Aux mânes de l'Ami du peuple
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Texte
Marat n'est plus ! La mort, jalouse de sa gloire,
La mort vient l'attaquer au temple de mémoire ;
Nos jours, d'un nouveau deuil deviennent plus couverts.
On n'entend qu'un seul cri s'élancer dans les airs :
Tout se tait ; l'intérêt, l'amour et la Nature :
On ne voit que Marat… Sa funeste aventure…
Amis, concitoyens, dressons-lui des autels ;
Portons-lui notre encens, nos regrets solemnels ;
Ses vertus, son génie ont soutenu la France ;
Éternisons, pour lui, notre reconnaissance.
Un voile de douleur couvre Paris entier ;
La pâleur sur le front, guidé par le danger,
On se demande ; eh bien, Marat perd donc la vie !
Ses jours sont en péril ; l'espérance est bannie.
Un monstre… Un glaive… Arrête. Ah ! Nous sommes perdus ;
Il est prêt d'expirer ; il expire ! Il n'est plus !…
Il n'est plus !… Ce cri meurt dans un vaste silence.
Ah ! Pour vous, quelle perte ! Ô république ! Ô France !
Comment la réparer ? David, saisis les traits
De ce nouveau Caton, l'ornement des Français…
Il n'est déjà plus temps ; elle vole, s'écrie ;
Elle tombe à ses pieds ; dieux ! De quel sang rougie !
Sous la tristesse enfin, sans cesse succombant,
Elle tend une main à son père expirant.
Quand la terreur accourt sur sa trace sanglante,
Quand tout ce qui l'entoure est saisi d'épouvante,
Marat seul est tranquille, écarte la frayeur :
La mort, en lui, contemple un grand législateur.
À travers les sanglots, Nature ! Quelle image !
L'amour du peuple enfin, s'ouvre un libre passage.
« Un monstre, ô notre ami, vous a percé de coups ;
Par vous seul vous vivons, et vous mourez pour nous.
– Vivez libre, il suffit, je ne suis point à plaindre ;
Je suis heureux, Français, en ce moment dernier. »
C'est ainsi que Marat se montrait tout entier.
Il ne peut achever ; sa maison en allarmes,
La patrie à ses pieds qu'elle inonde de larmes,
Le Français égaré, gémissant, hors de lui,
Et ne pouvant que dire : ô père ! Ô tendre ami !
Ah ! Barbare, une ville éperdue, éplorée,
À la douleur, au trouble, à la terreur livrée,
Des sanglots étouffés, de longs gémissemens,
Des cris, le désespoir qui croît à tous momens,
Les remords déchirans, l'apareil des supplices,
Suspendus sur ta tête et sur tous tes complices,
N'étonnent point tes sens dans le crime affermis.
Enfer ! Là, tu vois l'homme, et tu t'en applaudis.
Ô Marat, mon ami, dont j'adore la cendre,
Des coups d'un assassin, tu n'as pu te défendre !
Tu me vois, à tes pieds, pénétré de douleurs.
Permets-moi d'arroser tes mânes de tes pleurs.
Tes vertus, tes talens, gravés dans ma mémoire,
M'ont fait jadis mêler des lauriers à ta gloire ;
Si les fleurs, dont je veux accabler ton tombeau,
Peuvent charmer ton ombre, ô bienfaiteur nouveau !
Mon maître ! Mon ami ! Sans regretter la vie,
Oui, je puis, comme toi, mourir pour ma patrie.