Liberté (La)

Année de composition

1800

Genre poétique

Description

Mots-clés

Paratexte

Poëme en 6 chants et en vers libres.

La Liberté dans l'homme est la santé de l'âme.
        Voltaire

Texte

Invocation

Éloignez-vous, muses adulatrices,
Qui vantez des tirans les fureurs et les vices ;
À la Fortune adressez vos accens,
Et pour le crime heureux réservez votre encens.
Mais vous, filles du ciel, dont les accords sublimes
Honorent les talens, les vertus et les dieux,
Échauffez mes esprits, présidez à mes rimes ;
Ma lire formera des sons harmonieux.
Et toi, chère patrie, applaudis à ma verve.
Je consacre mes chants à ta célébrité ;
Brûlant de ton amour, inspiré par Minerve.
Je vais chanter la Liberté.
Guidé par elle un jour, le burin de l'Histoire
Tracera les malheurs, les triomphes, la gloire
D'un peuple généreux affranchi de ses fers,
Inscrira ses héros au temple de mémoire.
De leurs brillants exploits instruira l'univers.

Premier chant

La France au moment de la Révolution. Le trône renversé, le temple de la Liberté. La licence veut le détruire. Le fanatisme souffle la discorde, la guerre s'alume. La Liberté paroît dans tout son éclat. Son discours aux François ; l'effet qu'il produit ; efforts du fanatisme et de l'anarchie. Les armées françoises victorieuses.

Dans ces champs fortunés où l'aimable Nature
Semble inviter la noble Agriculture,
À accueillir ses fruits délicieux :
Ou l'or pur des moissons, par un heureux mélange,
Unit son éclat précieux
À la pourpre de la vendange.
Dont les fertiles bords arrosés par deux mers,
Reçoivent en tribut les dons de l'univers.
Dans cette agréable contrée
Où le bonheur avec Astrée
Auroit dû fixer son séjour.
Un peuple magninime, industrieux et sage,
Favori de Pallas, et de Mars tour à tour.
Gémissoit sous le joug d'un honteux esclavage.
Les cris des opprimés qui réclament leurs droits
Ne parviennent jamais à l'oreille des rois.

Le François fatigué de sa misère extrême
Brave, en son désespoir l'orgueil du diadème,
Ose arracher le sceptre au dernier des Capets,
Dont la chute expia dix siècle de forfaits.
Alors, à ce signal donné par le courage,
Sur l'Europe ébranlée il se forme un orage,
L'orgueil, de la discorde emprunte les serpens,
Et soufle leurs poisons dans le cœur des tirans.

Malgré les fureurs de Bellone
Un temple s'éleva sur les débris du trône.
C'est à la Liberté que la vertu, l'honneur
Vouloient le consacrer… Mais, ô honte ! Ô douleur !
Bientôt on vit souiller son enceinte sacrée.
La licence y parut de traîtres entourée.
La fureur dans les yeux, la rage dans le cœur,
Sans choix et sans égards immolant ses victimes.
Et sur ses pas sanglans entraînant tous les crimes.
Bientôt cette furie, en son fougueux transport,
Sur la France étendit le linceuil de la mort.

Cependant en secret le sombre fanatique
Dans le conseil des rois, à la Cour des Césars,
Tramoit de noirs complots contre la République,
À l'abri des autels, aiguisoit des poignards.

Bientôt de tous côtés le démon de la guerre
Poussa des hurlemens, fit gronder son tonnerre.
Des despotes jaloux déjà les escadrons
Foudroioient nos remparts, écrasoient nos moissons.
Devant eux secouant une torche infernale
On voïoit s'avancer la Discorde fatale.
La Vengeance, agitant un fer ensanglanté,
Et la Haine, à l'œil creux, marchoient à son côté.

La fière liberté, trop longtems outragée,
Abaisse ses regards sur la France affligée.
Du céleste séjour, elle vole ; à sa voix
Le peuple se rassemble et demande des loix.
La sévère Équité sa compagne fidelle,
la naïve Candeur, tendant ses mains vers elle ;
La sainte Humanité les yeux baignés de pleurs,
Conduisent à Paris le char de l'Immortelle.
L'espoir à son aspect renaît dans tous les cœurs.

Elle dit : « Apprenez quelle est votre naissance.
Oui, vous êtes, François, les nobles descendans
De ces enfans du Nord, de ces antiques Francs,
Sur les bords de la Seine appelés par la Gloire,
Pour dompter des Césars, fléaux des nations,
Les intrépides légions.
À vos drapeaux alors j'enchaîne la victoire.
Mais l'affreux despotisme avilit vos lauriers,
Et courba sous son joug de généreux guerriers.
Vos fronts où se peignoit l'ardeur et le courage
Furent marqués par des tirans
Du sceau honteux de l'esclavage.
Ah ! Rougissez, depuis mille ans
Des querelles des rois déplorables victimes,
Vous rampiés dans les Cours, et vous serviez leurs crimes.
Ces tems sont écoulés ; déjà votre valeur
A lavé cet affront, et votre bras vengeur
Sur le trône a lancé la foudre,
Et jusqu'aux fondemens il l'a réduit en poudre.
Déjà ce monument de l'abus du pouvoir
Tombeau de l'innocence, ou l'affreux désespoir
Se nourrissoit de pleurs ; ce fort qu'un roy barbare
Éleva dans Paris sur les plans du Tartare ;
Où la mort sembloit vivre et la vie expirer,
De son môle orgueilleux a vu tomber la cime,
Et vos bras généreux affrontant le danger,
Ont vengé les humains, en punissant le crime.
François qu'attendez-vous ? Après de tels exploits
Croyez-vous avoir fait assez pour votre gloire ?
Avec orgueil les esclaves des rois
S'applaudissent déjà de plus d'une victoire.
Bientôt des nations méconnoissant les droits
Vous les verrez dans leur course rapide,
Précédés par la peur, au teint pâle et livide
Ne laisser après eux, sur leurs funestes pas,
Que la douleur et le trépas.
Vous verrez la faim décharnée
Des cadavres rougeant les os ;
Et la vieillesse abandonnée
Couverte à peine de lambeaux.
En pudeur contre des infâmes
Cherchant vainement un abri :
Le père expirant dans les flammes
Qui consument son toit chéri.
De son amour le tendre gage
Massacré par l'aveugle rage,
Sur le sein qui l'avoit nourri.
Bientôt vous les verrez autour de vos murailles,
S'annonçant protégez par le Dieu des batailles,
Vous livrer des assauts, et pour piller vos champs,
Se frayer un chemin sur vos corps expirans.
Par quelques vains revers… Quoi ! Votre âme flétrie
Seroit-elle donc sourde au cri de la patrie ?
Si de vos premiers fers, j'ai pu vous dégager,
Dois-je vous voir courber, sous un joug étranger ?
J'en atteste l'honneur, la vertu, la Nature…
Bravez tous les tirans et vengez mon injure.
Pouvez-vous redouter de pareils ennemis ?
À qui combat pour moi le triomphe est promis. »

À ces mots de sa lance elle frappe la terre.
À ce signe aussitôt, bouillante de fureur
La jeunesse s'arme du glaive de la guerre,
Déserte ses foïers et vole au champ d'honneur.

Ainsi que la flamme électrique
À l'instant cette ardent au loin se communique.
La France reprenant son antique fierté,
Se lève toute entière au cri de liberté.

Ce fut à ce doux nom que feurs de la victoire
Pour repousser l'oppression,
Les enfants de Cécrops, se couvrirent de gloire
Dans les plaines de Marathon.
À ce mot des Tarquins l'ambitieuse race
A vu briser son sceptre et braver son audace.
À ce mot le grand Tell osa, d'un trait vainqueur,
Atteindre son tiran et lui percer le cœur.

La main du fanatisme au meurtre accoutumée,
D'un glaive étincelant déjà s'étoit armée.
D'un envoyé des cieux il emprunte les traits :
Il soulève le peuple et l'excite aux forfaits.
Dans ses harangues criminelles,
À l'habitant grossier qu'il conduit aux combats,
Il promet, dans trois jours, que vainqueur du trépas
Il doit être affranchi de ses loix éternelles,
Et que vers ses foïers il conduiroit ses pas.
Il sert l'ambition, la haine, la vengeance,
Aux peuples égarés prêche l'intolérance.
Sorti de l'Achéron, ce monstre au cœur de fer
Sur la France sembloit avoir vomi l'Enfer.
Du fils contre le père il excite la rage ;
De l'amitié rompt les doux nœuds ;
De l'amour même éteins les feux.
Les cheveux hérissés et la vüe égarée
L'Anarchie en fureur de contrée en contrée,
Vole en poussant des cris séditieux,
Outrage les mortels, insulte même aux dieux.
Son bras dévastateur, dans son aveugle rage
Renverse tout sur son passage.
On voit sur la poussière épars
Les temples, les palais, les monumens des arts ;
Les talens avilis, les sciences craintives
Étoient errantes, fugitives.
De la jeune beauté les timides regards,
La naïve candeur de l'aimable jeunesse ;
Les rides du vieillard, du sexe la foiblesse,
Les pleurs du sentiment, les cris de la douleur,
Ne faisoient qu'irriter son atroce fureur.

Vous de l'Antiquité fictions effraïantes
Redoutable Cerbère aux trois gueulles béantes,
Thisiphone, mégère, inflexible Caron ;
Vous nés dans le bourbier de l'impur Phlégéton ;
Et vous Gorgone impitoyable ;
Cédez, cédez en cruauté
En fureur, en atrocité,
En soif du sang… Un monstre détestable
Vous a tous surpassés par ses crimes divers…
La France entière accuse ce coupable…
Ô muse de son nom… Ne souille pas mes vers !

Liberté dans ces tems au temple de la Gloire
Tu conduisois nos braves légions,
Sous leurs drapeaux tu fixois la victoire
Et tu domptois les nations.

Tel du haut d'un rocher, sur un agneau timide,
L'oiseau de Jupiter fond d'une aile rapide,
C'est en vain que des monts, dont le front sourcilleux
Semble à l'œil étonné se perdre dans les cieux,
Opposent aux François leur antique barrière ;
Des fleuves le rapide cours,
Vainement par mille détours,
Les voudroit arrêter dans leur noble carrière ;
Liberté, les dangers irritent tes enfans,
En vain des ennemis l'orgueilleuse arrogance
Du haut de leurs remparts insulte à leur vaillance ;
Tout cède à la vigueur de leurs bras triomphants
Ils domptent jusqu'aux élémens.

Ô ! Plaine de Jemmape ! Ô ! Théâtre de gloire !
Du despote allemand les nombreux bataillons
Osent à nos héros disputer la victoire ;
Mais bientôt de leur sang ils trempent les sillons.
La baillonnette avide de carnage
Perce leurs flancs et glace leur courage.
À ta voix, Liberté, leurs rangs sont dispersés
Sous les traits de ta foudre ils tombent reversés ;
À Fleurus tu disois : dans ce champ peuple brave
Tu fus deux fois vainqueur quand tu n'étois qu'esclave…
Libre… À ce mot on vole, et bientôt nos guerriers
Reviennent couverts de lauriers.

Chant second

Conquêtes de la Belgique et de la Hollande ; mort du général Marceau, son apparition, son discours aux soldats, triomphe au Nord et au Midy ; le fanatisme excite l'intolérance ; guerre de la Vendée ; le génie de la France va trouver la Liberté, description de son temple ; réponse qu'elle fait au génie ; crimes de la superstition ; affreux sacrifice offert à la divinité.

Au fond de ses grotes profondes,
Sur son urne la Meuse entend frémir ses ondes ;
Ses flots précipités bouillonnant de frayeur
Jusques sur le Batave annoncent la terreur.
Ce peuple en d'autres tems vit ses rives fougueuses
D'un despote arrêter les troupes orgueilleuses.
Mais l'hyver enchaînant ses fluides remparts,
Le François les franchit d'un pas seul et rapide.
Et de la liberté, d'une main intrépide,
Sur les murs d'Amsterdam plante les étendarts.

Plus loin dans ses roseaux le Rhin cachoit sa tête
Sur ce fort que deffend et la Nature et l'Art,
Mais contre des François, fragile boulevard,
Il entendoit éclater la tempête.
Et bientôt le vainqueur en traversant ses eaux,
Vers Vienne va chercher des triomphes nouveaux.

Ah ! Que vois-je ! Un ciprès mêle dans ces contrées
Ses lugubres rameaux aux plus brillants trophées !
De la fille du Ciel, les yeux chargés de pleurs
Aux soldats consternés annoncent des malheurs.
Son cœur est noble et fier ; mais son âme est sensible.
Ah ! Le fatal ciseau de la Parque inflexible
Vient de trancher le fil des jours de ce héros.
L'émule de Bertier par ses nobles travaux :
Toi regretté dans ton heure suprême
De tes rivaux, de tes ennemis même…
Quoi ! Marceau, tes talents sont-ils donc superflus ?
Rien ne peut-il fléchir le sort barbare ?
Un plomb mortel t'atteint… Et déjà tu n'es plus…
Ah ! Permets que ma voix de louanges avare
Célèbre ta grandeur, tes exploits, tes vertus.

Telle on voit une rose au lever de l'aurore
Rouvrir par ses parfums, briller par sa couleur,
Faire quelques instants les délices de Flore,
Et tomber tout à coup sous le fer destructeur.
Ainsi, Germanicus, l'espoir de la patrie,
Jeune encore de tes jours la source fut tarie.

Tandis que des soldats le zèle officieux
Recueilloit du héros les restes précieux,
Que les tambours voilés d'un crêpe funéraire,
Par leurs lugubres sons exprimoient la douleur ;
D'une gloire soudain la brillante splendeur
Jaillit en longs sillons de l'urne cinéraire.
De ce froid monument les accens échapés
Par les échos sont au loin répétés.
« Si vous voulez honorer ma mémoire
Ce n'est point par de vains regrets,
Ce n'est point en mêlant de funestes cyprès
À des lauriers cueillis au champ de la victoire ;
Fils de la Liberté retournez aux combats ;
Affrontez les dangers et vengez mon trépas.
Dans un sang avili, rebut de la Nature,
D'un peuple libre allez laver l'injure.
Du haut des cieux je conduirai vos bras. »
À ces mots la douleur qui suspend leur courage,
Se change en une affreuse rage.
Il semble que Marceau guide encor leurs drapeaux ;
Fleuves, rochers, soldats, canons, bombes, murailles,
Tout est bravé, franchi, jonché de funérailles.
Rien ne résiste à leurs assauts ;
Leur marche triomphante est celle des héros.

Aux bords du Rhin tandis que cette armée
Lassoit l'agile Renonnée
Par le récit de ses faits éclatants ;
Au midi de nouveaux titans
Escaladoient les Pyrennées.
Leurs cimes en tous tems de neige couronnées,
S'abaissoient sous les pas de ces fiers combatans.
Sur des rocs élevés au-dessus du tonnerre
Ton enseigne flottante, auguste Liberté,
Du Castillan par tes enfans dompté,
Atteste la défaite et l'annonce à la terre.

Sur des bords étrangers de carnage fumans
Ô Liberté ! Tandis que la victoire
Couvre la nation des rayons de la gloire
Quoi ! Dans ses agréables champs
Le cruel Fanatisme excite ses serpens ?
La Superstition fille de l'ignorance,
Pose encor son bandeau sur les yeux de la France ?
Et remet dans ses mains le fer toujours sanglant
Dont la barbare Intolérance
À l'ombre des autels aiguise le tranchant.
À leur voix la Discorde, implacable furie,
De fiel et de poison dans le cloître nourrie,
Obscurcit des vapeurs de son fatal flambeau.
Le climat le plus doux, l'horison le plus beau,
Ô ! Théâtre d'horreur ! Malheureuse Vendée !
Par de vils préjugés, quoi sans cesse obsédée,
Veux-tu donc de la mort, déployant le drapeau,
Que la terre arrosée et de sang et de larmes,
Soit le fatal séjour des plus vives allarmes ?
Et ne présente plus qu'un immense tombeau ?
Victimes de l'erreur, quoi vos bras sanguinaires
Ne sont-ils donc point las de massacrer vos frères ?
Infortunés mortels ! Hé vous ne voyez pas
Pitt creuser chaque jour un goufre sous vos pas ?
Contre de vrais héros la jalouse Angleterre
N'osant pas la valeur prétendre à des succès,
Répand l'or corrupteur pour allumer la guerre,
Ose acheter le crime et payer vos forfaits.

Dans ces moments affreux, ô France ton génie
Fuis, vole, fend les airs, arrive épouvanté
Au temple de la Liberté.
Près des bords de la Germanie,
Sur un roc sourcilleux, loin de la tirannie,
Tell en plaça les fondemens,
De son grand caractère éternels monumens.
De ce temple fameux la simple architecture
Doit bien moins ses beautés à l'art qu'à la Nature.
Il n'est point surchargé d'ornemens déplacés,
Condamnés par le goût, par le faste entassés.
D'esclaves soudoyés la troupe mercenaire
N'en défend point le sanctuaire.
Aux tirans ennivrés de quelques vains succès,
Et la gloire et l'honneur en ferment les accès.
Écrasant sous ses pieds des sceptres, des couronnes,
Assise avec fierté sur les débris des trônes,
La déesse entendit, non sans verser des pleurs,
Le long récit de nos malheurs.
« Braves Français, s'écria la déesse,
Peut-on à tant de force, unir tant de foiblesse !
À quoi sert ce grand nom d'invincibles guerriers ?
Ces triomphes nombreux, ces moissons de lauriers ?
Si dans les noirs transports d'une aveugle furie
Vous déchirez le sein de la patrie ?
Quoi faut-il donc pour de foles erreurs
Massacrer vos parens, vos frères et vos sœurs ?
Fermez, fermer l'oreille à la noire imposture
Écoutez la Raison, écoutez la Nature ;
Toutes deux s'écriront dans le fond de vos cœurs,
Dieu lui-même a gravé de ses mains paternelles
Le code consolant de ses loix éternelles.
A-t-on vu ces Romains, ce peuple de vainqueurs,
Prendre parti pour ses augures,
Et répandre son sang pour venger les injures
De quelques prêtres imposteurs ?
Vous qui sous mes drapeaux de l'Europe étonnée
Depuis dix ans changez la destinée,
Vous qui libres enfin, même au-delà des mers,
Osez former l'espoir d'affranchir l'univers,
Ah ! Cruels arrêtez… Peuple aveugle et barbare…
De votre propre sang soyez donc plus avare…
Toujours juste et clément de l'homme vertueux
Quelque soit son climat le Ciel entend les vœux.
Sous un voile sacré masquant ta politique
Cesse donc d'irriter, insensé fanatique ?
Un Dieu qui fait mûrir les moissons de nos champs,
Qui pardonne à l'erreur, ne haït que les méchants.
Vas retourne, aimable génie,
Appaise la douleur de ton cœur attristé.
Bientôt tu reverras, au cri de liberté,
Renaître dans tes murs la paix et l'harmonie ;
Conduis vers le couchant tes fières légions ;
Je saurai te choisir un chef dont la prudence
A dans tous ses exploits dirigé la vaillance,
Et qui sait réunir, exempt de passions,
La tête de Nestor aux bras des Scipions.

Le génie emporté sur ses ailes dorées,
Revoit bientôt les horribles contrées,
Où de barbares mains commetent des forfaits
Que les voiles du tems ne couvriront jamais.
Où le zèle se change en une affreuse rage ;
Où docile à la voix d'un derviche inhumain,
Et se croyant guidé par le Ciel qu'il outrage,
L'homme égaré devient moins guerrier qu'assassin.

Ah ! La postérité voudra-t-elle le croire ?
Muse d'un tel récit peux-tu tracer l'histoire ?
Tu frémis, tes crayons échapent de tes mains…
Poursuis… Montrer le crime est servir les humains.

Dans l'enceinte d'un monastère,
Des vices odieux repaire,
Des fénéans obscurs à la divinité
Consacroient leur oisiveté.
Là s'élevoit un bois dont jamais la lumière
N'avoit pu pénétrer l'invincible barière.
On n'entendoit sous ses épais rameaux
Que les gémissemens des nocturnes oiseaux.
Ses détours ténébreux cachoient une caverne
Qui sembloit par sa profondeur
Être voisine de l'Averne.
C'étoit dans ce séjour d'horreur
Que méditant de nouveaux crimes
D'un peuple fanatique et guidé par l'erreur
Sur un autel sanglant, les chefs avec fureur,
Aux pères des humains, immoloient leurs victimes.
Un jour dans ce repaire, une femme, ô douleur !
Sur un corps expirant assouvissant sa rage,
D'une main forcenée en arracha le cœur…
En exprima le sang et s'en fit un breuvage…
Ce fut sur cet autel qu'un ministre sacré
Osa les yeux baissés et d'un air pénétré,
Offrir à l'Éternel son impur sacrifice…

Ô Dieu plein de bonté ! Dieu d'amour, Dieu de paix !
Ô Dieu qui n'est connu que par tant de bienfaits,
Croyoient-ils qu'une main de leurs crimes complices
Put en t'offrant des vœux désarmer ta justice…
Par leurs longs sifflemens épouventent la terre,
Soudain l'air s'obscurcit, les vents avec fracas
Et du foudre irrité les violens éclats
Du Ciel annoncents la colère.

Chant troisième

Les noms des illustres Français inscrit au temple de mémoire parmi ceux des plus grands héros ; la Liberté choisit Hoche pour être son vengeur ; son portrait, sa disgrâce ; la Liberté rompt ses chaînes, il va commander l'armée de l'Ouest, son discours à ses soldats ; descente des Anglois à Quiberon, ils sont battus et repoussés, Hoche se concilie tous les cœurs et purifie la Vendée.

Où trouver un héros, connu par sa valeur,
Imposant sans orgueil, sévère sans rigueur,
Dont l'accueil annonçant l'aimable bienfaisance,
Des plus farouches cœurs gagne la confiance,
Et qui sente le prix citoyen et guerrier
De la paisible olive, et du brillant laurier.

En lettres d'or au temple de mémoire
Des illustres mortels les vertus, les talens,
Tracez par la main de la Gloire,
Bravent dans ce séjour les injures du tems.
La Liberté déjà pour venger ses outrages
De ce livre fameux a consulté les pages.
Au dessus des héros dont la fille aux cent voix
A vanté les nobles exploits,
Des Thémistocles, des Achiles,
Des Annibal, des Paul-Émiles,
Tous amants de Bellone et favoris de Mars,
Les noms de nos guerriers brillent à ses regards.
Tout à côté le burin de l'Histoire,
Dirigé par la Vérité,
De leurs hauts faits conservant la mémoire,
Leur assure des droits à l'immortalité.
Parmi ces noms fameux, chers à la Liberté,
C'est toi, Hoche, c'est toi que la vierge céleste
Choisit pour son vengeur ; ton mérite modeste

Trop méconnu dans des tems moins heureux
Se laissa commander par des chefs orgueilleux.
À peine eus-tu brisé tes entraves cruelles,
De ton génie ardent tu déployas les ailes.
Bellone souriant à tes premiers travaux,
Sous ton simple uniforme apperçut le héros ;
Et ton âme républicaine
Fit d'un vaillant soldat un sçavant capitaine.
En Moselle, le Rhin et la Sambre et l'Escaut
Retentissent du bruit de plus d'une victoire.
Haussewte, Vissembourg, et Mayence et Landeau
Sont le théâtre de la gloire.
Mais quoi ! Quand l'ennemi fuit devant tes drapeaux,
Sur tes brillants lauriers la redoutable envie,
Répend ses noirs poisons et veut ternir ta vie.
Pour servir tes obscurs rivaux
Quoi de la Liberté deffenseur intrépide,
On ose t'arrêter dans ta marche rapide ?
Et te plonger dans la nuit des cachots !
Le généreux vainqueur de l'aigle autrichienne
Peut-être va périr sous le fer des boureaux…
Non, des monstres paitris des fanges du Tartare
N'auront point le plaisir barbare
De voir un fier guerrier succomber sous leurs coups…
Non, même dans les fers sa grande âme respire ;
Sa vertu le soutient… Mais le remords déchire
Ses ennemis cruels, perfides et jaloux.

Ô Liberté qu'invoque ma patrie
Arme-toi pour venger l'innocence flétrie !
Entends les cris plaintifs échapés des tombeaux
Du sage Condorcet, de Bailly, de Vergniaud.
L'urne de Lavoisier, d'un crêpe enveloppée,
Est encor chaque jour de nos larmes trempée ;
La cendre de Guadet contre ses assassins
Ose enfin réclamer les vrais républicains.

Tandis que ce guerrier que soutient sa constance
Se livroit au repos doux fruits de l'innocence,
En songe il apperçut la fière Liberté,
Qu'accompagnoit la douce Humanité.
« Tes liens sont rompus, s'écria la déesse,
Sors de ce vil séjour ; pour des exploits nouveaux
La France a besoin d'un héros.
Sur ton bras en ce jour moins que sur ta sagesse
Elle ose fonder ses succès.
Tu ne poursuivras plus ces troupes dispersées,
Déjà par ta valeur soumises, terrassées ;
Tu vas combatre des Français…
Ou plutôt les dompter, à force de bienfaits. »

Hoche est libre, soudain le bonheur de la France
Est l'objet de ses soins, et telle est sa vengeance.

Couvert par un nuage ainsi l'astre des cieux
Verse en reparoissant des torrens de lumière,
Poursuit sa brillante carrière,
Et se montre plus radieux.

Vers Nantes du héros déjà la renommée
Annonce le retour ; devant toute l'armée
La Liberté, la Justice, l'Honneur
Le proclament leur défenseur.
Sur cette rive encor sanglante,
L'ordre, la bonne foi, la nayve candeur
Précède du héros la marcha consolante.

La Discorde soudain pousse des hurlemens,
Répettés par l'écho, dissipés par les vents.
La Fanatisme affreux, contre ses vertus même,
Exale sa fureur et vomit le blasphème.
Hoche arrive, à l'instant les soldats empressés
Par le Zèle et l'Estime autour de lui placés,
Laissent voir à travers leur maintien militaire
De sensibles enfants qui retrouvent un père.
Il leur tient ce discours par le Zèle écouté.

« Soldats français, fils de la Liberté,
Vous que j'ay vus excités par la gloire
À vos drapeaux enchaîner la victoire.
Non, vous ne voudrez pas, ô généreux guerriers,
Au sein de la patrie, avides de carnage,
Être les instrumens d'une coupable rage,
Et du sang fraternel souiller tous vos lauriers.
Éloignez s'il se peut, de cet affreux rivage
De la destruction la dégoûtante image.
À labris de vos étendarts
Que l'olivier s'unisse aux palmes du dieu Mars.
L'être qui pour punir balance le tonnere,
Fait en le déposant le bonheur de la terre.
Sur ce peuple jaloux de l'empire des mers,
Peuple traître et cruel qui trouble l'univers,
Rassemblez sans pitié les fléaux de la guerre ;
Que la flamme et le fer, dirigés par vos mains,
Soient le prix des forfaits de ces chefs inhumains,
Dont la morgue, l'orgueil, l'odieux fanatisme
Contre la liberté servent le despotisme ;
Qui pour asservir les Français
Sèment l'or corrupteur des perfides Anglais.
Ah ! Soldats citoyens, goûte-t-on quelques charmes
À ravager la terre, à voir couler des larmes ?
Serions-nous destinés, vengeurs des nations,
À déchirer des fils dans les bras de leurs mères ;
À dévaster des champs labourés par nos pères,
À changer en déserts de fertiles valons,
Que le peuple trompé cesse d'être victime…
Pardonnons à l'erreur et punissons le crime. »
À ce discours, le soldat généreux,
Sensible au cri de la Nature,
Jure par ses lauriers de répondre à ses vœux.

En ces lieux cependant l'infernale Imposture
Méditant des forfaits nouveaux
Des perfides Bretons appeloit les vaisseaux,
Attentifs à ses cris, ces fougueux insulaires,
De rapine altérés, moins guerriers que corsaires,
Sur ces bords la flamme à la main
Vomissent des forbans une sanguinaire essaim.
Le fanatique ardent, l'ambitieux rebelle
Rassemblent les débris de leur troupe infidelle
Sous les enseignes d'Albion.

Pour célébrer cette atroce union
La Discorde aux Enfers annonçant une fête,
Fait sifler les serpens qui hérissent sa tête.
À ce signal, pendant quelques instants
La douleur s'appaisa dans l'infernal empire,
On vit même au plaisir la Gorgone sourire,
Et Sisiphe et Tantale oublier leurs tourmens.

Des esclaves de Pitt qu'une injuste vengeance
Ô sainte humanité punisse l'insolence !

Aux yeux de ses soldats Hoche dans ce moment
Fait briller des lauriers et dépose l'olive.
Il leur dit : « D'un vil sang arrosons cette rive ;
Aux murs de Quiberon la Gloire nous attend. »

Comme on voit un rocher du sommet des montagnes
Par la foudre arraché rouler dans les campagnes ;
Ainsi nos bataillons par leurs chefs excités,
Marchoient vers ces brigands à pas précipités.
La Mort sur tous les rangs avoit la main levée,
La terre en un instant fut de sang abreuvée.

Pour tracer vos exploits invincibles héros,
Que n'ai-je d'Arouët les sublimes pinceaux !
J'offrirois des Français l'intrépide courage
Affrontant le trépas et volant au carnage.
Les ennemis vaincus de mille coups percés
Sur le sable rougi l'un sur l'autre entassés.
De morts et de mourants les masses effrayantes
Arrêtant les efforts des vagues écumantes.

Je peindrois les Anglais emportés sur les flots
Faisant tonner au loin l'airain de leurs vaisseaux,
Livrant au fer vengeur de la France indignée
Des traîtres émigrés la horde dédaignée.

Quoi ! Ce peuple courbé sous un sceptre d'airain
Ose encor se vanter d'être républicain !
Lui qui couvrant les mers de ses nombreuses flotes,
S'abaisse, vil pirate, à servir des despotes !
Malgré ses pavillons qui menacent nos ports,
Je ne vois que son sang qui fume sur nos bords ;
Et par l'Anglais ingrat la Liberté trahie
Imprimant les affronts sur son île avilie.

Héros de Quiberon pouvois-je par mes vers
Instruire nos neveux de vos exploits divers ?
Il n'appartient qu'aux mains de la Victoire
De les inscrire au temple de mémoire.
Ah ! Déjà vos succès invincibles guerriers
Font refleurir l'olive à côté des lauriers.
Déjà Hoche vainqueur a mis bas son tonnere
Il veut être l'ami, non l'effroi de la terre.
De ces bords désolés les tristes habitans
Vont se précipiter dans ses bras triomphans ;
Sensible à leurs malheurs, touché de leur misère,
Sous les traits du héros il leur découvre un père,
Et ces coupables ennemis
Ne sont plus à ses yeux que des enfans soumis.
Bientôt le fer, instruments de carnage,
Cesse d'être aiguisé par une affreuse rage,
Trace, en soc façonné, de fertilles sillons ;
Et les champs de la mort se couvrent de moissons.

Prétieux sentiment, ressort des grandes âmes,
Liberté, nos guerriers embrasés par tes flammes,
Sur tes divines loix règlent leurs actions,
Ne versent qu'à regret le sang des nations,
Et s'ils y sont forcés, leurs exploits légitimes,
Protègent les vertus et punissent les crimes.
Ah ! Pour ces nobles cœurs l'olive a plus d'attraits
Que des lauriers acquis par d'illustres forfaits.

Chant quatrième

Peinture des Alpes ; portrait de Bonaparte qui les franchit à la tête de son armée ; ses réflexions en découvrant l'Italie ; il apperçoit un lieu délicieux, il entend chanter des hymnes à la Liberté ; séduit par les apparences Buonaparte y vole ; description d'un palais qui paroissoit être habité par la volupté ; son discours à Bonaparte ; réponse du héros ; ce lieu enchanté disparoît, Bonaparte se trouve entouré des spectres et des ombres de la nuit ; il invoque la Liberté ; elle vient à son secours ; les monstres sont engloutis dans un goufre profond.

Près des fertiles champs de la riche Ausonnie,
Aux confins de la France et de la Germanie,
Des Alpes les fronts orgueilleux
S'élèvent dans les airs et menacent les cieux.
Heureux si des humains les fureurs renaissantes
N'eussent oser franchir leurs masses effrayantes !
Entre des rocs affreux des abîmes ouverts,
Paroissent s'enfoncer jusqu'au fond des Enfers.
Dans ces goufres profonds l'onde mugit et roule,
Détache avec fracas le rocher qui s'écroule.

Quel est donc le guerrier assez audacieux
Pour franchir de ces monts les sommets sourcilleux ?
Ce fier Carthaginois, que nous vante l'Histoire,
Animé par la haine, et conduit par la gloire,
Osa jadis, bravant les efforts des Romains,
À travers ces rochers se frayer des chemins.
Mais Annibal vainqueur de leurs braves milices,
De ses soldats aux travaux endurcis,
À Cannes triomphans, dans Capoue amolis,
Vit flétrir les lauriers au milieu des délices.

Ce sera toi qui dès tes jeunes ans
À la Liberté seule offrit un pur encens ;
Toi l'orgueil de la Corse et l'espoir de la France,
Toi qui punis le crime, et deffend l'innocence ;
Toi dont la renommée, annonçant la valeur,
Des tirans acharnés te proclame vainqueur,
Toi dont la fermeté mâle, fière et tranquile
Apperçoit les dangers d'un regard immobile,
Les cherche par devoir, les brave sans fureur,
Ne voit au milieu d'eux que la gloire et l'honneur.
Toi qui dans l'âge du délire
Des plus nobles vertus as reconnu l'empire.
Toi des loix, des talens, l'ami le protecteur
Et du peuple opprimé le père et le vengeur.
Ces rochers dont le front est brûlé du tonnere
Bonnaparte, à ta voix, s'abaissent vers la terre.
Ces goufres, effraïants, ces immenses tombeaux,
Semblent se refermer sous les pas d'un héros.

Des Alpes Bonaparte avoit franchi la cime ;
Il contemple d'un œil sublime
Ces fertiles États des antiques Romains
Qui s'honoroient jadis d'être républicains.
Il apperçut cette ville fameuse,
De ses exploits si longtems orgueilleuse
Dont les superbes légions,
Conduites par les Scipions,
Partoient pour conquérir le monde ;
Et qui depuis en imposteurs féconde
Du fanatisme ayant reçu des fers,
Fait encor trembler l'univers.
Parmi ces arcs majestueux
Ces temples, ces palais, monumens fastueux,
Le héros distingua le laurier de Virgile,
La maison de Caton, et le tombeau d'Émile.
Mais tandis qu'attaché sur ces divers objets
Il médite à loisir les plus vastes projets ;
Il voit entre deux rocs qui formoient une ogive
La plus riante perspective.
Des orangers fleuris, des mirtes odorants,
De jeunes peupliers les rameaux ondoyants,
Des gasons émaillés l'agréable verdure ;
Il voit tous les trésors qu'enfante la Nature.
Citoyen philosophe et sensible héros,
Il se sent attiré par des charmes nouveaux.
Vingt beautés qu'inspiroient un céleste délire
Mariant leurs accens aux doux sons de la lire,
Adressoient sous le toit d'un bosquet enchanté
Des hymnes à la Liberté.
Sur des autels entourés de guirlandes
Vingt autres en cadence apportoient des offrandes.
Bonaparte à ce nom reconnoît son idole.
Rien ne l'arrête ; il part, il court, il vole…
Un superbe palais se présente à ses yeux,
Et d'abord il le croit habité par les dieux.
De cent colones ioniques
D'albâtre et de granit, dont les chapiteaux d'or
Enlassés de festons soutenoient les portiques,
Il admire le bel accord.
Sur les pas du héros, conduites par les Grâces,
Des nimphes répendant des fleurs
Les talents et les arts se pressent sur ses traces,
Et de la Liberté lui vantent les douceurs.
« Est-ce donc là le temple, adorable déesse,
Où des cœurs généreux exhaltent tes bienfaits ? »
S'écrie avec transport le général français,
Et soudain de ses pas il hâte la vitesse :
Il arrive ; à l'instant il veut offrir ses vœux
À celle que son cœur a toujours adorée,
Qui régnoit parmi nous dans le siècle d'Astrée,
Qui chérit les mortels et qui les rend heureux.
Il entre ; que d'attraits s'offrent pour le séduire !
Tout ce que la Jeunesse a de plus attrayant
Et la Beauté de plus touchant,
De l'Aurore le teint, de Vénus le sourire,
De Flore la fraîcheur, et les traits de l'Amour.
Mais, plus que tout encor, les doux charmes des Grâces,
Embelis répettés par le cristal des glaces,
Qu'éclairent à dessein un pâle demi-jour.
Sur des coussins mollement étendue
Caressant le plaisir, dans ses bras éperdue,
Des plus rares parfums et des plus belles fleurs
Respirant les douces odeurs,
La Volupté perfide enchanteresse,
Régnoit dans ce séjour au sein de la molesse ;
Sur Bonaparte elle jette les yeux ;
De ces yeux qu'annimoient une factice ivresse
Elle fait jaillir mille feux,
Garants suspects de sa feinte tendresse.
Après un long soupir, au modeste héros
D'une voix languissante elle adresse ces mots.
« Jeune guerrier favori de la Gloire,
Qui ne cherche que les combats,
Pourquoi l'inconstante Victoire
A-t-elle pour vous tant d'appas ?
Combien de ses amants séduits par la traîtresse
Ont au lieu de lauriers trouvé de noirs cyprès
Déjà Hoche, Marceau, rayonnants de jeunesse
Ne laissent après eux que de tristes regrets.
Ce panache flotant, ce glaive redoutable,
Des élèves de Mars, costume formidable,
Effraïent les amours qui n'aiment que la paix.
N'est-il pas bien plus doux de graver sur un hêtre
Le nom de Cithérée, et d'orner ses autels,
Que de remplir les airs des éclats du salpêtre
Et de lancer la mort sur de foibles mortels.
Voulez-vous donc avoir la même destinée,
Que ce héros du Nord si fou, mais si fameux.
Sa vie au champ d'honneur fut enfin moissonnée
Ah, soyez moins célèbre, et soyez plus heureux !
Et le mirte et l'olive ont-ils donc moins de charmes
Que vos lauriers sanglants arrosés de nos larmes ?
Ah ! Guerrier généreux consultez votre cœur !
Un nom dans l'avenir vaut-il donc le bonheur ? »
En achevant ces mots elle soupire encore,
Et d'un vif incarnat son beau teint se colore.
« Mon choix est déjà fait, répondit le héros ;
Je quitte ton palais et reprends mes travaux.
À qui crois-tu parler ! Apprend que Bonaparte
A les fiers sentimens d'un citoyen de Sparte,
Et que si par Omphale Hercule fut vaincu,
Henry par Gabrielle, et Renaud par Armide,
Soutenu par l'Honneur, couvert de son égide,
Tu tenterois en vain d'ébranler ma vertu.
Perfide Volupté ! Je brave tes amorces.
Me vaincre est un ouvrage au-dessus de tes forces.
Ose-tu bien, corruptrice des mœurs,
Insulter aux guerriers des peuples deffenseurs,
Qui foulent sous leurs pieds les sceptres, les couronnes,
Combattent les tirans et renversent les thrônes.
Toi dont les fers honteux sont cachés sous les fleurs
Ce n'est qu'en trahissant que tu domptes les cœurs…
Le crime seul peut redouter nos armes…
Mais hélas ! Trop souvent l'Honneur et la Vertu
Contre tes traits ont en vain combatu.
Turenne fut séduit par tes perfides charmes,
Il te sied bien coupable Volupté
De prononcer le mot de Liberté !
Toi qui voudrois étendant tes domaines
Courber tout l'univers sous le poids de tes chaînes.
Pour prix de tes faveurs, le triste Repentir
Se traîne sur tes pas et chasse le Plaisir.
Suit après, le Remords, rival des Euménides,
Qui verse dans les cœurs ses parfumes homicides.
Mais le sévère Honneur moissonne des lauriers
Dont il couronne ses guerriers.
Il lui suffit de leur montrer la Gloire.
On les voit aussitôt courir à la victoire ;
Et Clio d'un burin par le tems respecté
Grave leurs noms au temple de mémoire
Et les conduit à l'immortalité.
Ose-tu te flatter par un lâche artifice
De m'attirer dans le sentier du vice ?
Vas de ton vil palais je m'échappe soudain,
Plus libre que jamais et plus républicain. »

La Volupté par ce discours aigrie,
Prend tout à coup les traits d'une furie.
Ces bosquets, ces jardins, ce palais enchanté,
Semblent être l'Enfer en ces lieux transporté.
Au lieu de ces beautés qui dansoient demi-nues
Et dont on admiroit les grâces ingénues ;
Au lieu de ces concerts, de ces aimables chants,
De spectres on entend les affreux hurlemens ;
La nuit sur ce séjour étend son voile sombre,
À la voûte des cieux les astres suspendus,
En feux couleur de sang semblent nager dans l'ombre
Et tous les élémens paroissent confondus.

Aux tirans des humains déesse redoutable,
Liberté, d'un héros, ah ! Protège les jours !
Bonaparte étonné, mais ferme, inébranlable,
Ne pouvant de son bras tirer aucun secours,
Dans ce moment affreux à toi seule a recours.
« Ô toi s'écria-t-il, toi qui dès ma naissance,
M'as destiné pour délivrer la France
Des despotes cruels, de leur joug oppresseur,
Et vous ses compagnes fidelles
Raison, Philosophie, aimables immortelles,
Fermes soutiens de l'esprit et du cœur ;
Vous qui nous apprenés à braver le malheur,
Dissipez ce prestige, effacez cet outrage…
S'il suffisoit de mon courage…
Déjà vous auriez un vengeur. »

Semant de purs rayons sa brillante carrière,
À la voix du héros, sur un char de lumière,
La Liberté descend dans cet affreux séjour
Le guerrier reconnoît l'objet de son amour.
Il voit autour de lui la cohorte infernale
De la déesse odieuse rivale,
Qui n'aime que la nuit et déteste le jour.
Le Fanatisme sanguinaire
Filtrant ses noirs poisons et forgeant des poignards,
Et la Licence incendiaire
Les bras ensanglantés et les cheveux épars ;
Et la Discorde aux yeux hagards ;
À leurs côtés la fourbe Hypocrisie
Guidant la Superstition,
Dans sa coupable frénésie
Arment d'un fer sacré l'aveugle Ambition,
Aussitôt sous leurs pas dirigés par le Crime
Bonaparte apperçoit se creuser un abîme.
À l'aspect de la Liberté
Les monstres consternés dans le fond de ce gouffre,
Qui vomit une odeur de bitume et de soufre
Sont engloutis avec rapidité.
Tel on voit dans les champs à la fin de l'automne,
Quand Vertumne chassé dépose sa couronne,
Le feuillage qu'entraîne un fougueux aquilon
Se rouler s'entasser dans le creux d'un vallon.

« Allez mon fils, allez consoler votre armée
De ne plus voir son chef justement allarmée.
Des nations osez briser les fers,
Vengez l'humanité trop longtems opprimée,
S'il le faut traversez les mers. »

À ces mots que dictoit le zèle qui l'anime
La Liberté sourit au héros qu'elle estime
S'envole sur son char et se perd dans les airs.

Liberté qu'il est grand ce mortel dont ta flamme
Peut embraser le cœur et purifier l'âme !
Quand la Gloire l'ordonne il dompte ses désirs.
Il brave l'amour même et résiste aux plaisirs.

Chant cinquième

Retour de Bonaparte à son armée, il confond l'Envie ; description de l'Italie ; les armées autrichiennes s'avancent, leur nombre ne fait qu'exciter le courage du héros, victoires éclatantes des Français ; trahison des Vénitiens, situation de Rome libre et de Rome esclave sous ses empereurs et sous ses pontifes ; la Liberté et la Philosophie reprennent leurs droits dans ces belles contrées ; les Autrichiens défaits.

Déjà de nos guerriers la juste impatience
Accusoit Bonaparte et blamoit son absence.
Déjà par des propos sourdement répendus
La sombre Envie attaquoit ses vertus.
Il paroît ; à l'instant son œil fier et sévère
Inspire le respect ; la perfide vipère
Sur les cœurs des Français d'un pur zèle brûlans
Répand en vain ses poisons impuissants.

Ainsi quand le soleil commence sa carrière
Tout renaît à l'aspect de l'astre bienfaisant.
Le reptile ennemi de sa vive lumière
Se cache et semble alors rentrer dans le néant.

Valons délicieux où Cérès et Pomone
Semblent avoir fixé le printems et l'automne,
Ô vous fertiles champs, vous coteaux fortunés,
Et de pampre et d'olive en tous tems couronnés,
Vous qu'ont chanté jadis Théocrite et Virgile
Ô vous qui du bonheur deviez être l'azile,
Seriez-vous donc marqués par les destins
Pour servir de théâtre aux fureurs des humains ?
De l'Autriche déjà dans ces plaines riantes
On apperçoit les enseignes flotantes ;
Charles conduit ses féroces soldats,
Et par sa voix les excite aux combats.
On entend éclater ces foudres de la guerre,
Instrumens de la mort et rivaux du tonnere.
De l'Adige déjà les bords sont inondés
De nombreux bataillons en torrens débordés.
Fière de son printems la jeunesse de Vienne
Suit le vol indiscret de l'aigle autrichienne.
Mais dans son fol esprit souvent l'aveugle orgueil
En cherchant des lauriers ne trouve qu'un cercueil.
Bonaparte tranquile entend gronder l'orage,
Dont le vain bruit ne fait qu'accroître son courage,
Et ce généreux chef comptant sur leur valeur,
Rassemble ses soldats et leur parle en vainqueur.

« Intrépides guerriers, ces bandes téméraires
Du despote allemand esclaves mercenaires,
Viennent d'un peuple libre affronter le courroux ;
Qu'ils apprennent bientôt succombant sous des coups
Que bravant les dangers, son amour pour la gloire
Quand il vole au combat les mène à la victoire. »

Ô Liberté ! Pour peindre ces héros
Prête-moi tes couleurs et guide mes pinceaux.
Je craindrois d'affoiblir d'une main trop peu seure
De leurs traits de valeur la brillante peinture
Redis-moi les exploits, les nobles actions,
De ces vaillantes légions
Qui se battant sans cesse et toujours triomphantes,
Des tirans ont vaincu les hordes impuissantes.

Fameuse Antiquité qu'admire l'univers,
Vous Grecs et vous Romains et vous peuples divers
Dont les illustres noms conservés par la Gloire,
Tiennent les premiers rangs aux fastes de l'Histoire,
Vous êtes effacés ; la grande Nation
Va du globe à jamais fixer l'attention.
Du malheureux Hector, du redoutable Achille,
Du valeureux Coclès, du brave Paul-Émile,
On ne vantera plus les palmes, les lauriers ;
De plus nobles bientôt vont couvrir nos guerriers.
Ô champs de Marathon, théâtre de carnage,
C'est pour la liberté, pour venger son outrage,
Qu'un héros, de son art déployant les ressorts
Vous inonda de sang et vous couvrit de morts.
C'est pour la liberté que l'honneur, le courage
D'esclaves conjurés va combatre la rage ;
Qu'un nouveau Miltiade, ennemi des tirans,
Au bonheur des Français consacre ses talens.
Ce siège si fameux dont la Grèce se loue
Est-il donc comparable à celui de Mantoue ?
Sans un lâche artifice, à Minerve odieux,
Illion triomphoit des Grecs astutieux ;
Rejettant des moyens que l'honneur désavoue
Aux bords du Mincio le Français est vainqueur ;
Murs, soldats, élémens, tout cède à sa valeur.
Quoi ! Le pont de Coclès qui se sauve à la nage
Vaut-il donc de Lodi ce pont où le courage
Méprisant le rapide effort,
De cent bouches d'airain qui vomissent la mort,
Sur des corps expirans s'ouvre un libre passage,
Et du sang qu'il répend inonde le rivage !
De Sparte audacieux soldats
Au passage des Termopiles
Vous avez trouvé le trépas.
Aux gorges du Tirol nos indomptables files
Ont cueilli des lauriers et chanté leurs combats.

Fiers habitans d'une ville orgueilleuse,
Que la crainte fonda dans une isle fangeuse,
Quand du Nord descendus, des soldats inhumains
S'arrachoient tour à tour les débris des Romains,
Politiques rusés, perfides et parjures,
D'un peuple libre ennemis clandestins
Quoi vous trempés vos mains impures
Dans un sang épuisé par de nobles blessures !…
Cessez de vous parer, infâmes assassins
Du titre de républicains.
Dans votre fureur indocile
Vous avez violé le douloureux azile
Où le trépas, moins barbare que vous,
Respectoit la valeur et suspendoit ses coups.
Traîtres de vos malheurs n'accusez plus la France,
Ils sont de vos forfaits la juste récompense.
Ô Liberté, long-tems sous tes loix les Romains
Du monde presqu'entier furent les souverains.
L'aveugle Ambition, ta rivalle éternelle ;
Te ravit tes faisceaux d'une main criminelle,
Et Rome en te perdant vit changer ses destins,
Le joug de ses tirans qui pesoit sur le monde,
Provoqua la Vengeance en cruautés féconde.
Mais Rome esclave, en vain réclama ses héros ;
Dans ses fertiles champs répendus à grands flots
Les barbares du Nord ont éclipsé sa gloire
Et son nom si fameux ne vit que dans l'histoire.
Depuis, un prêtre astutieux
Fit au peuple crédule encenser son idole,
Et lui dicta des loix du haut du Capitole.
Humble d'abord, bientôt ambitieux,
Il osa s'annoncer l'interprète des cieux.
La Superstition l'éleva sur le trône ;
L'Orgueil chargea son front d'une triple couronne.
Ivre de sa puissance, et jaloux de ses droits,
Son foudre fit trembler les peuples et les rois.

Ô mânes des Brutus, du haut de l'empirée,
Abaissez vos regards sur l'heureuse contrée,
Où de la Liberté les courageux enfants
Ont brisé l'affreux joug de ses derniers tirans.
Boniface, Alexandre, et vous fameux Grégoire,
Vous ministres d'un Dieu de paix,
Vous vous êtes souillés des plus lâches forfaits…
Ah périsse à jamais votre indigne mémoire.

Dans les champs des Romains trop long-tems outragés
La noire Trahison, la fourbe Hippocrisie,
Ont cédé leur empire à la Philosophie,
Duphant, Rome, l'Europe et le Ciel sont vengés.
À la voix de la Liberté,
Que tout être pensant ou conserve ou rappelle,
Et que suit la Vertu, sa compagne fidelle.
Au doux nom de l'Égalité,
Gravé par la Nature en traits inéfaçables,
Sur le front des mortels que Dieu fit tous semblables
Aux accens de l'Humanité,
Aux conseils de l'Honneur, à l'éclat de la Gloire,
Aux cris joyeux de la Victoire
Qui retentissent dans les airs,
Les Apennins brisent leurs fers ;
Et les Romains honteux de ramper sous des prêtres,
Relèvent les faisceaux, ravis à leurs ancêtres.

Tel on voit un géant, atteint d'un coup affreux,
Long-tems couché sur la poussière,
Reprendre ses esprits, et plus audacieux
De vengeance enflamé, rentrer dans la carrière.
Par leur fuit rapide échappés au trépas,
Du despote allemand les malheureux soldats
Jusqu'aux portes de Vienne étendant leur retraite
Annoncent consternés leur honte et leur défaitte.
Des rivages du Rhin son aigle menaçante
Revient et fend les airs mais d'une aile tremblante ;
Le Danube effrayé précipitant ses eaux
Croit déjà sur ses bords voir floter nos drapeaux,
Il accuse en fuyant la fortune volage,
Et dans le fond des mers il va cacher sa rage.

Chant sixième

Apostrophes contre les despotes, songe de l'Empereur, ses inquiétudes, il forme le projet de proposer la paix, Bonaparte l'accepte et lui en dicte les conditions, la Liberté rendu à l'Italie ; le génie du général français le porte à de nouvelles entreprises ; son discours à son armée, départ de Toulon ; prise de Malthe ; conquête de l'Égipte.

Despotes orgueilleux tel est donc votre but ;
Au sein des voluptés pour ravager la terre
Vous allumés votre tonnere.
Dans les bras du plaisir vous commandés la mort…
Vous qui des dieux croyez être l'image
Des dieux dont les bienfaits annoncent la bonté
Livrés à la molesse, avides de carnage,
Vous êtes, vils tirans, dans votre aveugle rage
Les fléaux de l'humanité.
Malgré l'éclat de la couronne,
Le cruel Charles neuf entouré d'assassins
Sur lui ne vit jamais briller des jours sereins.
Goûte-t-on des plaisirs que la crainte empoisonne ?
Voïez le Tibère1 français
Cruel par caractère, et dévot par foiblesse,
Qui commandoit le meurtre au sortie de la messe,
Se baignoit dans le sang de ses propres sujets ;
Et des cieux, dont ce sang réclamoit la vengeance,
Osoit près d'expirer invoquer la clémence.
L'aigre cri du remords retentit dans son cœur
Et de tous ses forfaits lui découvre l'horreur
D'un affreux avenir le voile se déchire
De l'inflexible sort il reconnoît l'empire…
Il meurt… De son aspect délivre l'univers
Et va par sa présence effrayer les enfers.
Opposez à Louis, l'orateur des Romains
Sous le fer de Lena terminant ses destins,
Fidelle à sa patrie, il expire en grand homme,
Et son dernier regard se tourne encor vers Rome.
Quand César fut vainqueur, au vertueux Caton
La mort que l'on redoute offrit un seur asile,
Le stoyque Romain d'un pas ferme et tranquile,
Descendit dans la tombe en méditant Platon.

Ô toi sur quelqu'espoir que ton orgueil se fonde,
Qui dans tes foibles mains ose porter le monde.
Cesse de l'asservir sous tes injustes lois,
Ou craint d'être bientôt écrasé sous son poids.
En silence la nuit répendoit sur ces rives
De l'Oubli de nos maux les douceurs fugitives.
L'Empereur vainement, au fond de son palais
Appeloit le sommeil, étendu sous un dais.
Rarement des tirans il ferme la paupière ;
Il fuit le Louvre et vole à la simple chaumière.
Sur ses yeux cependant fatigués, demi clos,
Ce dieu consolateur verse enfin ses pavots.
Un songe alors de son cœur agité,
Vient troubler la tranquilité,
Il apperçoit un pin audacieux
Dont la cime touchoit aux cieux.
Ses rameaux desséchoient au loin le pâturage
Et sous ce sombre toit les humbles arbrisseaux
Étoient privés par son stérile ombrage,
Des regards du soleil, de la fraîcheur des eaux.
Le pin ennorgueilli de cette pompe vaine,
Se croyoit le roi de la plaine,
Insultoit au mirte charmant,
Au fécond olivier, au lilas odorant.
Tout à coup l'aquilon excitant la tempête
Sur le pin arrogant s'élance avec fureur.
À l'instant sa sublime tête
S'aboisse sous les coups du foudre destructeur,
Et du tiran dévastateur,
Enfant ingrat de la Nature,
La chute fit au loin renaître la verdure.

Du prince autrichien la vaine majesté,
Qu'effraye ce sinistre songe,
Y reconnoît l'auguste vérité,
Sous l'apparence du mensonge.
De l'Orgueil vainement l'officieux pinceau
Essaye à son réveil d'effacer ce tableau ;
Ce pin devient pour son âme attristée
Le supplice de Promothée.
L'aurore blanchissoit la cime des coteaux,
Chassoit le doux sommeil invitoit aux travaux.
Le despote quitta ce lit d'où la Molesse
Ne pouvoit point bannir les Soucis, la Tristesse.
Il s'imagine voir nos rapides soldats
Vainqueurs des élémens, vainqueurs dans les combats,
Élevant sur ses murs nos palmes triomphantes
Et de la Liberté dans ses vastes États,
Déployant sous ses yeux les enseignes flotantes.
Trahi par la Victoire, abandonné de Mars
Tremblant au sein de ses remparts,
Le seul espoir qui le console
Est d'offrir au vainqueur d'Actole
De joindre à ses lauriers l'olive de la Paix.
Mais bientôt ce projet lui paroît illlusoire ;
Quoi, dit-il, un héros favori de la Gloire
Qui s'ouvre le chemin de l'immortalité,
Poura-t-il pardonner l'outrage
D'avoir voulu soumettre au joug de l'esclavage,
Les enfants de la Liberté ?
Crois-tu que ces guerriers, semblables aux tempêtes
Pour ravager la terre étendent leurs conquêtes ?
Non, de l'humanité les braves deffenseurs
Loin d'être les fléaux n'en sont que les vengeurs.
Règnes ; mais ne viens point, despote téméraire,
Dans ton fougueux transport briser le sanctuaire
Du temple de la Liberté.
Que tes obscurs sujets, sous tes loix inhumaines,
Rampent contents et chérissent leurs chaînes.
Qui peut être jaloux de leur félicité ?
Mais si tu veux du flambeau de la guerre
Éteindre le feu dévorant,
Aux pieds de tes vainqueurs pour calmer leur tonnere
Dépose ton glaive impuissant,
Et tu verras leur chef dont l'Europe étonnée
Fixe d'un œil jaloux la haute destinée,
À la Paix bienfaisance érigeant des autels,
Sacrifier sa gloire au bonheur des mortels.
Que de la bonne Foi la voix sincère et pure
Prononce tes sermens, entendus par les cieux.
Songe surtout que l'infâme Parjure
Qui trompe les humains ne trompe point les dieux
Et que la politique, au lieu de les absoudre,
Sur les rois criminels excite encor leur foudre.

Aimable et douce Paix dans ces heureux moments
Sur tes divins autels le feu sacré s'allume…
Mais ô prodige affreux, tandis qu'il se consume,
D'un léopard les tristes hulemens
Au Nord se font entendre et troublent les accens
Que faisoit éclater la publique allégresse,
Vives expressions de la commune ivresse.
Le fier tiran des airs, l'aigle du haut des cieux
Répondit par trois fois au monstre furieux ;
De leurs cris effrayant es échos retentissent,
Et ces vaines clameurs dans les airs se perdirent.

Par ce vaillant héros dont le bras redouté
Avoit brisé des rois le joug si détesté,
L'ordre fut rétabli dans ces vastes contrées
Sous de barbares chefs au carnage livrées.
Dans la guerre, Alexandre, et Numa dans la paix
Il enchaîne le crime et punit les forfaits.
Des cœurs qu'il sçut gagner il bannit les allarmes,
Et de l'Égalité leur fait goûter les charmes.
Il fait chérir les loix, seurs garans du bonheur,
Et les peuples heureux chérissent leur vainqueur.
Mais de la Liberté l'indomptable génie
L'entraîne et près de lui rassemble ses soldats
Que sa voix animoit au milieu des combats.

« Compagnons, leur dit-il, malgré la tirannie
Les peuples asservis sont rentrés dans leurs droits ;
Ce bienfait est le prix de vos nobles exploits.
Allons en d'autres lieux porter notre tonnere
Et pour la mieux servir faisons trembler la terre.
La Liberté nous guide ; osons franchir les mers…
La Gloire nous attend au bout de l'univers. »

Dans cet heureux climat où la belle Nature
Comble de ses trésors la noble agriculture ;
Où le Nil de ses eaux arrosant les valons,
Fait naître sur ses bords d'abondantes moissons ;
Des plus beaux monuments magnifique théâtre,
Où régna Sosistris, où brilla Cléopâtre :
Cet antique berceau des arts et des talens,
Tour à tour dévasté par de vils conquérans ;
D'avares mamelucs dépouillent leur patrie
Qu'enrichissent en vain son sol et l'industrie.
Dans le port de Toulon la flote est déjà prête,
Éole soufle la voile et soulevant les flots
À fendre l'onde amère invite nos vaisseaux.
On lève l'ancre, on part, on brave la tempête
Que vois-je, ô Liberté ! Parmi tes bataillons
Minerve se distingue et suit tes pavillons !
D'artistes, de sçavants, chéris de la déesse,
La troupe qu'elle appelle, autour d'elle s'empresse,
Partage avec ardeur les durs travaux de Mars
À l'abri de ses étendarts.
Ton phare, Liberté, leur découvre la Gloire,
Et ton fidelle ami leur promet la victoire.
Bonaparte nouveau Jason
Sur ces mers jadis si fameuses,
N'embarque point ses troupes belliqueuses
Pour conquérir une riche toison.
Dans le temple de Mars par des taureaux gardée ;
Il n'aura point recours aux charmes de Médée ;
Pallas n'a point donné le plan de ses vaisseaux
Sur des sorts plus puissants sa magie est fondée,
La Liberté, son bras, sa tête, et ses héros.

Emporté par les vents ce vaillant capitaine
À peine de ces mers a silloné la plaine,
Il apperçoit un fort sur les flots dominant,
Si funeste jadis à l'orgueil du croissant,
Quand le fier Soliman, ambitieux despote,
Vit ces bords tous couverts des débris de sa flote.
Il l'attaque, le prend, remonte ses vaisseaux.
Et court en conquérant à des périls nouveaux.

Ma muse vainement voulant enfler sa veine
Pour chanter ses exploits se trouve sans haleine,
Suivra-t-elle un guerrier qu'irrite les dangers,
Attiré par l'honneur vers des bords étrangers,
Lançant sur des fondans son redoutable foudre,
Marchant sur les débris de leurs trônes en poudre,
Et de la Liberté méconnue en ces lieux,
Aux peuples découvrant les trésors prétieux ?
Oseroit-elle intrépide Amazone
Où régna Ptolémée accompagner Bellone,
De la lire mêler les harmonieux sons
Au bruit effrayant des clairons
Et chanter les Français maîtres d'Alexandrie,
Bravant l'implacable furie
Des tirans odieux, esclaves couronnés,
Par leur valeur vaincus et détrônés ?
Sous la colonne de Pompée
Élevant ses accens au ton de l'épopée
Poura-t-elle employer d'assez vives couleurs
Pour peindre ces nobles vainqueurs,
Dont la main tour à tour terrible et tutélaire
Au cri de liberté, de Rosette et du Caire
S'ouvre à la fois les portes et les cœurs ?
Sur les rives du Nil, dans leurs marches rapides,
Ira-t-elle avec eux près de ces piramides,
Que l'orgueil éleva sur un sable brûlant,
Où de cent majestés repose le néant ?
Muse repose-toi ; laisse à la Renommé
À parler dignement de l'invincible armée,
Qui de l'homme avili fait respecter les droits,
N'allume qu'à regret le flambeau de la Guerre,
Des tirans détestés ose purger la terre,
Et rends le peuple libre en détrônant les rois.

Fin

Aimable Liberté, fille de la Nature,
Si dans mon cœur ta flamme vive et pure
A brûlé de mes jeunes ans ;
Si j'ai ris de ces noms d'Éminence et d'Altesse,
Que l'Orgueil inventa pour voiler sa bassesse,
Si dessus tes autels, à l'insçu des tirans,
J'osai te présenter un légitime amant ;
Si vainement au Sénat, Sorbone,
Dans les murs du palais, dans les champs de Bellone
Dans l'asile sacré des arts et des talens,
J'ai recherché tes attraits consolans.
Si j'ai gémi de voir usurper ta couronne
Par de vils préjugés, fruits de l'Ambition,
Que nourrit en secret la Superstition,
Ah ! Permets qu'en ce jour mon âme soulagée,
D'une chaîne honteuse à la fin dégagée,
Avec zèle t'adresse un hommage constant
Applaudi, consacré par un peuple puissant.

Et vous, conservateurs de nos loix immortelles,
Du bonheur des Français dispensateurs fidelles,
Par l'éclat des vertus, par l'exemple des mœurs,
De vos frères chéris ouvrez-vous tous les cœurs.
Frondez les préjugés, chassez la tirannie,
Aux arts donnez l'essort, ranimez le génie ;
Du simple agriculteur, honorez les travaux ;
Sous l'ardoise et le chaume assurez le repos.
Aux mortels ennivrés d'une vaine naissance
Prouvez que la grandeur est dans la bienfaisance.
L'amour de la patrie excite nos guerriers
À braver le trépas, à chérir les lauriers ;
Vous, conduisez l'État, que vos mains citoyennes
Avec gloire à jamais en supportent les rennes.
Peut-il donc être un bien pour des cœurs généreux
Préférable à celui de faire des heureux.

Auguste Liberté, quelle vive lumière
Autour de moi se répand et m'éclaire !
L'avenir, à mes yeux, se découvre et je vois
Les peuples se soumettre à l'empire des loix.
Dans le sein de la Paix je vois l'ordre renaître,
Sous l'égide des mœurs la Vertu reparoître,
Aux Français détrompés, l'école du malheur
Enseigner, quoique tard, la route du bonheur ;
Le ridicule Orgueil oublie ses ancêtres,
Des cultes différents, les ministres, les prêtres,
Offrir un pur hommage à la divinité,
Et n'être plus rivaux que par la charité,
La Raison sans aigreur, sans l'appui des miracles,
De la religion prononce les oracles,
L'avide agriculteur devenu généreux,
Partager ses moissons et faire des heureux ;
Sous ses pieds la Justice écrasant la chicanne,
Aux deffenseurs des loix prêter son noble organe.
Avec bien plus d'éclat j'apperçois les talens,
Par l'affreux Vandalisme arrêtés si longtems,
Accourir à la voix de l'aimable Harmonie,
Prendre un sublime essor sur l'aile du génie ;
Et nos héros chéris de Minerve et de Mars
Suspendre leurs drapeaux dans le temple des arts.

 
 

Sources

AN, F17 1026.