savoir à-peu-près ce qu'on (?) 

Comme tout l'Univers croit un Dieu qu'il adore, 
À la même morale il se rallie encore ;
Tout coupable en son cœur est d'abord condamné. 
Suivant les argumens du vieux penseur René[1]
Notre âme atteste ainsi son origine sainte, 
Et d'un cachet divin garde l'auguste empreinte ; 
Elle apporte avec soi des principes innés, 
Éternels comme Dieu, dont ils sont émanés. 
L'imagination, brillante aventurière, 
Égara trop souvent René dans sa carrière. 

Locke, à pas plus égaux et moins précipités, 
Par le chemin du doute arrive aux vérités ; 
Ce Locke, qui sonda l'abîme de notre être, 
Ne nous supposa pas instruits avant de naître : 
L'homme n'a rien appris, dit-il, que parles sens ; 
Les objets ont frappé ses organes naissans, 
Et dans l'entendement chaque image tracée 
Compose sa mémoire et devient sa pensée. 

Mais sans chercher comment nous luisent ces clartés, 
Il est, nous le sentons, ils est des vérités 
Que nos premiers regards apperçoivent sans peine, 
Dont le charme séduit, et dont la force entraîne ; 
Homme, qui que tu sois, parle à ton propre cœur ;
Te dit-il d'être ingrat, inhumain, imposteur ? 
N'es-tu pas averti, par une voix secrète, 
Qu'il faut traiter autrui comme on veut qu'il nous traite ?
C'est chez tous les humains la première des lois. 

Je me ruine ici ; je le sais, je le vois ; 
De mon trésor papal je vais tarir la source ; 
Quand je parle raison, je me coupe la bourse ; 
Mais, n'importe ; aussi bien cela touche à sa fin ;
Ceux qui vivaient d'erreurs, s'en vont mourir de faim ; 
La France nous fait tort ; on ne nous croit plus guères ; 
Ne m'en veuillez donc pas, charlatans mes confrères ;
Au point où nous voilà, je puis au monde entier 
Dire notre secret, et gâter le métier. 

Peuples, défiez-vous de tous tant que nous sommes.
La morale est du Ciel ; le dogme vient des hommes. 
Le mensonge se cache à l'ombre des autels, 
Et qui fait parler pieu, veut tromper les mortels. 
Chaque prêtre jaloux d'achalander sa secte, 
Comme envoyé d'en haut, prétend qu'on le respecte : 
Écoutez un Iman, un Bonze, un Capucin : 
Dieu même est avec nous ; nous lisons dans son sein ; 
Il n'a daigné qu'à nous, révéler ses lumières ;
Il répond à nous seuls, n'entend que nos prières ; 
Mes enfans, croyez-nous ou vous serez maudits ; 
Sans nous, vous ne sauriez entrer en Paradis. 
Hélas ! De tous ces fous j'étais le plus risible : 
N'avais-je pas le front de me dire infaillible ? 
Ne prétendais-je pas au pouvoir singulier 
De lier les pécheurs et de les délier ? 

C'est ainsi qu'exploitant l'humaine extravagance, 
Nous savions en tirer fortune, honneurs, puissance, 
Et d'un manteau sacré couvrant nos passions, 
Vendre à deniers comptans les absolutions. 

Parmi tous ces docteurs, qui prendrez-vous pour guide ? 
Décidez en quel lieu la vérité réside ? 
Qui croirez-vous ? Vichnou, Moyse, Mahomet,
Ou l'humble et doux mortel sorti de Nazareth, 
Numa, Confucius, Zoroastre et tant d'autres ? 
Chacun eut ses martyrs, chacun eut ses apôtres ; 
Chacun fit en son tems des miracles fameux, 
Tous certains, tous prouvés par des témoins nombreux. 

Comment marcherez-vous vers le souverain maître ? 
À ces signes douteux pouvez-vous le connaître ;
Faudra-t-il le chercher dans un dédale obscur ? 
Non, non ; iI nous traça le chemin le plus sûr. 

De lui vient la loi sage, universelle, auguste, 
Qui me dit de l'aimer, qui me dit d'être juste,
D'offrir à mon semblable un fraternel appui, 
De chercher mon bonheur dans le bonheur d'autrui,
De faire un peu de bien, s'il est en ma puissance. 
Le crime malgré lui respecte l'innocence ; 
L'hypocrisie en vain affecte un beau dehors ; 
Elle échappe à la peine, et non pas aux remords ;
On hait la trahison, en se servant des traîtres ; 
Socrate condamné meurt victime des prêtres ; 
Cependant ô justice ! ô pouvoir des vertus ! 
On veut être Socrate ; on abhorre Anitus. 

C'est ainsi que partout la morale est la même ; 
C'est ainsi qu'aux humains, l'Être unique et suprême, 
D'interprètes menteurs sans emprunter la voix, 
A su parler lui-même, et révéler ses loix. 

Mais j'entends qu'on me crie : Ô Ciel ! qu'allez-vous faire ?
La superstition au peuple est nécessaire ;
Ne le savez-vous pas ? Ces gueux, ces gens de rien
Sont par leur naturel très peu portés au bien ; 
D'entendre la raison ils sont trop incapables ; 
Il faut leur faire peur de l'Enfer et des Diables ; 
Sans la confession et tout ce qui s'ensuit, 
Votre valet viendrait vous égorger la nuit ; 
Tout paysan bientôt serait antropophage, 
S'il n'allait plus baiser la châsse du village ; 
C'est là le frein du peuple, heureusement pour nous. 

Le peuple, mon ami, n'est pas plus sot que vous ; 
Il sortit votre égal des mains de la nature ; 
N'a-t-il, à votre avis, d'humain que la figure ? 
Au lieu de prendre soin, dès sa jeune saison, 
De gâter son esprit, de fausser sa raison, 
De l'hébéter enfin par des fables grossières, 
Développez en lui ces notions premières, 
De l'humaine raison élémens précieux ; 
Plus près de la nature, il la sentira, mieux ; 
Et vous aurez plus fait qu'en chargeant sa mémoire 
D'impertinens récits qu'il tâche en vain de croire.
N'attendez rien de bien de la stupidité ; 
L'ignorance conduit à la férocité. 

Que l'on m'appelle athée, et qu'on crie au scandale,
Lorsqu'au nom d'un seul Dieu je prêche la morale ; 
Quand je dis aux humains : soyez bons, aimez-vous ;
C'est le père commun que vous adorez tous ; 
Porter le joug des loix, être humain, charitable, 
C'est partout à ses yeux le culte véritable ;
Ce culte doit lui plaire, et nous devons penser
Que ce dieu tôt ou tard sait le récompenser. 

Espoir cher et sacré du faible qu'on opprime, 
Recours de la vertu que foule aux pieds le crime, 
D'une autre vie enfin flatteuse opinion, 
N'êtes-vous qu'une douce et vaine illusion ? 
Peut-être avec Platon un fol orgueil m'enyvre ; 
Mais, j'ose l'avouer, j'espère me survivre, 
Voir d'un monde meilleur le désordre banni, 
La vertu plus heureuse et le crime puni. 
Quelle religion, quel sage, quel sectaire, 
A manqué d'enseigner ce dogme salutaire ? 
II faut le conserver, puisqu'il nous rend meilleurs. 
Errons utilement, s'il nous faut des erreurs. 
Mais voulez-vous toujours, mes frères, mes semblables, 
Pouvant vous accorder, vous battre pour des fables ? 
Qu'importent, mes amis, au Dieu de l'univers, 
Et vos opinions, et vos cultes divers ? 
Ne vous égorgez pas pour sa plus grande gloire ; 
Ce que vous croyez tous est tout ce qu'il faut croire, 
Tout ce qui vient de lui ; mais pour ces visions, 
D'imposteurs ou de fous tristes inventions, 
Ces prétextes sacrés de vengeance et de guerre, 
Je veux, si je le puis, en délivrer la terre ; 
Je l'essairai du moins ; malgré la papauté, 
Je suis homme, et voudrais servir l'humanité. 

Saint-Père, vous voyez à quoi je vous engage ;
J'ose, de la raison, vous prêter le langage ; 
C'est ainsi qu'occupé de vous faire plaisir, 
J'allais, rêvant tout seul, aux heures de loisir : 
Un Pape quelquefois peut écouter un sage ; 
De mes réflexions je vous offre l'hommage. 
Ce n'est ici qu'un plan à ma guise ébauché, 
Qui sans doute a besoin d'être un peu retouché ; 
Consultez là-dessus messieurs vos secrétaires, 
Camerlingues, prélats, greffiers, protonotaires, 
Gens d'esprit ; puissent-ils, faisant un grand effort, 
Avec le sens commun, se mettre enfin d'accord ! 
En excellens effets, cette bulle féconde, 
Vous ferait, croyez-moi, de l'honneur dans le monde ;
Les hommes, abjurant la superstition, 
Disputant de vertu, non de religion, 
Se ralliraient sous vous à la loi naturelle ; 
Votre église serait alors universelle. 

Allons, Saint-Père, allons ; prenez votre parti, 
Ou, sur votre refus, je m'adresse au Muphti.

 

  1. ^ René Descartes.