Prise de la Bastille, ou Paris sauvé (14 juillet 1789) (La)

Auteur(s)

Année de composition

1789

Genre poétique

Description

Huitains d'octosyllabes en rimes croisées

Paratexte

Chant national

Texte

Musique de M. P. Ligny

Liberté ! De la tyrannie
Lorsque l'asile est renversé,
Je veux célébrer ton génie,
Car mon cœur n'est plus oppressé.
Déjà les filles de Mémoire,
En dépit de tes ennemis,
Consacrent ce trait de l'histoire
Du brave peuple de Paris.

Quand de mercenaires phalanges
De Paris cernaient les remparts,
Éprouvant des craintes étranges
On s'agitait de toutes parts ;
Mais bientôt cette frayeur cède :
Un sentiment plus élevé,
Liberté, t'invoque à son aide,
À ta voix Paris fut sauvé.

Dans ce terrible et brusque orage,
Sans projet, ni plan concerté,
Que de bon sens, que de courage
Parmi le peuple ont éclaté :
Que d'ordre pour que rien ne sorte
De l'enceinte de la cité :
Des canons sont à chaque porte
Placés avec célérité.

De cent cloches le son[1] lugubre
Est le signal du ralliement.
Lors, des conseils le plus salubre
Se forme précipitamment.
Dans l'enceinte de chaque temple,
C'est devant la Divinité
Que d'une union sans exemple,
Renaquit la fraternité.

On s'encourage, on prend les armes ;
Jeunes et vieux tous sont guerriers :
La beauté, retenant ses larmes,
Va ceindre leurs fronts de lauriers.
Sur les ailes de la victoire
Ils volent au temple de Mars,
Où d'anciens amans[2] de la gloire
Se rangent sous leurs étendards.

Gardes-Françaises, redoutables,
Premier fléau des oppresseurs ;
C'est en vous, soldats indomptables,
Que le peuple eut des défenseurs,
Quand son ardent patriotisme
Lui faisait braver le trépas,
Vers l'antre affreux du despotisme
C'est vous qui guidâtes ses pas.

Rends-toi, Bastille trop superbe !
À ce fier peuple il faut céder :
Ton front sera caché sous l'herbe,
Si tu prétends lui résister :
Bravant les foudres despotiques,
Il va pénétrer dans tes cours
Malgré tes murailles antiques
Et tes huit menaçantes tours.

On vole, on entre en foule, on crie :
On s'élance vers les cachots :
Hullin, Humbert, Maillard, Élie[3],
Guident ce peuple de héros.
Déjà quantité de victimes,
Revoyant du jour la clarté,
Des tyrans attestent les crimes,
Et bénissent la liberté.

Arné[4], grenadier intrépide,
Avait saisi le gouverneur[5],
En qui l'on crut voir un perfide,
Infidèle aux lois de l'honneur.
Bravement il dût se défendre
Sans qu'on en blâme la raison ;
Mais il avait feint de se rendre,
Et l'on punit sa trahison.

Déjà les bandes helvétiques[6]
Abandonnent leurs pavillons :
Paris, du haut de ses portiques,
Voit fuir leurs nombreux bataillons.
Ô Rome ! En héros si féconde,
Quand tu proscrivis tes tyrans,
Tes fils, depuis vainqueurs du monde,
Se sont-ils donc montrés plus grands ?

  1. ^ Le tocsin.
  2. ^ Les Invalides livrèrent toutes les armes qui se trouvaient dans leur hôtel.
  3. ^ Hullin, employé à la buanderie de la reine, depuis général. Humbert, compagnon horloger. Maillard, bourgeois. Élie, ancien capitaine au régiment du roi.
  4. ^ Arné, grenadier des Gardes-Françaises.
  5. ^ Le marquis de Launay, gouverneur de ta Bastille, avait permis que l'on reçut des parlementaires ; cependant quand ils furent dans ta seconde cour, on fit sur eux une décharge qui en tua plusieurs. On assure qu'il n'avait pas donné cet ordre. Quoi qu'il en soit, il paya de sa vie cette infraction aux lois militaires.
  6. ^ Les Suisses et autres étrangers, campés au Champ-de-Mars.