Épître aux défenseurs de la patrie
Auteur(s)
Paratexte
12 nivôse an V
The glory of soldiers cannot be completed, without acting well the part of citizens.
Letter of Washington
La gloire des soldats ne sera complète, qu'autant que, dans la vie privée, ils sauront obéir aux lois et remplir avec exactitude les devoirs de citoyen.
Lettre de Washington à son armée
Aux membres du Directoire exécutif
Je vous adresse l'épître suivante que je vous prie de transmettre à nos braves défenseurs ; elle exprime la reconnaissance profondément sentie, qu'ils m'ont inspirée ainsi qu'au peuple que j'ai l'honneur de représenter ; elle annonce aussi celle dont tous les véritables amis de la patrie seront pénétrés pour vous, lorsque vous lui aurez donné la paix.
Pacem te poscimus omnes.
Virgilius, Aeneid., lib. II
They fight for their liberty, and the gods, who are enemies to tyranny, fight for them.
Ils combattent pour la liberté, et les dieux, qui sont ennemis de la tyrannie, combattent pour eux.
Ramsai, Tome 2, page 136
Texte
Guerriers français, je viens vous porter mon hommage :
Eh ! Quand, de toutes parts, votre bouillant courage
A dompté tant de fois nos ennemis nombreux,
Quel cœur ne doit se plaire à devancer l'histoire ?
Pourrais-je, spectateur de vos coups généreux,
Ne pas monter ma lyre au ton de la victoire ?…
La louange du Pinde est le prix de la gloire.
Rappelons-nous ces jours périlleux, menaçants,
Où, des flots d'étrangers, inondant nos frontières,
De nos faibles cités renversaient les barrières,
Et déjà pénétraient au milieu de nos champs ;
Leurs généraux, parés de cent palmes guerrières,
Et, près de Frédéric, blanchis sous le harnois,
Voulaient, dans Paris même, arborer leurs bannières,
Et, sous le trône antique, au mépris de nos droits,
Écraser le berceau de nos naissantes lois.
Contre tant d'ennemis qu'opposait la patrie ?
De novices soldats, mal vêtus, mal armés,
Des officiers obscurs, des chefs peu renommés :
Mais de la liberté tutélaire magie !
Quelques Français, tout neufs encore aux champs de Mars
Apprennent d'elle à vaincre une armée aguerrie :
Devant eux Brunswick même a perdu son génie,
Et ses guerriers, vieillis au milieu des hasards
Qui, fiers d'un vain succès, dans leur folle jactance,
Naguère se vantaient de subjuguer la France,
Sont vaincus, fugitifs, et loin de nos remparts,
Cachent en frémissant leurs honteux étendards.
Bientôt, chez l'ennemi, nos vaillantes cohortes
Vont transporter l'effroi qu'il croyait inspirer :
Ses soldats ne sont plus, ou n'osent se montrer ;
Tous les rois ont pâli ; leurs places les plus fortes
Aux rapides vainqueurs ouvrent, déjà leurs portes.
Combien je me plairais à tracer fortement
Tant d'exploits, qui vivront au temple de mémoire !
Mais est-il des couleurs pour peindre dignement
Ces assauts ces combats, cette moisson de gloire,
Et ce brûlant civisme, et ce beau dévouement,
Et, ces quatre ans qui sont un siècle de victoire ?…
Ce superbe tableau n'appartient qu'à l'Histoire.
J'aimerais à chanter aussi nos généraux,
Qui, d'eux mêmes, ont su, sans guides, sans modèles,
Cueillant de tous côtés des palmes immortelles
Marcher rapidement, sur les pas des héros :
Je voudrais les nommer, c'est les louer sans doute ;
Je voudrais célébrer les glorieux essais
De ce penseur profond qui, dirigeant leur route,
Par les plans du génie, assura leurs succès :
Je les vois tous en place encore… Je me tais.
Illustre Pichegru, c'est toi seul que je nomme :
Après avoir atteint le faîte de l'honneur,
Aujourd'hui, retiré, sans pompe, sans splendeur,
Avec tes souvenirs, tu vis seul, ô grand homme !
Et cette obscurité d'un simple agriculteur
Fait avec plus d'éclat ressortir ta grandeur ;
Tel on vit autrefois, lors des beaux jours de Rome,
Cincinnatus d'un soc charger son bras vainqueur.
Mais un trait, plus sublime encor que leur vaillance,
Honore nos guerriers : dans nos sanglants débats,
Les factions sur eux n'ont point eu d'influence ;
À la liberté seule ils vouèrent leurs bras,
Et toujours ennemis de l'aveugle licence,
Ils cueillaient des lauriers, au milieu des combats,
Quand l'affreux terrorisme asservissait la France.
Ô souvenirs cruels ! Ô lugubres tableaux !
Faut-il peindre ces jours témoins de tant de crimes,
Ces suspects, ces geôliers, ces verrous, ces cachots,
De nos tyrans abjects les horribles maximes,
Leurs juges assassins, leurs féroces bourreaux,
Et le fer permanent des nombreux échafauds
Qui chaque jour frappait d'innocentes victimes ?
Durant le cours sanglant de ces jours désastreux,
Qui n'eut point à pleurer les pertes les plus chères !
Alors j'eus des amis, hélas ! et des neveux
Qui… Mais pour écarter ces images amères,
Je cherche nos soldats, dont les vertus guerrières,
De ces pensers affreux détournent mes esprits :
Je me plais à les voir, sortis de nos frontières,
Parcourir, en vainqueurs les climats ennemis.
Hé ! De tant de travaux quels furent les salaires ?
Quand d'un sang précieux, versé pour leur pays,
Ces héros arrosant les terres étrangères,
Du sang de leurs parents versé par des sicaires,
Les échafauds sans cesse étaient alors rougis.
L'Histoire, un jour, dira ces temps de barbarie,
Ces temps, où la vertu, les talents, le génie,
En masse étaient proscrits par des hommes cruels ;
Des traits de feu peindront leur longue tyrannie ;
On y lira ces mots, désormais immortels,
Lorsqu'en France il n'était ni vertu, ni patrie,
Les camps osèrent seuls leur dresser des autels.
Soldats, des traits si beaux feraient chérir la guerre :
Nous vous devrons encor le plus grand des bienfaits,
Suite et prix désiré de vos exploits… La paix.
Ce que j'aime des dieux, ce n'est pas leur tonnerre :
La paix est aujourd'hui le besoin des Français.
Mère des bonnes lois, des arts, de la justice,
Ô bienfaisante paix ! Quel avenir propice
Tu présentes d'avance à mon cœur enchanté
Par toi, sont la vertu, l'ordre, la liberté ;
Sans toi, je ne vois plus qu'un affreux précipice :
Brille sur mon pays trop, longtemps agité ;
Reviens, céleste paix : est-il un sacrifice,
Qui, pour te conquérir, doive être regretté ?
J'entends des malveillants, eh ! que dis-je ! Des sages,
S'écrier : « Nous savons honorer nos guerriers.
Et de la paix aussi sentir les avantages,
Mais, quand nos défenseurs, tout chargés de lauriers,
Pourront enfin revoir nos humbles héritages
Aurons-nous bien la paix, au sein de nos foyers ?
Qui nous préservera des troubles, des pillages ?… »
Sans doute, dans les camps, comme dans les cités,
Il est de ces fléaux de l'état politique,
Pour qui l'ordre et la paix, sont des calamités ;
Mais ils auront contre eux toutes les volontés,
Ce fondement certain de ma force publique,
Et ces mêmes guerriers, qu'on redoute aujourd'hui,
Disséminés alors dans nos climats paisibles,
À nos toits rassurés prêteront leur appui,
Par un nouveau bienfait de leurs bras invincibles.
Je le jure, soldats, par vos plus chers liens,
Par l'honneur, le devoir et par vos renommées ;
Oui je jure en vos noms, que vos mains désarmées
De nos lois deviendront les plus fermes soutiens :
Vous serez, dans nos murs, aussi bons citoyens,
Que vous parûtes grands, au milieu des armées.
Liceat aliquando firmo reipublicae statu nos frui, interque nos conferre sollicitudines nostras quas pertulimus !
Cicero, Epistolae ad familiares, lib. 6