Ode aux républiques d'Italie

Auteur(s)

Année de composition

1797

Genre poétique

Description

Quatrains d'alexandrins en rimes croisées

Paratexte

Salve, magna parens frugum, Saturnia tellus, magna virum !
Virg., Georg.

Texte

Salut, marbres divins ! Salut, pompes du Tibre !
Du fond de ces tombeaux où sommeillent tes droits,
Peuple, entends-tu tonner ce cri puissant, sois libre !
Ce cri qui, sur leur trône, épouvante les rois ?

Avec ivresse encor je contemple et j'écoute
Ces débris éloquents, riches de leurs destins,
Cet antique forum, où, lassé de ma route,
Je fixai mes regards et mes pas incertains.

Ô temple de la paix ! Dans mon âme enflammée
Ta ruine fit naître un sentiment nouveau !
Voilà cette colonne en siège transformée,
Où des derniers Romains je traçai le tableau !

Là, d'un élan secret, me plongeant dans les âges,
J'égarais ma pensée au-delà de ces bords ;
J'embrassai l'Italie, et déroulant ses pages,
De ses peuples divers j'admirais les efforts.

Je contemplais Venise asservissant les ondes ;
Pise aux bords du Jourdain portant ses étendards ;
Gênes, de sa fortune occupant les deux mondes,
Et Florence deux fois ressuscitant les arts.

Ah ! Disais-je en pleurant leurs querelles fatales,
Par leurs divisions ils furent trop punis !
Que d'éclat ornerait leurs brillantes annales,
Si pour la même cause ils marchaient réunis !

Armés par la valeur, guidés par le génie,
Protégés pur les mers, les Alpes, l'Apenin,
Forts de leur ascendant, les peuples d'Ausonie
S'élèveraient encore à la premier destin.

Qu'ai-je dit ? C'en est fait ! La fortune trompée
Ne viendra plus troubler l'empire de la loi ;
Du trône et de l'autel la puissance usurpée
S'abaisse avec respect devant le peuple roi.

Oui, vous l'avez formé ce complot magnanime,
Émules des Français, ô généreux Lombards !
Vous ouvrez la carrière, et d'un élan sublime
Vous devancez déjà les descendants de Mars.

La liberté naissante est sans doute orageuse ;
Mille obstacles divers en défendent l'accès ;
Mais qui peut refroidir votre âme courageuse ?
Les périls plus certains doubleront vos succès.

Tempérant le nectar de cette enchanteresse,
Pour mieux les conserver, peuples, bornez vos droits :
Qu'un pouvoir protecteur, fondé sur la sagesse,
Vous sauve également des ligueurs et des rois !

Entre ces deux écueils, tels que l'adroit Ulysse,
Il bravera des mers les monstres aboyants ;
Et vainqueur de Scylla, par un noble artifice,
Il trompera Carybde et ses flots tournoyants.

Comme ce feu divin nourri par les vestales ;
La chaste liberté veut des soins assidus ;
Il faut la confier à des mains virginales,
Il faut l'entretenir par d'austères vertus.

Puissent des magistrats, plus libres et plus sages ;
Par d'utiles travaux enrichir vos cités !
Réformer par leurs soins vos frivoles usages,
Régénérer vos mœurs dans vos solennités !

Dans vos pompes toujours présentez la patrie ;
Qu'elle charme vos jeux, vos amours, vos festins !
Et sans cesse occupés de son idolâtrie,
Remontez par son culte à vos brillants destins.

Pour embellir ces jeux, vous avez l'harmonie ;
Le Ciel vous accorda la lyre et le pinceau ;
D'illustres souvenirs, à l'antique Ausonie,
Vous attachent encor par un lien nouveau.

Rappelez vos aïeux dans ces augustes fêtes ;
Couronnez le génie, enflammez la valeur ;
Par les combats du cirque enfantez des conquêtes ;
Et comme la vertu consacrez le malheur.

Et toi, peuple, en ouvrant ton auguste carrière,
Redoute les flatteurs et leurs dons criminels ;
De la propriété respecte la barrière ;
Le dieu Terme, chez vous, eut ses premiers autels.

Sur le mépris de l'or, établis ta puissance ;
Du choc des factions n'ébranle point tes droits.
Vienne forgea tes fers au sein de la licence :
Pour mieux briser ton joug, porte le joug des lois.

Déjà Rome et Milan, nos filles adoptives,
Vengent sur les Romains l'opprobre de leurs fers,
Et poursuivant au loin leurs hordes fugitives,
À nos drapeaux vainqueurs promettent l'univers.

 
 

Sources

Almanach des Muses pour l'an VI de la République française, ou Choix des poésies fugitives de 1797, Paris, Louis, an VI, p. 45-48.