Tableau du retour d'un soldat dans ses foyers
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France réjouis-toi ! Bienheureuse patrie !
Tu vois rentrer enfin tes illustres enfans.
Vous bardes que chérit le dieu de l'harmonie,
Réunissez vos voix et commencez vos chants :
Dites de nos héros les exploits éclatans !
Heureux ! Si ma lyre timide
Pouvait rendre quelques accords ;
Mais privé du Dieu qui vous guide,
Ma voix fera de vains efforts.
Lorsque témoins de leur courage
Par-tout vous suivez nos guerriers ;
Lorsque sur le champ du carnage
Vous leur partagez des lauriers ;
Je veux loin des cris de Bellonne,
Les ramener dans leurs foyers,
Et leur tresser une couronne
D'épis, de myrte et d'oliviers :
Acceptez-la, héros, c'est la paix qui la donne.
Déjà, nos bataillons vainqueurs
Chargés de dépouilles guerrières ,
À la voix de la paix, sous leurs toits protecteurs,
Ramenaient d'illustres bannières.
Les dignes fils du laboureur
Prennent le chemin des campagnes ;
Ils vont retrouver le bonheur,
Et des parens et des compagnes.
Alexis, l'un de nos héros,
Entrevoit de loin son village ;
Il quitte à regret ses drapeaux
Et ses compagnons de voyage.
Unis par les mêmes travaux,
Ils ont en la même constance ;
Plaisirs, revers, peines d'absence,
Tout entre eux était de moitié :
Lorsque la guerre nous rassemble,
Les dangers qu'on éprouve ensemble
Serrent les nœuds de l'amitié.
Il a fait ses adieux. – Les yeux mouillés de larmes
II a pris le chemin de ses paisibles champs ;
Il ne s'aperçoit plus du fardeau de ses armes.
Son oreille formée aux tumulte des camps,
Au son de la trompette, à la voix des alarmes,
Au cliquetis du fer, aux cris des combattans,
Du silence des bois goûte enfin tous les charmes.
Il fredonne en marchant cet hymne belliqueux
Si cher aux enfant de la gloire ;
L'écho redit le chant heureux
Qui fut pour les Français le cri de la victoire.
Il s'arrête dans un vallon,
Près d'un tremble qui l'a vu naître.
Ses yeux ont eu d'abord peine à le reconnaître ;
Attendri, le héros interrompt sa chanson.
De là, contemplant la Nature,
Avec plaisir il voit les lieux
Jadis les témoins de ses jeux :
Ici, c'est on ruisseau coulant sur la verdure ;
Là, d'un jeune bosquet, les flexibles rameaux ;
Plus loin sont d'antiques ormeaux
Dont il osa dans son jeune âge,
Outrager le discret feuillage,
Afin d'y dérober les petits des oiseaux.
Il découvre aussi son village.
Il voit du vieux château l'irrégulier donjon,
Le clocher délabré de l'église gothique ;
Il voit enfin son toit rustique,
Et l'obscure vapeur qui noircit l'horizon,
Au moment qu'elle échappe au foyer domestique.
Saisi, transporté de plaisir,
Il ne peut contenir sa trop vive allégresse,
Son cœur palpite du désir.
D'embrasser à l'instant son père et sa maîtresse.
Il marche avec effort et court sans le vouloir,
Son pas précipité lui paraît lent encore.
Dans son trouble, il croit déjà voir
Ses vertueux parens, et celle qu'il adore.
Des voisins de son père il entendait les chants,
L'astre du jour unissait sa carrière.
Les laboureurs chargés de nobles instrumens,
Regagnaient à pas lents leur paisible chaumière ;
Il les reconnaît tous et les nomme en passant.
Tandis qu'il leur parlait, un ami plus bruyant,
Par des bonds redoublés tout à coup fend la presse,
Va, court, saute, s'enfuit après chaque caresse,
Et revient à ses pieds les lécher en hurlant.
Notre Alexis revoit son compagnon d'enfance,
Son dogue courageux, son fidelle Dragon,
La terreur des renards et des loups du canton.
Il quitte ses amis et son chien le devance.
Son père alors assis au frais,
Environné de sa famille,
De ses petits enfans, d'Élise et de sa fille,
Formait sur Alexis les plus tendres projets.
On avait annoncé la paix.
« Mon fils, leur disait-il, pourra revoir sa mère :
Il pourra me fermer les yeux :
Calmez-vous, chers enfans, son retour glorieux
Va bientôt réjouir son amante et son père.
Il s'élève un grand cri : C'est lui ! C'est Alexis !
Quel pinceau nous rendra cette douce allégresse :
Le plus touchant désordre agite les esprits.
Chacun dans la maison autour de lui s'empresse,
Sa sœur l'a dégagé d'un utile fardeau,
Ses deux petits neveux unissant leur adresse
Veulent du baudrier détacher un anneau :
Le vieillard oubliant sa marche trop pesante,
Muni d'un large broc, s'achemine an caveau ;
Enfin, la mère en fleurs, de sa main défaillante
Prend la main de ton fils et finit le tableau.
Après quelques momens, chacun le considère ;
On ne fixe sur lui que des yeux satisfaits ;
Mais on a cependant quelque critique à faire :
On en veut au soleil d'avoir bruni ses traits.
Le vieillard tout joyeux, s'aperçoit au contraire
Que son œil est plus vif, son maintien plus sévère,
Que dans ses mouvemens, fortement prononcés,
Des muscles vigoureux sont partout annoncés.
Élise ne dit rien ; on juge son silence :
Un amant de retour est beau de sa présence !
On se presse, on t'agite encore autour de lui :
L'un veut lui parler bas, l'autre l'entraîne ici.
La mère, d'un regard où la tendresse brille,
Lui montre six gâteaux,
Présens que chaque année aux banquets de famille,
Les parens réunis réservaient au héros.
Cet hommage de la tendresse,
Si précieux aux bonnes gens,
Prouve que dans leur allégresse
Ils n'ont jamais oublié les absens.
Mais la sœur interrompt la mère,
Et donne aussitôt à son frère
Du chanvre le plus fin deux tissus différens.
Ces dons, lui dit la sœur , sont d'une main bien chère.
Sur Élise chacun porte des yeux malins :
Notre belle rougit, et baissant la paupière,
C'est, dit-elle en tremblant, l'ouvrage de mes mains.
Un doux baiser devint sa récompense.
Le bon père en riant, applaudit à son fils.
Si par ces deux tissus chéris,
Élise à son amant sut prouver sa constance,
Elle en dut recueillir le prix.
Le calme suit enfin un accueil aussi tendre :
À conter ses exploits on invite Alexis,
Alors chacun jaloux d'écouter ses récits,
Assis auprès de lui, se dispose à l'entendre.
Dragon, le bon Dragon, le meilleur des amis,
Dédaignant ce jour-là les enfans du logis,
Semble du voyageur écouter les merveilles ;
Sans façon, il se place entre ses deux genoux :
Grave, silencieux, et dressant ses oreilles,
Près du vaste foyer, figure ainsi qu'eux tous.
Notre héros de la main le caresse…
Mais de nouveau chacun le presse
De dire ses heureux travaux :
Cet illustre soldat raconte en peu de mots
Mille combats encor présens à sa mémoire.
Sans emprunter de l'art le brillant coloris.
Par le simple tableau de ses derniers périls,
L'orateur fait pâlir le timide auditoire.
Le plus âgé des deux enfans,
Malgré l'essor d'une jeunesse active,
Bouche ouverte et les bras pendans,
Prête à ces faits intéressans
L'oreille la plus attentive.
Le cadet par des jeux nouveaux
Essaie eu vain de le distraite ;
Il prend le casque du héros
Et vient en brave militaire,
En riant, provoquer son frère
Et l'engager à quitter le repos :
Mais l'autre, sourd à ses joyeux propos,
Veut du geste et des yeux l'inviter à se taire,
L'image des combats a captivé ses sens,
Son âme s'est émue au seul nom de victoire,
Et cet entant à peine a compte dix printems
Qu'il a déjà senti le désir de la gloire.
Après un long récit que l'on n'interrompt pas,
On sert au voyageur un champêtre repas.
Placé près de sa mère et près de son amante,
Notre Alexis rit, boit et chante ;
Chacun répète son refrain.
Dans sa gaieté naïve et pure,
De son Élise il prend la main,
Il la presse contre son sein ;
Mais tout bas la mère en murmure :
Seule elle veut jouir de son retour.
Élise doit avoir son tour !
Si le premier moment fut tout à la Nature,
Le second se doit à l'amour.
Déjà le chant du coq en annonçant l'aurore,
Force notre guerrier à songer au sommeil :
On se lève, on se quitte, et l'on revient encore :
On se sépare enfin au lever du soleil.
Il n'est pas endormi qu'on songe à son réveil.
À de nouveaux plaisirs le bon père s'apprête ;
Il convoque bientôt les amis, les parens,
II veut, dès le jour même, unir les deux amans.
Élise en rougissant prend ses habits de fête :
On décore de fleurs la champêtre maison,
On assemble tout le village ;
Et sous un temple de feuillage,
Alexis, dans cette union,
Va recevoir le prix qu'on doit à son courage.
Les voisins réunis vont chercher les époux ;
Pour cet hymen tout se prépare :
De son plus bel habit notre héros se pare.
Ce noble vêtement doit faire des jaloux !
En vain de la tempête il a souffert l'outrage,
Malgré l'effort du tems, malgré sa vétuste,
De tous les bons Français il obtiendra l'hommage.
Ô mille fois heureux celui qui l'a porté !
Son nom ira sans tache à la postérité.
Mais combien mon âme est émue !
Déjà, je revois mon héros
Reprendre la noble charrue,
Et féconder par ses travaux
La terre qu'il a défendue.
Poursuis ! Et que les dieux protègent tes sillons !
Qu| le bonheur fixé sous ton toit domestique,
À tes nombreux enfans dispense tous ses dons !
Soldat cultivateur, donne à la République
D'illustres défenseurs et de riches moissons !
Goûte enfin les douceurs d'une paisible vie ;
Tu serviras d'exemple à nos derniers neveux ;
Qui plus que toi, guerrier, mérite d'être heureux ?
Tu vainquis tous les rois, et sauvas ta patrie.