Philosophes (Les)

Auteur(s)

Année de composition

1793

Genre poétique

Description

Alexandrins en rimes plates

Texte

Fontenelle, illustrant Vandale et ses oracles,
Du siècle, qu'il ouvrit, prépara les miracles.
Voltaire, plus hardi, déchire le rideau ;
Des superstitions fait tomber le bandeau ;
Accoutume le peuple, instruit par ses ouvrages
À bafouer l'Église, à révérer les sages,
À raisonner de tout ; et sur l'égalité,
Pose les fondements de notre liberté.

Diderot, rugissant au donjon de Vincennes,
Y jura sur ses fers, aliments de la haine,
De chercher des vengeurs, et d'éteindre à la fois
Les foudres du pontife et la race des rois.
Et tandis que Franklin, dans une autre atmosphère,
Allait ravir aux dieux les secrets du tonnerre,
Le fils d'un coutelier, une plume à la main,
Changeait, dans son taudis, le sort du genre humain.
De là, ce monument trop imparfait sans doute.
Mais l'artiste triomphe. Il a frayé la route ;
Et plus heureux que lui, ses nombreux successeurs
N'iront plus émousser les ciseaux des censeurs.

Rousseau vient. Le malheur fut sa première école
Formé, dans le silence, à l'art de la parole,
Il sortit, tout à coup, de son obscurité.
La lumière, à grands flots, jaillit de tout côté.
L'homme courbé se lève en secouant ses chaînes.
Il aperçoit le jour qui va finir ses peines ;
Et, les bras étendus vers son libérateur,
Croit voir descendre encor l'esprit consolateur.

Mably, sans rhétorique et non pas sans génie,
N'arma que la raison contre la tyrannie,
Né pour l'indépendance, il aperçut l'écueil
Où devait se briser le luxe de l'orgueil :
Embrassa l'âpreté des mœurs républicaines :
Nous montra Phocion condamné dans Athènes,
Mais libre, mais vengé par sa postérité,
Et puisant dans la mort son immortalité.

 
 

Sources

Almanach des Muses de 1794, ou Choix des poésies fugitives de 1793, Paris, Delalain, an II, p. 165-166.