Année 1789 (L')
Auteur(s)
Texte
Ça, ma voisine, oyez un conte neuf ;
C'est celui d'une année en merveilles féconde ;
C'est le tableau de l'an quatre-vingt-neuf :
C'est à rebours l'histoire de ce monde.
Des lois sans règle, un désespoir sans frein,
Une peuplade esclave, infortunée ;
De cent cachots le sombre souterrain,
Des Grands sans mœurs, une Cour effrénée,
Souillant le cœur de notre souverain :
C'était l'horreur de notre destinée
Vers le printemps de cette triste année ;
Et ce cahos, ce détestable enfer,
Se peut vraiment nommer siècle de fer.
Au mois juillet, un nouveau feu s'allume ;
La liberté brille dans tous les cœurs,
On voit couler le soufre et le bitume ;
Mille canons, mille foudres vengeurs
En mille endroits font retentir l'enclume.
Nous combattons, nous revenons vainqueurs ;
Le sang, la mort, sont pour nous une fête ;
Nous faisons plus : sur le fer assassin,
De nos tyrans nous promenons la tête.
Dieux ! Quel été ! C'est le siècle d'airain.
Mais cependant, voici venir l'automne,
Et de l'État le péril est urgent ;
Tout est brisé : plus de lois, plus de trône ;
Il faut payer le major, le sergent ;
Pas un écu, la mort nous environne :
Mais par bonheur, il nous reste un agent,
Necker le dit : voyez comme avec joie,
D'un cœur allègre et d'un pied diligent,
Chacun de nous le porte à la monoie :
Oui, cette automne est le siècle d'argent.
Ayant ainsi de la triste patrie
Abondamment recruté le trésor,
La liberté, cette âme de la vie,
Va, dans les cœurs, prendre un nouvel essor ;
La douce paix, depuis longtemps bannie,
Dans nos foyers peut reparaître encor ;
Et de nos maux la source étant tarie,
L'hiver prochain sera le siècle d'or.