Petite épître à quelques auteurs de grandes satires
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Paratexte
Texte
La paix a déserté l'asile
Où se cantonnait Apollon :
La guerre intestine et civile
Est sur le moderne Hélicon.
En prose, en vers, on se déchire ;
On immole, on est immolé :
On flagelle, on est flagellé
Du fouet sanglant de la satire.
Il nous éclot, chaque matin,
Un Gilbert, un Perse, un Horace,
Et nous comptons sur le Parnasse
Trente Boileau pour un Catin.
Par les neuf chastes immortelles,
Pourquoi ce scandale et ces cris ?
Que nous importent vos libelles,
Et que prouvez-vous, mes amis !
– Parbleu ! Du goût la décadence,
Et la sottise des écrits,
De nos artistes l'ignorance,
Et celle de nos beaux esprits.
L'apostrophe est assez banale :
Cent fois on a dit tout cela.
Notre siècle est un peu vandale :
On le soupçonnait bien déjà,
À voir les vers de quelques autres ;
Mais personne n'en doutera
Sitôt qu'on aura lu les vôtres.
Mais non : je ne crois pas du tout
À cette ardeur et noble et belle,
Qui du dieu des arts et du goût
Vous fait épouser la querelle.
Vous concevez un autre espoir,
Et vous vous bornez à vouloir
Faire au public la confidence
De votre modeste existence
Qu'il ne pouvait apercevoir.
En vain votre métromanie
Se consumait en jolis vers ;
Vous promeniez dans l'univers
Votre imperceptible génie.
À petit bruit, et sans écho,
Vos muses n'étaient encensées
Que dans ces commodes lycées ;
Où l'on s'illustre incognito,
Et des beautés de vos poèmes
Admirateurs, dans vos journaux,
Vous étiez à la fois vous-mêmes
Vos trompettes et vos héros ;
Mais, par un singulier délire,
Le reste de la terre, hélas !
S'obstinait à ne point vous lire,
Même à ne vous connaître pas.
Tenez, soyez vrais : je parie
Que cet oubli contemporain
Tourmenta parfois votre vie,
Et que le diable de l'envie
Seul vous mit la plume à la main.
Allons, puisque rien ne seconde
Nos transports de gloire jaloux,
Injurions, pensâtes-vous,
Ceux dont on parle dans le monde,
Pour que l'on parle aussi de nous.
Ainsi, d'une ardeur peu commune,
Vous voulez détruire, fripons,
Quinze ou vingt réputations
Pour pouvoir en attraper une.
Par ma foi ! Vous faites déjà
Assez joliment vos affaires,
Et, grâce au Ciel, enfin, mes frères,
On a su que vous étiez là.
Tel, de l'industrieuse abeille
Rival envieux et mutin,
Pour troubler la paix du jardin,
Le frelon en grondant s'éveille,
Frappe un instant l'air d'un vain bruit,
Existe, et nous en avertit
En bourdonnant à notre oreille.
À l'Institut, par un cartel,
Vous avez déclaré la guerre ;
Vous voulez, dans votre colère,
Précipiter de son autel,
Et du satirique tonnerre
Pulvériser maint immortel.
Oh ! Tenez ; vous avez beau feindre
De fiers et superbes dédains,
Vous trouvez trop verts les raisins
Auxquels vous ne pouvez atteindre.
Mais Hercule est-il outragé
Par un mirmidon en furie ?
Sur vos vers on vous apprécie,
Et l'Institut est trop vengé.
Piron railla l'Académie ;
Mais avec art il maniait
L'arme de la plaisanterie ;
Du trait piquant qu'il employait
La pointe était fine et jolie.
Pardon : mais, entre nous soit dit,
Je vous trouve, dans la critique,
Un peu sobres de sel attique,
Et très économes d'esprit.
Vos gaîtés sont tristes et dures,
Votre ton sans honnêteté :
Vous croyez avoir plaisanté
Quand vous avez dit des injures.
Vous n'êtes pas du tout galants ;
Vous avez outragé les dames,
Et de Piron singes pesants,
Vous avez assommé les gens
Du marteau de vos épigrammes.
Rassurez-vous. Nous avons ri.
Le trait que la malice lance,
Bon ou mauvais, est applaudi :
On aime à s'égayer en France,
Il n'importe aux dépens de qui.
Mais quoi ! Sur un monde frivole
Bien insensé qui se fiera !
Ce dont un instant il raffole,
L'instant d'après l'excédera.
On est aujourd'hui son idole ;
Demain il vous immolera.
À le fatiguer de vos rimes,
Messieurs, vous commencez déjà :
Après avoir ri des victimes,
Des persécuteurs il rira.
Une revanche assez piquante
Serait, Messieurs, de vous nommer :
Mais une autre, bien plus sanglante,
Serait de vous réimprimer.