Réclamation de la main gauche, adressée à la main droite

Auteur(s)

Année de composition

1800

Genre poétique

Description

Huitains d'octosyllabes en rimes croisées

Mots-clés

Musique

Paratexte

Texte

Air : Pour vous je vais me décider

La Nature, sage en ses lois,
Nous forma pour agir ensemble ;
Comme vous n'ai-je pas cinq doigts ?
Sur tous les points je vous ressemble.
Moins active que vous, ma sœur,
J'ai peut-être un peu moins de grâce ;
Mais je vous égale en blancheur,
En finesse je vous surpasse.

Reçoit-on un billet bien doux,
Et sans se voir veut-on s'entendre ?
Il faut y répondre, et c'est vous
Que l'on charge d'un soin si tendre.
Que l'on soit réconcilié,
Et qu'à l'ami, l'ami pardonne,
Soudain, en gage d'amitié,
C'est la main droite qu'on se donne.

« Secourez-vous le genre humain ?
Que toujours la main gauche ignore
Ce qu'aura donné l'autre main » ;
(A dit un sage que j'honore).
En cela, je cède à mon sort ;
Mais ma plus cruelle souffrance,
C'est que vous m'enleviez encor
Jusqu'aux actes de bienfaisance.

Aux jeux d'adresse, quelquefois,
Vous vous exercez avec grâce ;
Une fleur se peint sous vos doigts,
Sous vos doigts, l'aiguille la trace.
Vous cultivez mille talents
Que l'on se plut à me défendre ;
Vous savez tout… et nos parents
Ne m'ont jamais rien fait apprendre.

Je suis gauche ; et, de bonne foi,
Suis-je, en naissant plus mal adroite ?
Vous priserait-on plus que moi,
Si vous n'aviez pas pris la droite ?
Chacune a son poste arrêté,
Voilà toute la différence ;
Ayant le cœur de mon côté,
Je dois emporter la balance.

Je suis bonne, et quand vous souffrez,
De grand cœur je fais votre ouvrage ;
D'abord mal, et puis par degrés
Je m'habitue et m'encourage.
Sur moi, vous le savez, ma sœur,
Sans cesse l'on jase et l'on glose ;
Qu'importe, si dans le malheur,
On sent que je vaux quelque chose.

 
 

Sources

Almanach des Muses pour l'an IX de la République française, ou Choix des poésies fugitives de 1800, Paris, Louis, an IX, p. 255-256.