Socrate dans le temple d'Aglaure
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Paratexte
Dans sa séance publique du 20 vendémiaire an XI, l'Institut avait proposé pour sujet du prix de poésie : La vertu est la base des républiques (Montesquieu, liv. III, chap. 2 et 3)
Dans la séance publique du 6 nivôse an XII, le prix a été décerné au poème n° 11 intitulé : Socrate dans le temple d'Aglaure ; ayant pour épigraphe,
Virtulern videant… (Pers., Sat. 3)
M. Raynouard (du Var) s'en est déclaré l'auteur.
Texte
Vous à qui le Français, libre du joug des Rois,
A daigné confier son espoir et ses droits,
Ô du bonheur public sacrés dépositaires !
Le peuple attend de vous des exemples austères
D'un emploi glorieux vous êtes revêtus ;
À la hauteur du rang élevez vos vertus.
Voyez-vous du faisceau l'image symbolique ?
Elle offre le secret de la force publique ;
Qu'en un centre commun les pouvoirs rapprochés
Par le nœud des vertus soient toujours attachés.
Mais il ne suffit pas qu'au sort de la patrie
Chacun de vous consacre et sa gloire et sa vie ;
Soumettez l'avenir à votre autorité ;
Donnez à nos vertus une postérité.
Que d'utiles leçons, que des coutumes sages,
Sous le joug de la loi maîtrisent les courages ;
Et bientôt nos enfants, soumis et glorieux,
Courberont devant elle un front religieux.
Rappelons ces beaux jours où la superbe Athènes
Instruisait ses enfants aux mœurs républicaines :
Ceux que les droits de l'âge élevaient à l'honneur
De défendre ses lois, sa gloire et son bonheur,
Dans le Temple d'Aglaure accourant avec zèle,
Faisaient à la patrie un serment digne d'elle.
Fête auguste ! Jour saint ! De généreux vieillards
Sur les fils de leurs fils attachent leurs regards ;
Ici, plus d'une mère orgueilleuse, attendrie,
Accompagne son fils, le cède à la patrie ;
Là, de braves guerriers disent à leurs enfants :
« Partez, et, comme nous, revenez triomphants. »
La présence du peuple est l'ornement du temple ;
Un citoyen paraît, et chacun le contemple ;
C'est l'heureux Périclès : ce héros magistrat,
Cher aux Athéniens, nécessaire à l’État,
Puissant par la vertu, fameux par la victoire,
Veille sur leur bonheur, et préside à leur gloire.
Un faste solennel l'accompagne aujourd'hui,
Et les jeunes guerriers sont debout devant lui.
L'un d'eux, Alcibiade, au nom de tous, s'écrie :
« Je consacre ce glaive à servir ma patrie ;
Saints autels ! Saintes lois ! L'orgueil de vous venger
Guidera mon courage à travers le danger ;
Honorant nos ayeux, fidèle à leur mémoire,
Je rendrai tout entier le dépôt de leur gloire ;
Et, réduit à moi seul, abandonné de tous,
Je combattrais encore, et je mourrais pour vous. »
Ils prêtent le serment : mille voix applaudissent ;
De l'hymne des combats les voûtes retentissent.
Socrate alors s'avance, et dit : « Dieux tout-puissants !
Dieux justes ! Acceptez nos vœux et notre encens ;
L'égide de Pallas, le trident de Neptune ,
De nos armes toujours protègent la fortune,
Partout avec succès nous avons combattu ;
Accordez plus encor ; donnez-nous la vertu.
Souvent, dans les combats, un heureux téméraire
Porte une main hardie à la palme guerrière :
S'il manque de vertu, c'est un triomphe vain ;
La palme du vainqueur se flétrit dans sa main.
Guerriers de Marathon ! Combattants de Platée !
Ô vous, dont la valeur si justement vantée
Humilia jadis le trône du grand-Roi,
Sortez de vos tombeaux, sortez, répondez-moi.
D'innombrables soldats l'audace redoutable
Semblait vous menacer d'un joug inévitable ;
Mais l'audace et le nombre effrayaient-ils vos cœurs ?
Vous étiez vertueux et vous fûtes vainqueurs.
Des droits les plus sacrés défenseurs magnanimes,
Bornant votre courage aux succès légitimes,
Forts contre l'injustice, ardents à la punir,
Vous frappiez les tyrans, mais sans le devenir :
Vous aviez su donner au peuple de Minerve
La force qui détruit, la vertu qui conserve.
Je vois l'Athénien puissant et respecté ;
Généreux sans orgueil, pauvre avec dignité,
La voix de sa patrie est un ordre suprême ;
Ambitieux pour elle et jamais pour lui-même,
Dédaignant les honneurs, et fier du dernier rang,
Quand il sert sa patrie, il se croit assez grand.
Que l'esclave des Rois, qu'un soldat mercenaire
Subisse du destin la rigueur passagère,
Il tombe humilié, vaincu par la douleur,
Et le malheur pour lui n'est rien que le malheur.
Mais le vrai citoyen, qu'éprouve l'infortune,
S'immole avec orgueil à la cause commune ;
Il a pour lui son cœur, l'avenir et les dieux :
Pour sa patrie ingrate il fait encor des vœux ;
Faut-il périr enfin, parce qu'il l'a servie ?
La gloire de la mort console de la vie.
Ô jeunes citoyens ! Tel est le dévoûment
Que promet en ce jour vôtre auguste serment.
Vous attestez Aglaure, et son culte et son temple.
Du plus saint dévoûment Aglaure offrit l'exemple.
Athènes redoutait le plus fatal revers ;
Un vainqueur menaçant lui préparait des fers :
Loin d'elle s'enfuyaient l'espérance et la gloire,
Quand l'oracle des dieux lui promit la victoire,
Si l'un de ses enfants, se dévouant pour tous,
De l'Olympe irrité désarmait le courroux.
Le peuple, entier se tait, frémit, hésite encore ;
La fille de Cécrops, la vertueuse Aglaure,
Dans l'âge de l'amour, dans les jours du bonheur,
D'un sublime trépas sollicita l'honneur,
Et la fille d'un Roi mourut pour la patrie.
Victime justement admirée et chérie !
Un temple magnifique, un culte glorieux,
Élevèrent Aglaure au rang même des dieux,
Et les jeunes guerriers sont venus, d'âge en âge
Offrir à cet autel le culte du courage.
Ô vous qui m'écoutez ! Ô peuple ! Ô magistrats !
À ce pieux serment nous ne mentirons pas :
À la patrie, aux lois, soyons toujours fidèles ;
Osons souffrir, osons nous immoler pour elles.
Dans le champ de la gloire ou de l'adversité,
Notre vertu prélude à l'immortalité.
Cette vertu suffit au bonheur de la vie ;
Les dieux ont un Olympe, et nous une Patrie.
Illustre Périclès ! Quand tes efforts heureux
Dirigent vers la gloire un peuple généreux,
Pense que nos destins, aujourd'hui si prospères,
Sont le prix du courage et du sang de nos pères.
Les chef-d’œuvre des arts, nos fêtes et nos lois,
De ces vainqueurs fameux consacrent les exploits.
Marchons-nous aux combats ? Leur sainte renommée
S'étend comme un rempart autour de notre armée :
Eh ! Qui pourrait alors déserter le danger ?
Leur gloire est toujours là pour nous encourager.
Aux jeux de l'ennemi tout soldat intrépide
Fait voir un Miltiade, ou craindre un Aristide :
Puisse de nos exploits le souvenir heureux
Protéger nos enfants et combattre pour eux !
Oui, nous leur léguerons ce superbe héritage ;
Périclès ! Tes vertus m'en donnent le présage :
Que ton exemple enseigne à respecter la loi ;
Sois digne de ce peuple, il le sera de toi.
Quand Xerxès apportait la mort ou l'esclavage,
Nos pères, tout-à-coup désertant ce rivage,
À ce vainqueur d'un jour laissèrent nos remparts :
Les temples, les tombeaux, les monuments des arts,
Ils abandonnent tout au glaive, à l'incendie ;
Et c'est en perdant tout qu'ils sauvent la patrie.
La patrie avec eux s'exile sur les mers ;
Mais, lorsque Salamine a vengé ce revers,
Nos remparts rebâtis des mains de la victoire,
S'élèvent ombragés des palmes de la gloire.
Si le peuple montra ce dévoûment fameux,
Il imitait les chefs, il s'illustra comme eux.
Ô des vrais magistrats autorité puissante !
Leurs exemples sacrés sont une loi vivante ;
Ils deviennent la règle et la leçon des mœurs ;
Le marbre parle aux jeux, l'exemple parle aux cœurs.
Magistrats ! Que toujours votre conduite austère
Imprime à ce grand peuple un noble caractère.
Ne bornez pas vos soins aux succès des combats ;
La vertu seule assure et maintient les États :
Des peuples conquérants si je parcours l'histoire,
J'y vois la Renommée et n'y vois point la Gloire ;
Mais, quand sous des revers un peuple est abattu,
Je trouve encor la Gloire où je vois la Vertu.
Toi surtout, Périclès ! Tu dois un grand exemple :
Athènes t'applaudit, la Grèce te contemple.
Héros dans les combats, dans nos murs citoyen,
Donne tout à l’État, et n'en exige rien.
Oui, fais par tes vertus absoudre ta puissance ;
Et le bonheur public sera ta récompense. »
Il a dit. Aussitôt un chant religieux
S'élève, monte, arrive à l'oreille des dieux.
Debout près de l'autel, Périclès renouvelle
Sa promesse de vivre et de mourir fidèle.
Socrate le reçoit, le presse dans ses bras ;
Peuple, vieillards, guerriers, citoyens, magistrats,
Chacun répète alors, d'une voix attendrie :
« Les dieux ont un Olympe, et nous une Patrie. »