États généraux (Les)

Auteur(s)

Année de composition

1789

Genre poétique

Description

Dizains d'octosyllabes

Texte

Lyre de Pindare et d'Alcée,
Des héros noble volupté,
Tu languis, muette et glacée,
Au fond d'un envieux Léthé !
Seul, dans ses veilles poétiques,
Le Brun, sur tes cordes antiques,
Module ses doctes chansons :
Mais, dans nos jours pusillanimes,
Est-il encor des cœurs sublimes,
Dignes d'applaudir à tes sons ?

Ils veulent de ton harmonie
Éteindre les brûlants accords :
Ils veulent au libre Génie
Ôter sa fougue et ses transports !
Ils disent à l'aigle rapide :
Avilis ton œil intrépide,
Fixé sur l'astre radieux :
Ne vas plus au sein des nuages,
Te jouer parmi les orages,
Et porter la foudre des dieux !

Quand sur les vainqueurs d'Olympie,
Planait le cygne de Dircé,
Peut-être à quelque oreille impie
Son chant parut-il insensé.
S'il n'eût méprisé leurs murmures,
Qu'importait aux races futures,
Pise, ses chars et ses coursiers ?
Rois de Catane et d'Agrigente,
Par lui votre olive indigente
Se change en immortels lauriers.

Par lui, sous un mont qui l'accable,
Sous d'inaccessibles volcans,
Gémit la fureur implacable
Du plus horrible des Titans.
De sa poitrine hérissée,
La cendre et la flamme élancée,
La nuit, embrase au loin les airs,
Quand le monstre au fond de ce gouffre,
Sur un lit de rocs et de soufre,
Retourne ses flancs entr'ouverts.

Ô lyre, des temps souveraine !
Si tu revivais sous mes doigts,
Jusqu'en sa prison souterraine,
Je ferais entendre ma voix.
Au son de ma voix menaçante,
Bouillonnerait de lave ardente,
L'Etna par Vulcain dévasté :
Je livrerais à sa furie
Tout ennemi de la Patrie,
De la Paix, de l'Égalité.

Des mortels, auguste apanage,
Égalité, fille des dieux !
Le Despotisme et l'esclavage
Te reléguèrent dans les cieux.
Reviens, adorable immortelle ;
Un roi bienfaisant te rappelle :
Des lys relève la splendeur.
Dis à l'Orgueil, à l'Égoïsme,
Qu'un généreux patriotisme
Est la véritable grandeur.

Vous qui portez l'humble prière
Jusqu'au trône de l'Éternel !
Vous à qui la vertu guerrière
Transmit un éclat immortel !
Gardez ces nobles privilèges ;
Mais quittez des droits sacrilèges,
Nés sous des règnes oppresseurs :
À ce Peuple qui vous contemple,
Donnez un magnanime exemple ;
Méritez enfin vos honneurs !

Laissez la noblesse vénale,
Fille récente de Plutus,
Défendre cet or, qu'elle étale
Au lieu de Gloire et de Vertus.
Mais vous, favoris de la Gloire !
Mais, vous enfants de la Victoire !
De cet or détournez les yeux.
C'est par le fer, par la vaillance,
Par leur sang, vengeur de la France,
Que s'ennoblirent vos aïeux.

Sous des enseignes belliqueuses,
Ralliant leurs vassaux épars,
Quand de leurs tours impérieuses,
Ils volaient aux dangers de Mars,
Affranchis des impôts vulgaires,
Leurs biens, noblement tributaires,
S'honoraient d'un impôt guerrier :
Aussi généreux qu'intrépides,
Des Soldats étaient leurs subsides ;
Leur unique prix, un laurier.

Aujourd'hui Cybèle et Neptune
Vous offrent d'autres prix encor :
Mars est amant de la Fortune ;
Ses palmes ont des rameaux d'or.
Aujourd'hui la Paix elle-même
Fait payer cher au diadème
Le faste indolent qui vous fuit ;
Un Peuple innombrable et docile
Cultive un champ, pour lui stérile,
Dont vous recueillez tout le fruit.

Cessent enfin sur nos rivages,
Ces intolérables abus !
Pliez vos superbes courages
À de volontaires tributs !
Que dans votre âme libre et fière,
Le vœu de la Patrie entière,
Du vil intérêt soit vainqueur !
De votre roi suivez les traces :
Louis immole à nos disgrâces,
Un luxe étranger à son cœur.

Ô Louis ! Ô roi populaire !
Français ! Tombez à ses genoux !
Il brise le sceptre arbitraire :
Il ne règne plus que pour vous.
Son nom, surpris par la vengeance,
Ne livrera plus l'innocence
Aux fers dont s'indignait Thémis.
La loi punira tous les crimes :
La loi seule aura des victimes ;
Louis ne veut que des amis.

Il veut que l'active pensée,
Des États flambeau créateur,
D'un joug honteux débarrassée,
Des cieux atteigne la hauteur.
Au fond de sa coupable enceinte,
Un tyran que poursuit la crainte,
Fuit une importune clarté :
Louis invoque la lumière :
Il ouvre une avide paupière
Aux rayons de la Vérité.

Qu'au nom d'un bienfaiteur suprême,
Se taise l'intérêt jaloux !
Autour de ce roi qui vous aime,
Heureux Français, rassemblez-vous ;
Depuis les rives fortunées,
Qui des Alpes aux Pyrénées,
Dominent sur les flots amers,
Jusques aux bords, où ma Patrie[1]
Se joint à l'antique Neustrie,
Pour commander à d'autres mers !

Venez au soc patriotique
Unir le glaive et l'encensoir,
Et former un pouvoir unique
Des nœuds de ce triple pouvoir !
Nation longtemps asservie !
Reprends la liberté, la vie,
Dans tes comices solennels !
Qu'aux yeux de l'Europe étonnée,
Repose enfin ta destinée,
Sur des fondements éternels !

Des tyrans, des conseils sinistres
Ont trop enchaîné l'Univers :
Un bon roi, de sages ministres,
Ô France vont briser tes fers !
Viens abjurer ton esclavage,
Viens achever ce grand ouvrage ;
Et que, défenseur de tes droits,
Après ces tempêtes horribles,
Vogue enfin sur des eaux paisibles,
Le cygne[2] du lac genevois !

 

  1. ^ La Bretagne.
  2. ^ Allusion aux armes de Necker qui portent un cygne.