Liberté des mers (La)

Auteur(s)

Année de composition

s.d.

Genre poétique

Description

Sizains

Paratexte

Texte

Ils ont dit dans leur cœur : régnons seuls sur les ondes ;
Courons d'un pôle à l'autre enchaîner les deux mondes ;
Que la force et l'injure établissent nos droits ;
Que par nous asservi, sous une loi commune,
Le trident de Neptune
Gouverne dans nos mains les peuples et les rois.

Sur nos desseins d'abord jetons un voile sombre ;
De nos amis trompés sachons grossir le nombre.
Si le Ciel nous repousse, évoquons les enfers ;
Et pour mieux affermir du pouvoir britannique
Le sceptre tyrannique,
Employons et l'audace et le bras des pervers.

Ainsi, nouveaux Titans, leur orgueilleux génie,
Aspire sur les mers à rompre l'harmonie
De cet ordre éternel qui régit l'univers ;
Ils bravent cette loi, par la sagesse écrite :
« Que le sein d'Amphitrite ;
Embrasse et tienne unis tous les peuples divers. »

Souffriras-tu l'injure où leur orgueil se fonde,
Ô France ! Ô ma patrie, en héros si féconde ?
Ne foudroieras-tu pas ces droits persécuteurs,
Et ces mille vaisseaux affamés de conquêtes,
Comme autant de tempêtes
Promenant sur tes bords leurs malignes fureurs ?

En vain l'humanité s'indigne et se soulève ;
Avec le pauvre même ils ont rompu la trêve.
Ô parjures conseils ! Tyrans capricieux !
Du pécheur indigent la nacelle captive
Ne revoit plus la rive,
Où sa famille en pleurs le redemande aux dieux.

C'en est trop, renaissez, courages magnanimes !
Ô Duquesne, ô Forbin ! Vos exemples sublimes
Seraient-t-ils donc perdus pour les héros français ?
Mais ils ont pris l'essor, leur gloire est préparée,
Et les fils de Nérée
Vont des enfans de Mars égaler les succès.

Du Tage à la Néva j'entends gronder l'orage.
Toi seule tu frémis ô moderne Carthage !
Les rois auront l'appui d'un peuple souverain :
Le monde, à ce traité qui réunit leurs armes,
Ne conçoit plus d'alarmes ;
En pacificateurs ils se donnent la main.

Qu'oppose à cette ligue une altière puissance 
Elle n'a plus d'amis que Lisbonne et Byzance,
Et sa feinte amitié va creuser leur cercueil !
Peuples infortunés, voulez-vous de ses crimes,
Déplorables victimes,
Par elles subjugués, expier son orgueil ?

Ô mânes de Pombal, ombre auguste et chérie,
Viens de la tombe encor ranimer ta patrie !
Dis-lui que ses vengeurs forment déjà leurs rangs ;
Mais le Tage à ta voix, de ce sceptre insulaire,
Trop long-tems tributaire,
Repousse avec ses flots ses avares tyrans.

Quoi donc ! Impatiens d'étendre leurs ravages,
Ils courent menacer le Nil et ses rivages.
De quel aveugle espoir seraient-ils énivrés ?
Pensent-ils que l'Égypte eût oublié l'injure
D'un ministre parjure
Et ces affreux poignards au meurtre consacrés ?

Non, la terre d'Isis, libre un jour de ses chaînes,
N'ouvrira plus ses ports à leurs flottes hautaines :
J'en jure par Hermès au puissant caducée,
Par sa gloire offensée,
Qui rejette les vœux d'un peuple usurpateur.

« Tyrans, leur a-t-il dit, d'une voix menaçante,
Ainsi que vos succès, votre audace croissante
Veut envahir le monde et tout mettre à ses pieds :
Quoi ! De la Liberté, bienfait de la Nature,
Vous réglez la mesure,
Et fermez mon empire aux peuples effrayés !

Malheureuse Albion, tes coupables ministres,
Quand mon bras, écartant leurs pavillons sinistres,
À la France eut rendu ses héros triomphans,
N'ont-ils pas repoussé d'un dédain fanatique,
Le rameau pacifique
Que le chef d'un grand peuple offrait à tes enfans ?

Hé bien ! Reçois le prix d'une paix dédaignée ;
Il n'est pas loin le jour où la terre indignée
Va t'exiler toi-même et te fermer ses ports :
Ainsi d'un long orgueil expiant l'insolence,
Ton oisive opulence
Verra tous les besoins dévorer tes trésors.

Par des canaux impurs ta fatale industrie,
Versant ton or au sein de l'Europe flétrie,
Fit couler par torrens ce fléau des humains.
Ah ! Tremble que Plutus, infidèle complice,
Pour ton propre supplice,
N'arme de tes enfans les parricides mains !

Mais tes nombreux vaisseaux, tes besoins, tes largesses
Ont du Gange appauvri, dissipé les richesses,
Et l'or ne coule plus de ton sein épuisé.
Souviens-toi qu'il ressemble à la vague mobile
Qui vient battre ton île,
Et fuit plus vite encore au rivage opposé.

Abjure tes erreurs, il en est tems encore ;
Rends un sceptre usurpé que l'univers abhorre :
Que d'autres par son poids dans l'abîme entraînés !
De Tyr et de Carthage entends gémir les ombres ;
À peine leurs décombres
Sont-ils pour attester leurs beaux jours terminés.

Vois ces nouveaux Césars qui, de la Germanie,
Accourant pleins d'honneur, d'audace et de génie
Vont d'un rapide élan franchir ces flots amers.
Et bientôt par mon bras guidés vers la Tamise,
Sur sa rive soumise
Entends-tu proclamer la liberté des mers ? »