Serment du Jeu de paume (Le)
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Texte
Air : Mon petit cœur à chaque instant soupire
Ô Liberté, combien est magnanime
Ce fier mortel qui, plein de ton ardeur,
Prend son essor, et dans son vol sublime,
Soudain s'élève et plane à ta hauteur !
Tel qu'un Hercule, en s'offrant à ma vue,
Aux nations vient-il donner des lois ?
Partout son bras, armé de sa massue,
Abat l'orgueil des tyrans et des rois !
Mais, est-ce toi, Liberté trois fois sainte,
Qui, dans ce lieu déployant tes attraits,
Fais pour toujours briller son humble enceinte
De tout l'éclat des superbes palais !
Oui, c'est toi-même, adorable, immortelle,
Qui, nous créant ces généreux vengeurs,
Pour soutenir la cause la plus belle,
Du plus beau feu viens embraser leur cœurs.
Tous pénétrés de ta céleste flamme,
Tous repoussant de coupables effrois,
Jurent ensemble au despotisme infâme,
Ou de périr, ou de venger nos droits.
Dans un délire où ce serment le jette,
Le spectateur en pleurant, le redit :
Le bras en l'air, le peuple le répète ;
Il le répète et le Ciel applaudit !
Peintre savant, ô toi qui, des Horaces,
Frappe mes yeux par l'étonnant tableau,
Fils du génie, heureux des grâces,
Viens enfanter un chef-d'œuvre nouveau :
Peins ces Français… Mais quoi ! Par sa magie
Déjà ton art me les fait admirer :
Quelle fierté ! Quelle mâle énergie !
Oui, ce sont eux… Je les vois respirer.
Législateurs qui vous couvrez de gloire,
Par le serment qu'ici vous prononcez,
Sur les tyrans vous gagnez la victoire ;
Usez-en bien ; ils sont tous terrassés.
Le despotisme, en sa rage exécrable,
Se flatte en vain d'un empire éternel ;
Votre serment, ce serment redoutable,
Est pour le monstre un arrêt sans appel !
Vœu superflu ! Les pères de la France
Brisent le fil de ses brillans destins ;
Affreux revers ! De sa vive espérance,
Le flambeau meurt et s'éteint dans leurs mains !
En s'élevant contre les fiers despotes,
Mille d'abord veulent tous les frapper ;
L'intérêt parle et mes faux patriotes,
Valets du Louvre, y vont soudain ramper.
Pour décevoir à ce point leur patrie,
Est-ce donc l'or, est-ce le fol orgueil
Qui, de l'honneur, dans leur âme flétrie,
Devient, hélas ! le trop funeste écueil ?
À leur début dans la vaste carrière,
Je vois en eux les plus grands des humains :
Vers le milieu, leur taille est ordinaire,
À peine au bout ils paraissent des nains.
Que prouvent-ils par leur lâche tactique,
Ces imposteurs qu'on nous fit encenser ?
Quel jugement l'opinion publique
Sur leur morale a-t-elle à prononcer ?
« Que tout mortel sans un cœur magnanime,
Fût-ce un Solon, n'est qu'un héros d'un jour,
Cent fois moins fait pour son rôle sublime,
Que pour l'emploi d'un vil pasquin de Cour. »