Fragment d'un hymne

Auteur(s)

Année de composition

1793

Genre poétique

Description

Dizains d'octosyllabes

Texte

Fragment d'un hymne contenu dans De la poésie, considérée dans ses rapports avec l'éducation nationale (discours du 10 janvier 1793)

« Souvenir de Sparte et d'Athènes
Disparoissez : la France naît.
Terre, apprends à rompre tes chaînes !
Tyrans, écoutez votre arrêt !
Le François a dit : Je suis libre.
Trônes de la Seine et du Tibre
Tombez. Ils tombent à sa voix.
Plus bruyante que le tonnerre,
Leur chute prédit à la terre
La chute prochaine des rois.

François, achève ton ouvrage !
Attaque ces faux demi-dieux.
Montre à l'homme, que l'on outrage,
Ses droits ; qu'il ouvre enfin les yeux.
C'est peu d'avoir ravi la France
Aux préjugés, à l'ignorance ;
Délivres-en tout l'univers.
Prends ta course, soleil du monde,
Et dissipe la nuit profonde
Qui retient l'homme dans les fers.

Que crains-tu des foibles armées,
Et de Brunswick et de François ?
Tous leurs géans[sic] sont des Pygmées
Près d'un peuple ennemi des rois.
Marche vers eux d'un pas rapide
Tu verras ce troupeau timide
S'enfuir à ton premier élan.
Avance ! Au Belge qui t'implore,
Porte le drapeau tricolore
Qui déjà pare le Mont-Blanc. »

Ainsi, dans des jours d'allégresse,
Je parlois à nos fiers guerriers,
À ces héros de qui la Grèce
Auroit envié les lauriers.
Alors par les clameurs impies,
Des plus atroces calomnies
Nos cœurs étoient moins abattus ;
Alors on espéroit encore,
Chaque jour on voyoit éclore
Le germe de quelques vertus.

Maintenant nos tristes journées
S'usent en sinistres débats.
Les vertus se sont cantonnées
Avec nos généreux soldats.
Braves défenseurs de Thionville,
Valeureux habitans de Lille,
Du Sénat détournez les yeux !
Vous n'y verriez plus qu'une arène
Ouverte aux fureurs, à la haine
Des intrigans, des factieux.

Vous y verriez les loix bravées,
L'anarchiste au front insolent,
Et des tribunes dépravées
Toujours plus avides de sang.
La raison réduite au silence,
L'anxiété, la turbulence,
L'avilissement, les partis,
La tyrannie au lieu du zèle ;
Une minorité rebelle,
Les droits de l'homme anéantis.

Paris aussi semble un repaire
De brigands et de factieux,
Au sein duquel on ne prospère
Que par des cris séditieux.
La vertu craintive, éplorée,
Fuit la multitude égarée,
Le trouble est dans tous les esprits ;
On excite au meurtre, on menace,
Sur des tréteaux, dans chaque place,
Dans les clubs et dans les écrits.

Héros de Jemmapes et de Spire,
Qu'attendez-vous de vos exploits ?
Comment soutiendrez-vous l'empire ?
La violence fait les loix ;
On n'écoute que son caprice ;
Plus de règle, plus de justice,
Chacun s'érige en tribunal.
Il n'est pas jusqu'à la pensée
Qui ne tremble d'être abaissée
Sous le sceptre municipalLe représentant du peuple Charles Villette venoit d'être mandé à la barre de la commune, sur le réquisitoire de Chaumette, pour un article qu'il avoit inséré dans la Chronique de Paris.
Ô honte ! Ô ma chère patrie !
Quel homme, sans verser des pleurs,
Pourroit voir ta gloire flétrie
Par un ramas d'hommes sans mœurs ?
Lève-toi ! Ce sont là les traîtres.
Sur le front de tes nouveaux maîtres,
De l'opprobre imprime le sceau.
Rends tous leurs efforts inutiles ;
Saisis, étouffe ces reptiles
Qui t'attaquent dans ton berceau.

Mais quoi ! Des rives de la Loire,
N'entends-je pas les habitans ?
Paris a menacé leur gloire
Dans celle des représentans…
Ils viendront… Le mépris, l'insulte,
La méfiance et le tumulte,
Fuiront loin des législateurs.
Trop long-tems séduit par le crime,
Le peuple enfin verra l'abyme,
Où le plongeoient ses vils flatteurs.

Peuple qu'enchaîne l'ignorance,
Au Sénat rends sa dignité ;
Demain régneront l'abondance,
La concorde et l'égalité.
Le désordre a-t-il tant de charmes ?
Aimes-tu le bruit, les alarmes ?
N'as-tu donc pas assez souffert ?
Ne voudras-tu jamais qu'en France
On voie luire l'espérance
Du calme heureux qui t'est offert ?

Bon peuple qu'on eut tant de peine
À détourner du doux penchant,
Qui vers l'ordre toujours entraîne
Quiconque n'est pas né méchant ;
On te fait voir un subterfuge,
Dans la sage lenteur du juge
Qui va condamner ton tyran !…
Ah ! Tremble… On veut, par les ténèbres,
Te ramener aux jours funèbres
Où Paris nagea dans le sang.

Non. Les vainqueurs des Tuileries
Ne souilleront plus leurs lauriers.
Allez, agitateurs impies,
Cherchez ailleurs des meurtriers !
Quelque châtiment qu'on applique
À ce roi fourbe et fanatique,
Son arrêt sera respecté.
Malgré vos projets, vos querelles,
À la loi toujours plus fidèles,
Nous sauverons la liberté.

J'en atteste l'heureux génie
Qui la défendit tant de fois,
Contre la triple tyrannie
Des nobles, des prêtres, des rois.
Malgré l'Autriche et l'Italie,
Et la Prusse et la Westphalie,
Et cent autres confédérés,
Tu survivras, ô République !
Tu vaincras le monstre anarchique
Qui protège ces conjurés.

Tu survivras, ou la cabale
Qui nous forge de nouveaux fers,
Par quelque manœuvre infernale
Étonnera tout l'univers.
Tu vaincras, ou la France entière
Ne sera plus qu'un cimetière
Où dix ou douze factieux,
Courbés sous le poids de leurs crimes,
Attendront près de leurs victimes
La lente justice des cieux.

 
 

Sources

BNF, Le38 2579 (De la poésie, considérée dans ses rapports avec l'éducation nationale, Paris, Imprimerie nationale, an II, p. 9-14).