Discours sur l'anniversaire de la mort du dernier tyran français, puni par la loi, le 21 janvier 1793
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Prononcé le nonidi Pluviôse, dans la séance de la société populaire de la section de la Montagne, et le lendemain Décadi du même mois, dans le Temple de la Raison, ci-devant église paroissiale de Saint-Roch. Augmenté et prononcé pour la seconde fois le Décadi 20 Pluviôse
Texte
Flambeau sacré ! Raison trop long-tems méconnue,
Toi qui détruis l'erreur dans l'âme prévenue ;
Quand mes esprits frappés par tes rayons divins
Annoncent ta puissance à des républicains ;
Quand de l'égalité tu soutiens l'existence,
Prêtes à mes accens ta sublime éloquence ;
Douce émanation de la divinité,
Qu'environnent l'estime et la sécurité,
Consolante amitié ; charme de la Nature
Des célestes bontés, preuve éclatante et sûre,
Viens, accours à ma voix ; passe dans tous les cœurs ;
Pour moi de l'indulgence, appelle les faveurs ;
Verse sur mes efforts tes heureuses lumières ;
Ce sont des vérités que j'annonce à mes frères.
Ils sont évanouis ces siècles désastreux
Où l'homme gémissant dans des liens honteux,
Trouvoit à chaque pas entraves sur entraves,
Et vivoit en tremblant sous des tyrans esclaves.
Alors de vils flatteurs obtenoient des emplois,
Le mérite indigent n'osoit lever la voix ;
On repoussoit alors le cri de la misère ;
L'intrigue dévorante étouffoit sa prière :
Auprès de ses enfans, un père malheureux,
D'un pain trempé de pleurs se nourrissoit comme eux ;
La stérile pitié redoubloit ses allarmes,
Et l'orgueil inflexible insultoit à ses larmes,
Les ministres alors, ces hommes sans pudeur,
Des talens opprimés avilissoient l'ardeur ;
De l'honnête artisan la fortune réduite,
Foumissoit aux besoins du lâche sybarite ;
Plongé dans la mollesse, au sein des voluptés,
Il voyoit d'un œil sec le pauvre à ses côtés ;
Sourd aux gémissemens de sa triste patrie
Il s'engraissoit en paix des fruits de l'industrie.
Nous ne les verrons plus ces siècles de malheur ;
Où le luxe étaloit son faste corrupteur !
Sous le régime heureux de la philosophie,
Où l'homme renaissant par toi se vivifie,
Raison ! Tu nous a dit : « Reconnoissez vos droits,
La Nature aux mortels prescrit les mêmes lois ;
Pourquoi donc vous soumettre à ces hommes barbares,
En vices si féconds, de vertus tant avares ?
À ces rois insolens, tous mortels comme vous,
Qui veulent cependant vous voir à leurs genoux ;
Ne vous souvient-il plus que des rives du Tibre,
Jusques aux bords du Rhin, quand le Romain fut libre,
À l'Europe étonnée il imposa des lois,
Et que d'un Pôle à l'autre il fît trembler les rois ?
Le Français est-il donc moins grand, moins redoutable ?
Non, un plus long sommeil le rendroit donc coupable ».
Nous t'avons écouté ; dans le fond de nos cœurs,
A retenti ta voix ; et nos législateurs
Émus par cette voix pure et patriotique,
Constamment occupés de la chose publique,
Du haut de la Montagne, ont vu de toutes parts,
Les Français éclairés suivre tes étendarts ;
Embrasés par tes feux, guidés par tes lumières,
Les Français réunis en un peuple de frères,
Avec les Montagnards, dans les plus saints transports,
De l'hydre de l'intrigue ont détruit les efforts :
Ils ont ôté le masque au prélat hypocrite ;
Ils ont réduit le noble à son juste mérite ;
Pour mieux nous dérober à ses coups meurtriers,
Au peuple ils ont remis le sceptre des guerriers ;
Du magistrat vénal démontrant l'ignorance,
Ils ont su de Thémis niveler la balance,
Ils ont su la remettre en de plus sûres mains,
Nous sommes tous jugés par nos concitoyens ;
Et pour mieux affermir l'amour de la patrie,
Ils ont de nos tyrans détruit la race impie,
La France est libre enfin ! Le dernier des Capets
Louis depuis un an a payé ses forfaits ;
Le glaive de la loi nous en a fait justice,
Il n'est plus ! Qu'avec lui tout despote périsse !
Oui, le coup est porté ; ne l'espérez jamais,
Tyrans coalisés, vous n'aurez plus la paix ;
Vos fureurs trop long-tems ont désolé la terre,
Les peuples sont levés, redoutez leur colère,
Tremblez ! L'heure est venue où vos sceptres brisés,
Dans la nuit du néant vont tous être entassés !
Pour animer l'airain, se forme le salpêtre,
Déjà la foudre gronde, et vous allez connoître,
Despotes insensés, qu'il est de ces forfaits
Que le peuple irrité ne pardonne jamais ;
Vous n'envahirez plus la fortune publique,
Le monde entier soupire après la République ;
Nous allons recréer un nouvel Univers !
Tel on voit le soleil sortant du sein des mers,
Il répand en tous lieux une clarté plus pure,
Le feu de ses rayons rajeunit la Nature.
Fille de la Raison, ô sainte Liberté !
Dans ce temple où par-tout règne l'égalité,
À mes concitoyens quand je vante tes charmes,
Pour nos jeunes guerriers, daigne forger des armes !
En combattant pour nous, ils font bien plus pour eux,
Ils sentiront long-tems tes bienfaits précieux.
Arbre majestueux qu'éleva le courage
Étends avec fierté ton bienfaisant ombrage ;
Prépare à nos enfans les douceurs du repos,
Nous serons trop payés de nos nobles travaux ;
Le chêne de Dodone enfantoit des oracles,
Le chêne des Français produira des miracles !
Nos arrières neveux surpris de sa beauté,
Diront, par nos ayeux cet arbre fut planté ;
Croissez, jeunes enfans pour l'affermir encore !
Les beaux jours du bonheur sont pour vous à l'aurore,
Il faut pour mériter d'aussi rares faveurs,
Que toutes les vertus se gravent dans vos cœurs.
Moi, dont le front déjà ridé par la vieillesse,
Ne peut jouir long-tems de ta flatteuse ivresse,
Je n'ai plus que des vœux impuissans à t'offrir !
Mais j'ai vécu pour toi, pour toi je veux mourir.
Ces braves citoyens soutiendront mon courage ;
À leurs yeux, dans leur sein je t'offre mon hommage,
Je te fais avec eux le serment solennel,
De défendre tes droits, d'encenser ton autel ;
Du ciel, je n'eus qu'un fils, il sert pour ta défense,
Soutiens son foible bras, soutiens mon espérance ;
Mais, par l'événement, s'il meurt dans les combats,
Et si je ne puis plus le presser dans mes bras !
En pleurant je dirai d'une voix attendrie,
Mon fils est trop heureux ! Il meurt pour sa patrie.