Ode républicaine sur les vertus

Auteur(s)

Année de composition

1793

Genre poétique

Description

Quatrains d'alexandrins en rimes croisées

Texte

J'en atteste le Ciel ! J'en atteste ma lyre !
La licence a pu seule enfanter la Terreur :
La sainte Liberté n'a point ce noir délire
Ni ce glaive brûlant d'une aveugle fureur.

On sait trop des tyrans l'odieuse maxime :
La justice n'est point une vertu d'ÉtatCe vers peut s'appeler une maxime royale. Corneille l'a mis dans la bouche d'un scélérat parlant à un roi digne d'un tel confident.
Mais l'injustice heureuse est-elle moins un crime ?
Et jamais la vertu fut-elle un attentat ?

Un peuple brise en vain les chaînes qu'il abhorre,
S'il n'est point épuré par ses propres revers.
S'il n'est point vertueux, il n'est point libre encore ;
Et ses vices bientôt le rendraient à ses fers.

Amis, ah ! Si jamais nous foulons avec gloire
D'un pied libre et vainqueur les trônes abattus,
Songez qu'il faut encore absoudre la victoire
Par le bonheur du peuple et d'austères vertus.

Il n'est point sans vertu de juste indépendance.
De notre Liberté généreux conquérants,
Sauvons-la des forfaits de l'atroce licence.
Est-ce aux vainqueurs des rois d'imiter les tyrans ?

Que leur âme perfide apprenne à nous connaître,
Et que de nous corrompre ils s'épargnent le soinPitt prodiguait l'or pour acheter nos villes frontières et corrompre l'intérieur.
Si Tarquin renaissait, un Brutus va renaître :
Qu'il vienne un Porsenna, Scévola n'est pas loin.

Albion, dans son cœur, fait en vain le partage
Des villes que son or espère nous ravir :
Albion subira le destin de Carthage ;
Une autre Rome encor jure de l'asservir.

Aux fourbes couronnés, laissons la ruse oblique :
L'art des Machiavel est lâche et soupçonneux.
Soyons grands, soyons purs, gardons la foi publique ;
De la fraternité qu'elle serre les nœuds.

Gardons la foi publique ; et des feuilles légères,
Même de l'or absent remplaceront le cours.
Mais et l'or et l'argent, richesses mensongères,
Si nous trompions la foi, seraient d'un vain secours.

Peuple ! Tant qu'à vous seul la France est redevable,
Pourriez-vous redouter de funestes besoins ?
Sa fidèle Cérès n'est jamais insolvable ?
De la foi de Bacchus ses coteaux sont témoinsL'année la plus féconde a dégagé les promesses du poète faites en brumaire.

Que Plutus, loin de nous, prodigue ses largesses.
Indigent de vertu, de mœurs, de liberté,
L'esclave du monarque a besoin de richesses ;
Le fier républicain chérit la pauvreté.

Français ! Aimez-la donc cette noble indigence :
La liberté, le fer, voilà votre trésor !
Les rois, sur leur richesse, appuieront leur vengeance,
Montrez-leur que le fer a toujours dompté l'or.

Une mâle vertu fonde la République.
Le despotisme affreux pour base a la terreur.
Entre ces deux pouvoirs, le pouvoir monarchique
S'élève sur un trône appuyé par l'honneur.

L'honneur ! Eh ! Qui peut donc honorer des entraves ?
Un monarque est bientôt despote impunément.
En vain il adoucit le joug de ses esclaves :
Rien n'est plus dangereux qu'un despote clément.

Octave eût succombé sous les traits de la haine ;
Auguste pour Octave implora le pardon.
Sa clémence égorgea la liberté romaine :
Il fut aux vrais Romains plus fatal que Néron.

Je l'avoue, en donnant des pleurs à la Nature,
Oui, César dut périr sous le fer de Brutus.
Les rois pèsent de loin à la race future :
Pour cent Caligula s'offre à peine un Titus.

La Liberté, sans doute, est jalouse, ombrageuse ;
Cette fière déesse éprouve ses amants :
Mais d'un républicain la vertu courageuse,
Aux caresses des rois préfère ses tourments.

Dans nos murs où l'Ibère a semé les alarmes ,
Entendez-vous frémir ces captifs généreux ?Des officiers français, mis en prison à Saint-Jean-de-Luz, pour une légère faute de discipline, ayant obtenu de combattre les Espagnols, se rendirent en prison après la victoire
Ils brûlent de combattre, ils implorent des armes :
Les voilà : l'Espagnol tombe ou fuit devant eux.

Mais ce dont Rome antique eût envié la gloire,
Ce qu'admire, en pleurant, la France et l'univers,
Dès qu'ils ont par leur sang acheté la victoire,
Vainqueurs, soumis aux lois, ils reprennent leurs fers.

 
 

Sources

Almanach des Muses pour l'an IV de la République française, ou Choix des poésies fugitives de 1795, Paris, Louis, an IV, p. 69-72.