Prophète patriote, ou Voici comment tout finira (Le)

Auteur(s)

Année de composition

1789

Genre poétique

Description

Mots-clés

Paratexte

Texte

Grands ou petits, tout être qui vivra,
Aux caprices du sort jamais n'échappera :
Voici qui bien le prouvera.

De l'empire des airs, tel grand que fut l'éclat,
Le monarque à son tour des malheurs éprouva,
Qui, dans ses fondemens, ébranlèrent l'État.
Un tel revers d'abord point ne l'épouvanta,
Parce que dans les Grands beaucoup il espéra ;
Mais dans son infortune, à l'aigle il arriva
Ce qu'à tout malheureux fortune réserva.
Chacun de ceux que de biens il combla,
Que près du trône il éleva,
Loin de l'aider à sortir d'embarras,
Contre son pouvoir cabala,
Et tous ses droits lui disputa.
Ce fut alors qu'il s'alarma.
L'aigle était bon pourtant ! Malheureux, il trouva
Qu'un nombre de sujets, que trop il oublia,
À le soulager s'occupa,
Et pour finir ses maux, des moyens lui donna.
C'étaient ses bons sujets, qu'on nomme Tiers-État.
(Le malheureux, toujours le malheureux aida.)
Sur ses vrais intérêts l'aigle alors s'éclaira ;
De son peuple oublié conseils il approuva,
Et voulant s'en servir, ses sujets assembla.
Dans un palais, qu'exprès on prépara,
Sur un trône brillant, le souverain monta.
Autour de lui, corbeaux, milans, rangea ;
C'étaient ses favoris, que toujours il aima,
Que par beaucoup d'honneurs toujours il distingua.
Dasn une plaine, au loin, le peuple se plaça :
Vive le roi ! Tel fut le cri qui l'annonça.
Chacun ayant pris place, un corbeau croassa.
Lors un grand silence régna.
Voici comment le roi parla.
Je suis père de tous, ce jour le prouvera.
Corbeaux, milans, dit-il, sur vous on entassa
Des grands biens aux dépends de ce bon peuple-là.
Possesseurs de ces biens, dont on vous accabla,
On eût cru que chacun d'entre vous arrêta
Qu'ils seraient, au besoin, pour secourir l'État.
Loin d'en user ainsi, chacun en abusa,
Et de concert cette loi prononça :
« Quand l'État des besoins aura,
C'est le peuple qui paiera,
Jamais un Grand n'y fournira ;
Et si le Grand des besoins a,
Plusieurs petits il croquera,
Et sa grandeur s'annoncera
Par les malheureux qu'il fera ».
Que de pleurs ! Que de sang un tel abus coûta !
En vain ce peuple réclama
Contre une loi qui l'écrasa ;
Mais jamais on ne l'écouta.
Ô bon peuple ! Envers toi je fus long-temps ingra ;
Mais c'en est fait, ton malheur finira ;
C'est ton ami, ton roi qui te protégera ;
Tes droits lui sont sacrés, & tu les reprendra.
Je veux tous rendre heureux, & chacun le sera.
Sire, dit un corbeau, qu'un grand nombre approuva ;
Il est des loix, dans votre État,
Que jamais on ne viola,
Sans que l'empire on n'ébranla.
Que votre Majesté son cœur n'écoute pas :
La bonté quelquefois, Sire, nous égara ;
Laissez parler la loi, c'est elle qui fera
Le bonheur de l'empire, & qui réparera
Les maux dont on nous accabla.
Et puis il ajouta, d'un ton un peu plus bas
Que sous notre griffe il sera,
Sire, jamais on ne verra
Troubles dans le pays, la paix y régnera.
Serins, moineaux, tout ce vil peuple-là,
Accoutumé qu'on le croqua,
Poussera quelques cris, puis bientôt se taira,
Parce que, de plus belle, on vous le croquera.
Un tel discours plusieurs Grands indigna ;
Le peuple volatil de rage en frissonna.
Cependant le roi, bon encor, représenta
Qu'assez long-temps son peuple on immola…
Que… Tout à coup un grand bruit s'éleva,
Corbeaux, milans, chacun indécemment parla,
Pour soutenir les droits qu'il n'avait pas.
« Citoyens avilis, lors le roi s'écria,
Je vous crus mes amis, mais vous ne l'êtes pas ;
Vous êtes ennemi du trône & de l'État :
Fuyez loin de ma Cour ». Et leschefs exila,
Alors tout le reste trembla,
Et le seigneur roi remercia,
De ce qu'en sage il adopta
Un projet qui ferait le bonheur de l'État.
L'honneur seul, dirent-ils, Sire, nous conduira ;
L'État a des besoins, chacun y pourvoira.
Quelque faible qu'il soit, oui, le moineau vivra ;
Il est votre sujet, on le protégera,
Chacun de nous le défendra
Comme un frère, un ami, qui toujours vous aima,
Et qui pour votre gloire avec nous concourra.
À ce discours, qu'un milan prononça,
Le peuple volatil d'aise se transporta ;
Jamais corbeaux, milans, plus grands il ne trouva :
On dit même qu'il députa
Pie, qui les complimenta.
L'aigle, par ce concours, ses malheurs répara,
Et parmi ses sujets le bonheur ramena.
Depuis, d'un si bon roi le règne prospéra,
Et le siècle d'or arriva.

Français, voilà comment ici tout finira.

 
 

Sources

BNF, 8 Ye 5398.