Prise de Toulon (La)
Mots-clés
Paratexte
Ode
Texte
Du village de la Garde
Jusques au pied du mont Faron,
Quel torrent débordé se roule sur Toulon ?
Son cours impétueux n'a rien qui le retarde.
Où courés-vous braves guerriers ?
L'Espagnol et le Batave,
Le Germain et l'Anglais, confondant leurs lauriers,
Et de l'esclave qui vous brave
Secondant à l'envi le projet déhonté,
Ont juré dans ses murs, mort à la liberté.
Mais, de quelle indigne crainte
Mes sens semblent-ils donc émus ?
Par de vaines terreurs seriés-vous retenus ?
Non, de la trahison on méprise l'atteinte
Quand on défend sa liberté.
Vos cohortes menaçantes
Sous leurs drapeaux vengeurs marchent en sûreté :
À vos phalanges triomphantes
Les traîtres connoîtront que tout homme est soldat,
Lorsque pour sa patrie il s'apprête au combat.
Voici l'instant des vengeances !
Le tocsin fatal a sonné.
À ce terrible son le traître est étonné
De voir en un moment périr ses espérances
Tremblez donc, lâches Toulonnais,
Vous avez à votre honte
De Longwy, de Lyon surpassé les forfaits.
Qu'un punition prompte
Apprenne à l'univers quel sort nous réservons
À qui pourroit tenter de telles trahisons.
Attendrés-vous donc l'aurore ?
Aux armes, citoiens, marchons !
L'homme libre est debout, formés vos bataillons !
C'est l'esclave qui dort ? De la Rochelle encor
Ce sont les lâches assaillants :
Forçons ces chevaux de frise !
Quoi cette double enceinte et ces feux devant
Arretteroient votre entreprise ?
Non la victoire est là, braves Français, allez
La liberté vous voit et marche à vos côtés.
Mais quelle terreur panique
S'empare donc de vos esprits ?
Quoi de sauve qui peut les trop funestes cris
Sans cesse démentant votre valeur antique
Porteront-ils donc dans vos rangs
Une éternelle épouvante ?
De Fréron, de Ricord écoutés les accents
Voudriés-vous frustrer leur attente ?
De Hardouin du moins reconnoissez la voix,
Des traîtres il trompa l'esprit plus d'une fois.
Que dans cette nuit horrible
Tous les éléments conjurés
Rendent aux ennemis vainement rassurés
Votre attaque à la fois plus grande et plus terrible,
En vain leurs montagnes de feux
Lancent le fer et la flamme ;
Rien ne peut arretter le Français courageux
Quand la liberté s'enflamme :
Du salpêtre brûlant les funestes clartés
Guident de son ardeur les pas précipités.
Rouget, Sainte Catherine,
Semblent arretter ses efforts
Partout victorieux, de ces terribles forts
Ces héros vont bientôt consommer la ruine.
Vils esclaves, obéisés :
Barras guide à la victoire,
La Poype le seconde et trois fois repoussés
Et trois fois marchant à la gloire
Les Français à Faron mesurant leur valeur
Enfin à l'ennemi commandent en vainqueur.
Sur la terrible redoute
Déjà flotte notre étendart,
Le Toulonnais surpris, fuiant de toute part,
Cache sur ses vaisseaux sa honte et sa déroute.
L'infâme coalition
Des despotes et des traîtres
De ces lâches en vain sert la rebellion :
On combat ainsi pour des maîtres ;
Mais de la liberté le zélé défenseur
Compte moins sur le crime et plus sur sa valeur.
Poursuivi par les tempêtes
Puisse un vaisseau seul échappé
Annoncer aux Anglais comment la liberté
Fait punir les forfaits qui pèsent sur leurs têtes.
Mais que vois-je à la cime du port ?
Quel tourbillon de flamme
Élève dans les airs l'épouvante et la mort ?
Quelle craint agite mon âme ?
Sauver le Thémistocle ! À nos républicains
Il servoit de prison ; grands dieux, aidez leurs mains !
Ont-ils consommé leurs crimes ?
Non, le plus grand nombre sauvé
Aux horreurs de la mort est enfin enlevé :
La liberté veilloit au sort de ces victimes.
Beauvais, l'infortuné Beauvais
Dans les fers respire encore :
Tremblant sur nos destins, le sort des Français
À la douleur qui le dévore
Semble encor ajouter. Rompez, brisez ses fers,
Qu'il apprenne de vous la fin de nos revers.
Beauvais sent son âme émüe
En voiant des républicains,
Et d'un rêve imposteur les jeux trop inhumains
Lui semblent toujours prêts à démentir sa vüe.
À ses côtés Bayle a péri.
Ah ! Sa mort sera vengée
De la férocité de son vil ennemi :
De la nation outragée
La vengeance terrible, arbitre de son sort
Sur sa tête a levé l'appareil de la mort.
Mais de cette nuit terrible
Il veut connoître les hauts faits
Qui de la ville infâme ont puni les forfaits ;
Il compte les exploits de ce peuple invincible,
Frémit au seuil du danger
De Fréron, de Robespierre,
Et se croit à l'assaut auprès de Dugommier
Dans La Poype il embrasse un frère,
De Beaucours et d'Argor applaudit la valeur
Et de Micar enfin il flatte le grand cœur ?
Ah ! Pourquoi dans la mêlée
De tant d'intrépides guerriers
Jaloux de mériter d'honorables lauriers
N'a-t-on pû de leur coups voir l'ardeur redoublée,
Et que ne puis-je dans ces vers
Consacrant leurs noms sublimes,
À la honte des rois, instruire l'univers
De leurs actions magnanimes ?
Mais, que sont donc mes vers ? Servir la liberté
Pour des républicains vaut l'immortalité.
Voir de ton agent sinistre
Quels sont les exploits odieux ?
Tu fus libre jadis, Anglais, ouvre les yeux !
Crains qu'un jour la raison, de ce lâche ministre
Ne punisse enfin les forfaits :
En vain de la politique
Épuisant la ressource et pour de vils succès
Du faisceau de la République
Menaçant les lieux, il déguise les fers
Qu'il rive sur tes mains aux yeux de l'univers.
Déjà la crainte importune
Démentant son farouche orgueil
De toute sa grandeur lui présage l'écueil.
Ses crimes ont lassé sa hideuse fortune.
Le remord l'attend vainement :
La honte qui le diffame
Amasse sur sa tête un juste châtiment.
Liberté, ta céleste flamme
En Écosse déjà pour sa punition
Dispose malgré lui la révolution.
En vain retiens-tu perfide
Dans la fange où tu dois croupir
Le despote avili qu'il te plaît de servir
En levant sur le peuple un sceptre parricide
Pitt, tes jours sont abbandonnés
Au plus furieux orage
Pour terminer les maux qui te sont destinés
Tu verras pour comble de rage
Ce peuple souverain rentrer dans tous ses droits
Qu'un injuste pouvoir lui ravit tant de fois.