Origine des révolutions (L')
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Avec son importance altière
Que l'homme est ridicule et vain !
C'est un véritable pantin ;
Lui seul veut gouverner la terre ;
Il fait la paix, il fait la guerre,
Et cependant il ne fait rien :
L'Amour seul, derrière la toile,
À son gré dicte les arrêts,
Et, quoique caché sous le voile
Rien ne résiste à ses décrets.
Le compilateur qui compose,
En retraçant les faits sanglans
Qui changent les gouvernemens,
Toujours cherche une grande cause
Aux principaux évènemens :
Mais vaine est toute sa science,
En dépit de ses argumens,
De la beauté c'est la puissance
Qui préside aux grands changemens.
Rome, à des monarques soumise,
Méconnaissait la liberté ;
Soudain l'antique égalité
Est par le peuple reconquise.
Dans cette révolution,
Peut-être on croit que c'est un sage
Qui, des accens de la raison
Empruntant le mâle langage,
Dirige la commotion,
Et fait à cette nation
Briser le joug de l'esclavage :
Non : c'est une intrigue d'amour
Qui chasse Tarquin et sa cour.
Dirigés par un imbécile
Bientôt les Romains de la ville
Exilent un roi corrompu ;
À jamais le sceptre est rompu,
Le peuple sur les bords du Tibre
Reprend ses droit, il devient libre,
Parce que Brutus est cocu…
Ah ! Si sur nos faits sanguinaires,
Sur nos factions, sur nos guerres,
Chacun pouvait avec clarté
Remonter aux causes premières,
Nous trouverions que nos affaires,
Notre abusive égalité
Ont des causes aussi légères,
Et que tout tient à la beauté.