Franklin, législateur du Nouveau Monde

Auteur(s)

Année de composition

1792

Genre poétique

Description

Alexandrins en rimes plates

Texte

Aux champs de l'Amérique où la philosophie,
Vengea des Nations la Majesté flétrie,
Des hommes orgueilleux de recouvrer leurs droits,
Du vertueux Franklin suivaient en paix les lois.
Leurs mains avoient brisé les fers de l'esclavage,
Leurs vertus rappelaient les mœurs du premier âge ;
Leur terre était fertile, et l'astre des saisons
Couvrait leurs prés de fleurs, et leurs champs de moissons.
Révéré comme un sage et chéri comme un père,
Franklin pour ces climats fut un Dieu tutélaire.
Par lui l'infortuné bénissait son destin,
Et des larmes coulaient au seul nom de Franklin.

Mais le ciel est jaloux du bonheur de la terre ;
Franklin touche bientôt à son heure dernière ;
Et l'ami des vertus et de l'humanité,
Se réunit au sein de la divinité.
Quand la faux de la mort s'abattit sur sa tête,
Comme un roc insensible aux coups de la tempête,
Franklin vit sans effroi l'appareil du trépas ;
Le sage attend la mort, mais il ne la craint pas.
De ses amis en pleurs il calmait les alarmes ;
Mes amis, disait-il, pourquoi verser des larmes ?
Franklin dans le tombeau porte un cœur vertueux…
J'ai bravé les tyrans et leurs complots affreux ;
Sans crainte, sans remords, j'abandonne la vie ;
Je puis dire à mon Dieu, j'ai servi ma patrie.

La mort à ce discours le frappe de ses traits,
II tombe, et tout un peuple heureux, par ses bienfaits,
Au milieu des cités, dans les déserts sauvages
Pleure l'ami du monde et l'exemple des sages.

Non loin du Patowac dont le lit tortueux 
Roule du haut des monts ses îlots impétueux,
Est un vallon désert dont le séjour tranquille
Des ombres de la nuit est l'éternel asile ;
Là, s'élève un autel simple et majestueux
Où la tendre amitié vient adresser ses vœux
La cendre de Franklin par la flamme épurée,
Repose sur l'autel dans une urne sacrée.
Et ses nombreux amis à l'ombre des cyprès
Viennent verser des pleurs et chanter ses bienfaits.

Adams cher à Franklin et rival de sa gloire,
Vient rendre sur sa tombe hommage à sa mémoire,
Ce vieillard vers l'autel marche à pas chancelants
Et l'écho porte au loin ses longs gémissements.
La vertu dont l'éclat brille sur son visage ;
D'un sage qui n'est plus rappelle encor l'image.

« Le ciel vient de ravir à nos vœux impuissants
Franklin l'ami du peuple et l'effroi des tyrans.
Des cris sont répétés et portés sur les ondes,
Le deuil de son trépas s'étend sur les deux mondes ;
Tous les cœurs sont remplis d'une sombre douleur,
Et l'univers entier pleure son bienfaiteur.
Placé loin des grandeurs que le vulgaire encense,
Sa vertu répara les torts de sa naissance ;
Il fut grand sans éclat et noble sans aïeux ;
Le hasard fit les rois, la vertu fit les dieux.
Au milieu des travaux d'une jeunesse obscure,
II vécut malheureux et souffrit sans murmure ;
Mais à la fin vainqueur du sort injurieux,
À force de vertus il se rendit fameux.
Tel on voit le soleil après de longs orages
Rassembler ses rayons et percer les nuages,
Vainqueur de la tempête et de l'obscurité
II remplit l'univers de sa vive clarté.

L'Angleterre à ses lois enchaînait l'Amérique,
Et courbés sous le poids d'un sceptre tyrannique,
Nous fûmes avilis, proscrits et méprisés,
Franklin paraît, il parle, et nos fers sont brisés.
Washington, La Fayette, animés par la gloire
Combattaient nos tyrans aux champs de la victoire,
Et Franklin des abus sage réformateur,
Éclairait l'Amérique et combattait l'erreur ;
Dans le code immortel dicté par sa sagesse
Le peuple retrouva ses titres de noblesse,
Chaque homme y reconnut ses devoirs et ses droits ;
Ô peuple fortuné dont il forma les lois !
Il t'apprit le secret d'éviter l'indigence,
De conserver la paix avec l'indépendance,
De trouver le bonheur pour prix de tes travaux,
Et d'être heureux et riche en payant les impôtsLa science du bon-homme Richard.
Au sein de la tempête il puisa ce fluide
Qui sillonne les airs de sa clarté rapide,
Et porté sur le char de l'aigle impérieux,
Son génie enchaîna la foudre dans les cieux.
Bienfaiteur des humains il préserva la terre
Du sceptre des tyrans et des coups du tonnerre.
Pleurons tous sur la mort du plus grand des humains ;
Sur sa tombe sacrée invoquons les destins ;
Jurons par ses vertus, par sa cendre chérie ;
D'aimer l'humanité, de servir la patrie ;
Qu'on dise : de Franklin ils ont rempli les vœux,
Le peuple le plus libre, est le plus vertueux. »

Ces mots sont répétés de rivage en rivage,
L'Amérique à Franklin rend un dernier hommage,
Et chantant les vertus de cet homme immortel,
Le peuple avec respect s'incline vers l'autel.
Le ciel semble applaudir à ses accents funèbres,
Un jour plus éclatant chasse au loin les ténèbres,
Et le soleil soumis à de nouvelles lois,
Brille sous les cyprès pour la première fois.
Le zéphyr mollement agitait le feuillage,
Quand tout-à-coup porté sur un brillant nuage,
Franklin descend des cieux : son front était serein,
Comme l'air du printemps et le ciel du matin ;
Tel qu'un astre de feu qui brille en sa carrière,
Il laissait après lui des traces de lumière,
Sa voix était semblable aux sons doux et flatteurs,
Du zéphyr qui murmure en caressant les fleurs.

« Les vertus m'ont conduit aux célestes demeures,
Là, sur des ailes d'or, le temps porte les heures,
L'homme y repose au sein d'un dieu plein de bonté,
Ami de la justice et de la liberté ;
Là, j'ai vu les Solon et les héros du Tibre,
Réunir tous leurs vœux aux vœux d'un peuple libre,
Jaloux de la grandeur du peuple américain,
Caton n'est plus si fier d'avoir été romain.
Appui trop révéré des lois du despotisme,
La superstition, l'horrible fanatisme,
Teints du sang des mortels que l'erreur a séduits,
Rentrent dans les enfers dont ils étaient sortis.
L'âge de fer expire, et l'âge d'or commerce ;
Le monde reprendra son antique innocence ;
Auguste liberté, tout fléchit sous ta loi ;
Les sceptres, des tyrans se brisent devant toi ;
Tout prend sous ton empire une forme nouvelle ;
Le soleil est plus pur, la nature est plus belle,
Et le ciel sur la terre à la voix descendu,
Rend le peuple au bonheur et l'homme à la vertu. »

Ainsi parla Franklin, et son ombre adorée,
S'envole avec l'éclair dans la voûte azurée,
Éblouis par l'éclat qu'il répand dans les cieux,
Le peuple se prosterne et détourne les yeux ;
Les cyprès sur l'autel se courbent en guirlandes ;
La cendre de Franklin est couverte d'offrandes,
Le pauvre offre des vœux, la bergère des fleurs,
L'esclave offre ses fers, et tous versent des pleurs.