Épître à Bonaparte, Premier Consul, à l'occasion du concours au Louvre de l'an IX

Auteur(s)

Année de composition

1800-1801 (an IX)

Genre poétique

Description

Alexandrins en rimes plates

Texte

Je chante le Consul illustre par la guerre,
Un héros accompli que l'Europe révère,
Le favori de Mars, et l'appui de l'État.
Ton nom, de ta valeur empruntant son éclat,
A fixé pour jamais les destins de la France
Et donné des ressorts à sa vaste puissance.
Des succès éclatants couronnent tes travaux,
Et l'espoir de la paix vient terminer nos maux.
La fortune t'a fait l'amant de la victoire ;
En sauvant la patrie elle augmente ta gloire.
Que de peuples soumis ont reconnu tes lois,
Et rendent un hommage à d'immortels exploits !
Traversant des États, partout sur ton passage
Leurs sujets dans le cœur ont gravé ton image ;
Amis de tes projets dont les vastes desseins
Décideront du sort du reste des humains.
Tu fais voir aux Français le siècle heureux d'Auguste,
Non pas du triumvir, mais de César le juste
Dont la rare vertu, bannissant la terreur
Qui fit des champs de Rome un spectacle d'horreur,
Généreuse aux vaincus, oubliant les injures,
Ne punit que le crime et les honteux parjures.
L'Égypte et l'Italie admirent le vainqueur
Que le destin choisit pour leur libérateur.
Le monde fatigué par dix ans de souffrances
Fonde sur ta grandeur ses douces espérances.

Dans la vaste contrée où jadis tous les arts
Cultivés par des rois leur servoient de remparts ;
Où la belle Nature, enfantant des prodiges,
De ses secrètes lois nous offre des vestiges ;
Où jamais de zéphir l'agréable fraîcheur
N'adoucit de Phébus l'étouffante chaleur :
Non loin de ces beaux lieux, séjour de Ptolémée
Où triompha César, où succomba Pompée,
Des peuples consternés ont reçu nos guerriers,
Qui dans mille combats couronnés de lauriers,
Joignant à leurs talents une haute vaillance,
Pour de nouveaux exploits s'éloignent de la France ;
Plus grands que ces brigands, ces fiers dévastateurs,
Du trône et de l'autel farouches destructeurs,
Semant partout la mort, la terreur, le pillage,
Amenant avec eux la guerre et l'esclavage.
Ainsi que dans les temps où les prêtres des dieux
Ordonnoient aux mortels en leur montrant les cieux,
D'adorer à genoux le maître du tonnerre,
Immoloient leurs troupeaux pour calmer sa colère ;
De même, de nos jours, des prêtres turbulents,
Pour fonder leur empire en dépit du bon sens,
Réunissant le glaive à leur sainte doctrine,
Ont voulu renverser et la Mecque et Médine ;
Qui, pour planter la croix, et venger un mortel,
Ont fait couler du sang au nom de l'Éternel ;
Et dépeuplant l'Europe et les champs de l'Asie
Se sont couverts de honte et de l'ignominie.
Un peuple magnanime, un heureux conquérant,
Un illustre héros, et illustre savant,
Conçoivent le projet de porter la science
Chez des peuples captifs plongés dans l'ignorance,
Dont le sceptre de fer dans les mains d'un soudan,
Impose à ses sujets le sujet de l'alcoran ;
Voir fleurir près du Nil, sous les murs de Byzance,
Tous les arts cultivés au centre de la France.
L'Égypte, enfin soumise à de nouveaux vainqueurs,
Ne reconnoîtra plus d'indignes oppresseurs.

C'étoit là que la Grèce, en sortant de l'enfance,
De ce peuple éclairé consulta la science,
Maintenant obscurcie, et rebelle à la loi
Qui punit les savants ennemis de la foi,
Il n'en reste plus rien pour sauver sa mémoire
Que d'énormes tombeaux, monuments de sa gloire.

Tous ces vastes projets soumis à ton destin
Feront chérir ton nom par tout le genre humain ;
Des bords de l'Océan jusqu'aux rives du Gange
La juste renommée a chanté tes louanges ;
L'Être qui du néant souleva l'univers
Et fit choix de ton bras pour briser tous les fers
A voulu par ta voix offrir une patrie
Aux peuples vagabonds et d'Afrique, et d'Asie.

Ton génie illustré par d'éclatants succès
A besoin de repos ombragé par la paix.
Dans ces lieux consacrés aux métiers, aux sciences,
Tu vois de nos travaux les richesses immenses ;
Les artistes français offrent à tes regards
Les produits variés et du sol et des arts.
Puisse ce beau spectacle animer l'industrie !
Et honorant l'État enrichir la patrie !
Ta présence en ce jour, pour combler nos désirs,
Rappelle d'autres temps, de précieux souvenirs.
Alors le char de Mars resplendissant de gloire
Fut en berceau des arts changé par la victoire.

L'empire qu'a sur nous le grand nom du vainqueur
Assure le repos conquis par sa valeur.
À ta voix les Français animés d'un beau zèle
Étalent mille objets d'invention nouvelle ;
Et, d'une noble ardeur tout à coup transportés,
Attendent les honneurs aux talents réservés ;
Pour prix de leurs efforts, tous, fiers de ton suffrage,
Sont jaloux d'emporter ce précieux témoignage.
Ces heureux résultats d'un concours solennel
Auront rendu ton nom à jamais immortel.
Réunissant aux arts la vertu héroïque,
Tu fais briller au loin la grande République.
C'est ainsi qu'ont voulu les arrêts du destin
Pour que sa grandeur fût l'ouvrage de ta main.

Tandis que l'univers du couchant à l'aurore
Répétera ton nom pour le redire encore,
Se pourroit-il qu'en France il s'élève une voix,
Un seul mot, un soupir, qui ne fut pas pour toi ?
S'il étoit des humains qui, nourris dans les crimes,
Par de nouveaux malheurs cherchassent des victimes,
Crussent en profiter pour troubler ton repos,
Attrister leur pays par des excès nouveaux ;
Que ceux dont les forfaits épouvantoient la terre
Soient bannis de la France, et boivent l'onde amère !
Ils craignent ton aspect tous ces êtres pervers ;
Qu'ils cherchent leur victime aux antres des enfers !
Le mortel qui préside au salut de l'empire
Saura seul arrêter leur funeste délire,
Rendre nuls leurs efforts, vaincre encore une fois,
Attachant son exemple à la force des lois.

Étouffons à jamais la peur pusillanime :
Minerve de l'égide a recouvert l'abîme ;
Le volcan est fermé, les éléments en paix
Nous laissent à l'abri de tous ces noirs forfaits.

Vous, illustres martyrs ! Victimes immolées !
Dont les vertus chez nous sont encor honorées,
Puissiez-vous contempler du séjour immortel
L'hommage que vous rend un Consul paternel !
Puisse ce grand exemple exciter notre envie !
Il expire en héros qui meurt pour la patrie.
Ma plume se refuse à tracer le remord
Dont les cœurs des bourreaux devroient saigner encor.
Le jour de la vertu, terrible pour les vices,
Est pour l'homme méchant le plus grand des supplices.
Le triste souvenir de ce sombre tableau
Déchirera son cœur jusqu'au bord du tombeau.

Nous voyons près de nous une vaste puissance
Qui fut dans tous les temps rivale de la France :
Fière de ses rochers dont les fronts nébuleux
Semblent braver des mers le domaine orageux ;
Usurpant le trident, et dominant sur l'onde,
Elle invoque l'enfer pour subjuguer le monde
Qui, fatigué de voir Neptune dans les fers,
Lui rendra son trident pour affranchir les mers.

Que faut-il pour saper ce colosse d'argile ?
Protéger l'industrie et la rendre facile.
Les ateliers français sont autant de tombeaux
Où s'ensevelira l'orgueil de nos rivaux.
Le Louvre avec le temps domptera l'Angleterre ;
C'est là qu'il faut livrer une nouvelle guerre.
Nos soldats tisserands, nos tisserands soldats
La puniront un jour pour tous ses attentats.
Quelques ans de repos vaudront pour l'industrie
Plus que lui donnera le sceptre d'Italie.
Nos bornes ont quitté la Sambre pour le Rhin ;
Les Alpes s'abaissant vont chercher l'Apennin :
Tout ce vaste domaine augmentant nos conquêtes
Rendra-t-il le produit de cent mille navettes ?
L'industrie est assez pour vaincre des pervers
Et donner aux mortels la liberté des mers.

Loin de moi le désir d'avoir voulu prétendre,
Ou d'oser deviner ce qu'on peut entreprendre.
Les États de l'Europe et leur postérité
Te devront leur salut et leur sécurité.
J'ai voulu signaler quel genre de conquête
Peut encore obtenir la modeste navette,
Proscrite en tous les lieux par de barbares mains,
L'opprobre des Français, la honte des humains ;
Des tyrans forcenés, des monstres sanguinaires,
Qui furent de tyrans encore tributaires.
Dans les murs de Lyon tout ce qui reste enfoui
Espère de ton bras le tout-puissant appui.
Ayant vu ses débris, surpassant Alexandre,
Tu la fais ressortir du milieu de ses cendres.
Plus grand que ce héros qui faisoit démolir,
Ta gloire te commande à faire rebâtir :
Persépolis encore atteste ce grand crime,
De l'orgueil offensé déplorable victime ;
Quel pays ravagé, quelle famille en pleurs,
T'a jamais appelé l'auteur de ses malheurs ?
La Nature prodigue en formant ta personne
Réunit Titus au vainqueur de Babylone.
Puisse la France entière attirer tes regards !
Voir naître sous tes pas les métiers et les arts !

Assez longtemps le bruit, le fracas de la guerre,
Annonçant la victoire, ont fait trembler la terre ;
Les champs, les ateliers redemandent les bras
Que le dieu de la guerre a sauvé du trépas.
Renfermons dans l'Etna le tonnerre et la foudre ;
Que l'attirail guerrier soit tout réduit en poudre !
La discorde enchaînée, et l'univers en paix,
Attesteront le prix de ces rares bienfaits.
Les mortels oubliant des haines révoltantes
Respecteront des lois sages et bienfaisantes.

Avant que du printemps le bel astre du jour
Dans son char de vermeil amène le retour,
Puisse s'anéantir le flambeau de la guerre !
S'asseoir notre grandeur sans perdre l'Angleterre !
Qu'il soit permis de voir les plus heureux succès
Couronner nos efforts, et tes vastes projets !
Quand Carthage est tombée, et Rome et sa puissance
N'ont pas pu retarder leur triste décadence.
Carthage obéissant à la loi du vainqueur,
L'excès de son orgueil a causé son malheur.
Leur commune existence au même sort soumise,
Rome trembloit déjà Carthage étant conquise.
Que deux peuples jaloux, que deux peuples rivaux,
Jouissent de la paix au sein d'un doux repos !
Le monde se livrant à la douce tendresse,
L'airain ne rendra plus que des sons d'allégresse.
Puisse l'Europe entière en t'appelant vainqueur,
Te nommer son héros et pacificateur !

 
 

Sources

BNF, 8 Ye 4710.