Marche triomphante de la Liberté (La)
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Paratexte
Épître à un ami
Texte
Quel spectacle nouveau pour l'œil philosophique
Présente en ce moment la scène politique !
Dans ce drame immortel quelle rapidité !
Dans les événements quelle fécondité !
Dans les nombreux acteurs quel rôle, quel génie !
Et dans leurs passions quel feu, quelle énergie !
As-tu jamais, ami, contemplant ce tableau,
Remarqué ce qu'il offre et de grand et de beau ?
Je vais t'en retracer une esquisse légère :
J'écris à l'amitié ; cet essai doit lui plaire.
De leur souffle glacé, quand les noirs aquilons
N'enchaînent plus les eaux dans le sein des vallons,
Des torrens, qu'en leur cours d'autres torrens grossissent,
Roulent avec fracas, écument et mugissent :
Par les dégâts affreux leur passage est marqué ;
Des digues les secours en vain est invoqué :
Invincibles fléaux, le frein d'une barrière
Irrite, presse encor leur fougue meurtrière.
Ils s'écoulent enfin, et le calme renaît ;
Des couleurs du printemps le faisceau reparaît ;
Des zéphyrs amoureux l'haleine caressante
Vient redonner la vie à la fleur, à la plante ;
Et des champs qui semblaient condamnés au néant
Offrent au laboureur l'aspect le plus riant.
Divine Liberté ! n'est-ce point ton image ?
Quand la philosophie, entrouvant le nuage
Épaissi, condensé par vingt siècles d'erreurs,
De préjugés, d'affronts, de fautes, de malheurs,
Eut dans tous les esprits répandus sa lumière,
La France, à cet appel, fut debout la première.
Dans son sein fermentaient, depuis long-temps, ces feux
Dont on vit embrasés tant de cœurs généreux :
Le quatorze juillet fit briller l'étincelle ;
La Liberté parut, et l'on ne vit plus qu'elle.
Sous son appui, des droits méconnus, oubliés,
Ceux de l'homme, soudain se virent publiés.
Alors l'explosion devient universelle,
Et chacun réclama sa place naturelle.
À ce cri triomphant, NOUS SOMMES TOUS ÉGAUX
La fictive grandeur vit tomber ses tréteaux ;
Le front humilié sortit de la poussière,
Et le front orgueilleux s'abaissa vers la terre.
Le souverain pouvoir au peuple fut rendu ;
Il choisit pour tuteurs les talens, la vertu :
La volonté de tous, librement proclamée,
Fit entendre sa voix, et la loi fut formée.
Son règne commençait, et des jours fortunés
Aux Français citoyens allaient être donnés,
Quand de nouveau contr'eux s'arma la tyrannie.
Son audace coupable à l'instant fut punie :
Le dix août éclaira sa chute et ses forfaits,
Et son sceptre insolent fut brisé pour jamais.
Mais ce perfide effort, mais cette résistance,
D'un peuple libre et fier lassèrent la clémence.
Ralenti dans son cours, le torrent se grossit ;
Des nœuds qui l'enchaînaient sa fureur s'affranchit ;
Et son débordement, accru par tant de crimes,
Sans choix, comme sans nombre, entassa des victimes.
Le talent, l'innocence, en butte à ces malheurs,
Long-temps nous coûteront des regrets et des pleurs.
Dans ces jours teints de sang, ces jours où la licence,
Sous le fer des bourreaux, asservissait la France,
On te vit, Liberté, cent fois près de périr,
Pour exister encor, d'un voile te couvrir !
Bientôt elle parut avec toute sa gloire,
Et le neuf thermidor proclama sa victoire.
Ô Clio ! Tu diras à la postérité
Combien ce jour fut grand, cher à l'humanité.
C'est à toi de fixer l'éclat de ton flambeau
Sur l'étonnant succès d'un mouvement si beau !
De la réaction les fureurs délirantes
Fourniront à leur tour bien des pages sanglantes.
La hache avoit cessé de promener sur nous
Le meurtrier niveau qui nous égalait tous ;
La vengeance aussitôt vint aiguiser ses armes.
Le souvenir profond des plus vives alarmes,
Le cri national d'un trop juste courroux,
Tout fit entrer le fiel dans les cœurs les plus doux.
Du poignard, du stilet, l'attaque menaçante,
Fit, de chaque journée, un siècle d'épouvante.
Des milliers d'égorgeurs furent organisés,
Et leurs assassinats payés, préconisés.
La touchante pitié ne se fit plus entendre ;
On eût alors rougi de s'en laisser surprendre :
On fit une vertu de la férocité,
Et le cri de la mort fut partout répété.
Terreur, réaction, monstres populicides,
Votre place est marquée auprès des Euménides ;
Des rivières de sang vous y précéderont ;
Les pleurs, le désespoir, le deuil nous y suivront.
Dans vos noires fureurs, implacables comm'elles[sic],
Vous laissez après vous des traces éternelles.
Du joug des factions qui devaient l'engloutir,
Enfin la Liberté parvint à s'affranchir.
Elle sut foudroyer ces sections rebelles
Que leur témérité rendit si criminelles ;
Sa puissance écrasa ces vils séditieux
Qui de vendémiaire ont fait un mois fameux,
Qui, lançant les brandons de la guerre civile,
Au trône préparaient une route facile,
Et de la servitude apôtres avilis,
Voulaient sur nos tombeaux ressusciter les lys.
Après avoir vaincu ces tourbes ennemies,
Sa prudence exercée, à ses lois affermies,
Présenta, pour appui, la constitution,
Et sut ainsi fixer la révolution.
Depuis ce jour fatal aux esclaves du trône,
Ô France, ô mon pays ! Quel éclat t'environne !
Des rois coalisés, dans leurs vœux insolens,
Déchiraient, partageaient ton sol, tes habitans :
C'est toi qui chaque jour as fait une conquête,
C'est toi dont les lauriers ont surchargé la tête.
Aux mains de tes enfans on préparait des fers ;
Dis un mot : ils sauront délivrer l'univers.
Poursuis, France, poursuis ta belle destinée ;
Par des nœuds imprudens ne sois plus enchaînée ;
Connais et fais servir ta force et ta grandeur,
Pour le bonheur du monde, et ton propre bonheur ;
Et, première en vertus, en courage, en lumière,
Parmi les nations, assieds-toi la première.
La Liberté grandit au milieu des succès ;
Son empire s'étend par ses propres bienfaits :
Sa chaleur se déploie, elle se communique.
Eh ! Qui peut résister à sa flamme électrique ?
Impatient du joug, déjà depuis long-temps
Un peuple ami des lois combattait ses tyrans.
Émule des Français, le généreux Batave
Redoublait ses efforts pour cesser d'être esclave.
Ses aînés courageux volent à son secours :
C'en est fait, il est libre, et le sera toujours.
De l'usurpation toute empreinte s'efface,
Et du stathoudérat l'on cherche en vain la trace :
Le libre Hollandais, dans ses libérateurs,
Embrasse des amis bien plus que des vainqueurs.
Ne perds pas un moment, ô Liberté chérie !
Un triomphe nouveau t'appelle en Italie :
Vers les rives du Pô l'on soupire après toi ;
Parais, et le Lombard va te jurer sa foi.
Le Français t'y précède, ainsi que la victoire.
C'est là qu'éternisant votre commune gloire,
Un combat, précurseur de la chute des rois,
Présente le tableau des plus hardis exploits.
Quels brillans souvenirs laisse le pont d'Arcole !
Si la valeur s'apprend, c'est là qu'est son école.
À l'aspect des lauriers dont il est tout couvert,
Au besoin d'en cueillir, quel cœur n'est pas ouvert !
Quel mortel désormais franchira ce passage,
Sans rendre à l'héroïsme un éclatant hommage !
Lieux du joug de l'Autriche affranchis pour jamais,
Qu'on nomma si long-temps le tombeau des Français,
Bien plus long-temps encor, vous rendez témoignage
Des prodiges nombreux qu'enfanta leur courage.
Bien plus long-temps encore, échos reconnaissans,
On vous les entendra redire dans vos chants.
Pourraient-ils oublier leur nouvelle origine,
Ces enfans que nourrit la libre Cisalpine ?
Sous le fer des tyrans, roseaux infortunés,
Naguères ils pliaient, aux vents abandonnés ;
Mais, chênes maintenant, ils sont une puissance,
Et forment, comme peuple, un poids dans la balance.
C'est au mâle génie, aux armes des Français,
C'est à la Liberté qu'ils doivent ces bienfaits.
De quel éclat nouveau brille la Ligurie !
Le Génois fortuné recouvre sa patrie.
Sous le niveau des lois et de l'égalité,
Un sénat orgueilleux dépose sa fierté.
Des titres usurpés les honneurs disparaissent ;
Des droits plus vrais, plus saints, ceux du peuple renaissent
Par ses ardens amis ces droits sont exercés,
Et ses vils oppresseurs sont vaincus, dispersés.
Qu'êtes-vous devenus, jours où l'aigle romaine,
Enlaçant l'univers dans une même chaîne,
Sur cent peuples soumis étendait son pouvoir,
Et pour l'étendre encor, n'avait qu'à le vouloir ?
Que de siècles obscurs ont suivi tant de gloire !
Est-ce le même peuple, est-ce la même histoire ?
Quoi ! Ces Romains si fiers, de leurs droits si jaloux,
Qui virent si souvent des rois à leurs genoux,
Qui chassèrent Tarquin, qui vainquirent Carthage.
Qu'indignait le seul nom, l'ombre de l'esclavage,
Et qui, tous inspirés par l'âme des Brutus,
Luttaient de liberté, de mœurs et de vertus,
Ces Romains, méprisant l'autorité de Rome,
Désertent ses drapeaux pour suivre ceux d'un homme !
Esclaves corrompus, vendus aux factieux,
Patrie et Liberté n'existent plus pour eux !
Dans leurs vœux, dans leurs cœurs, la place est usurpée
Par Sylla, Marius, et César et Pompée !
Tous les freins sont brisés, tous les crimes soufferts ;
Le joug des factions prépare d'autres fers,
Et la foule égarée enfin tombe asservie
Dans les bras du malheur et de la tyrannie !
Successeurs de César, le sceptre est dans vos mains,
Et le crime et la mort règnent sur les Romains !
Les fils de Curtius reconnaissent un maître !…
Bientôt, plus vils encore, ils rampent sous un prêtre !
L'imposteur parle au nom de la divinité ;
Ses appuis sont l'erreur et la crédulité :
Sa tête est dans les cieux, ses pieds foulent les trônes ;
Il donne, d'un seul mot, ou ravit les couronnes.
Intolérant, cruel, despote, prêtre enfin,
D'un ami, d'un parent, il devient l'assassin,
Si, trop fiers pour flatter son orgueil irascible,
Ils osent contester sa science infaillible.
Voyez-vous ces bûchers ? Sa main les attisa.
Voyez-vous ces tombeaux ? C'est lui qui les creusa.
C'est lui qui fit sonner les vêpres de Sicile !
La Saint-Barthélémi !… Ma plume est immobile…
Jour affreux ! Jour de crime ! Il mit tout à la fois
La comble aux noirs forfaits des prêtres et des rois.
Ces bataillons errans, ces croisades impies,
De rapines, d'excès et de meurtres nourries,
D'un fanatisme aveugle, aveugles instrumens,
Moyens dévastateurs dans la main des tyrans,
Ravagèrent le monde au signal d'un seul homme :
Eh ! Qui l'osa donner ? Le prêtre-roi de Rome !…
Ô Rome ! À tes voisins, lorsque la Liberté
Va redonner la vie et la félicité,
Lorsque les nations si long-temps outragées
Sont enfin des tyrans si justement vengées,
Sous un joug odieux, seule, resterais-tu ?
Rien ne réveillerait ton antique vertu !
Les mânes des héros que vit naître le Tibre
Vainement te diraient : saisis l'instant, sois libre !…
Non, tu les entendras ; tu les as entendus ;
Un nouveau jour t'éclaire, et tes fers sont rompus.
À peine des Français as-tu vu la bannière,
L'idole et ses autels roulent dans la poussière ;
L'empire des jongleurs s'écroule et se détruit,
L'infaillibilité s'épouvante et s'enfuit ;
Et pour les cœurs brûlans d'une sainte énergie,
Rome encore une fois devient une patrie.
Les Caton, les Brutus, dans des hommes nouveaux,
Reviennent à la vie, et forment des héros.
Un sénat, des consuls, des légions romaines,
Des institutions, des mœurs républicaines,
Remplacent pour jamais un régime oppresseur,
Comprimant la pensée, et dépravant le cœur,
Faisant l'homme à la fois fourbe et pusillanime,
Par l'abus du pardon l'accoutumant au crime,
Aux vœux de la nature opposant d'autres vœux,
Promettant le bonheur, et rendant malheureux.
D'un si grand changement qui peut avec mesure
Calculer, annoncer l'influence future ?
D'un pape fugitif quel sera le destin ?
Le bâton pastoral, desséché dans sa main,
Reprendra-t-il encor sa verdure première ?
Le pasteur, en fuyant, a-t-il clos la carrière ?
Un conclave orgueilleux, revendiquant ses droits,
Les fera-t-il revivre, en proclamant un choix ?
Les peuples affranchis de leurs fers politiques,
Oseront-ils briser des fers plus tyranniques ?
Au mensonge, à l'erreur, cessant d'offrir leurs vœux,
L'esclavage moral est-il fini pour eux ?
Devançons l'avenir, et ce qu'il nous prépare :
C'en est fait pour jamais des droits de la tiare ;
Et contre les humains, un fourbe audacieux
N'ira plus emprunter la foudre dans les cieux.
À peine Rome est libre, on conspire sa perte ;
Le Piémont en secret, Naples à force ouverte.
Conspirateurs obscurs, agresseurs insensés,
Sous vos propres complots vous serez terrassés !
Quoi ! Rome subirait un nouvel esclavage !
La conquête des Francs serait votre partage !
C'est un présent par eux fait à la Liberté ;
Il sera défendu, puisqu'il fut accepté.
J'ai dit : et le Piémont, déjà libre lui-même,
Met aux pieds des Français un nouveau diadème ;
Le tyran confondu s'enfuit épouvanté ;
Il s'enfuit, il s'exile : il l'a trop mérité.
Sur Naples cependant nos légions s'avancent ;
Les Romains, parmi nous, dans l'arène s'élancent ;
Et les Napolitains, naguères insolens,
Mettent les armes bas, consternés et tremblans :
Leur maître fuit, forcé de chercher un asyle ;
Il n'en existe plus pour lui, même en Sicile.
Vaincu, déshonoré, chassé de ses États,
Il emporte le prix de ses noirs attentats.
Toscans, réveillez-vous : que Florence opprimée
Rappelle son antique et juste renommée.
Ses ducs, assez long-temps, ont usurpé vos droits,
Étouffé votre plainte, et fait taire vos lois.
Reprenez votre place entre les républiques ;
Imitez vos aïeux et leurs vertus civiques,
Et jouissez des fruits de la prospérité,
Au sein de l'industrie et de la Liberté.
Pleurons ici, pleurons les malheurs de Venise,
Libre un moment, hélas ! et de nouveau soumise.
Elle portait un joug volontaire et léger ;
Elle a reçu celui d'un despote étranger.
Inexplicable effet des chances de la guerre,
Qu'une invincible erreur rendit trop nécessaire !
Des destins si récens ne sont point affermis ;
La Liberté n'est pas, dans ces lieux, sans amis ;
Et tel Vénitien, qui l'entrevit si belle,
A juré dans son cœur de lui rester fidèle.
Sur des climats témoins de plus heureux succès,
Hâtons-nous de porter des regards satisfaits.
Les fiers enfans de Tell, l'indomptable Helvétie,
N'avaient pas su fermer à l'aristocratie
Le chemin exclusif des emplois, des honneurs ;
Des privilégiés, émules des seigneurs,
Fatiguant les cantons de leur sotte importance,
Imitaient la hauteur, les airs d'une puissance…
Les Français ont paru, le peuple s'est levé,
Et d'un ordre nouveau le jour est arrivé.
Des hommes vertueux le courage énergique
A soudain terrassé l'hydre aristocratique ;
Et les Helvétiens, admis aux mêmes droits,
Ne connaissent de joug que celui de leurs lois.
Parmi nos bataillons, leurs phalanges guerrières
Marcheront à la gloire en suivant nos bannières ;
Et la paix, que diffère un éternel congrès,
Sera le prix commun de nos communs succès.
Tant que la monarchie a pesé sur la France,
Genève a combattu pour son indépendance.
Elle redoutait moins, sans doute avec raison,
De ses patriciens l'obscure ambition,
Que le cynisme altier d'une femme absolue,
Qu'encensait bassement une cour dissolue.
Mais quand la République, aux vertus, aux talens,
A donné, dans ses lois, les plus sacrés garans,
Digne de partager l'éclat dont elle brille,
Genève s'est unie à la grande famille.
Quand il était esclave, on pouvait en rougir ;
Du nom de Français libre, on peut s'enorgueillir.
Chez les peuples du nord, la vérité plus lente
N'a point encor porté sa lumière éclatante :
L'instant de leur réveil n'a point encor sonné.
Sous un spectre de fer, le Russe est enchaîné ;
Jouet de son caprice et de sa tyrannie,
Devant un maître, il courbe une tête avilie.
Nul appui pour les arts, nul espoir aux talens ;
La pensée est réduite à craindre ses élans ;
Le peuple en est encore à l'ébauche grossière
Où s'arrêta l'effort du célèbre czar Pierre.
C'est là que la plupart des émigrés français
Sont allés expier leur faute ou leurs forfaits :
Là mille affronts sanglans que chaque jour ramène,
Irritent leur orgueil et redoublent leur peine.
Qui pourrait, pour les plaindre, oublier leurs excès ?
Leur complice, sans doute, et non pas un Français.
De ces lointains climats, vers le sein de la France,
D'automates armés, une horde s'avance…
Pourquoi chercher si loin la honte et le trépas !
C'est encore un triomphe offert à nos soldats.
Les Cimbres, les Suevons, neutres incorruptibles,
À tout l'or des Anglais restés inaccessibles,
N'ont point paru servir la ligne des tyrans.
Leurs rois, dans leurs vertus, trouveront des garans ;
Leur modération défendra leurs couronnes ;
Et si le ciel enfin a proscrit tous les trônes,
À cette loi commune ils devront obéir :
On peut les détrôner, mais non pas les haïr.
La Prusse soutiendra quelque temps sa puissance.
Elle a su deviner les destins de la France.
L'utile repentir de ses premiers écarts
A soustrait cette cour à de nombreux hasards.
Tranquille, imperturbable, au milieu de l'orage,
On l'a vue à la fois majestueuse et sage ;
Heureuse, en résistant aux perfides Anglais,
De n'avoir partagé leur or, ni leurs forfaits !
L'Autriche eût dû donner, ou suivre cet exemple :
D'une paix désirée elle eût ouvert le temple !
Les inspirations d'un ennemi puissant,
De son or corrupteur l'éclat éblouissant,
L'orgueil, l'orgueil surtout, ce vice héréditaire
Qui toujours signala, souilla son caractère,
L'ignorance, ou l'oubli de ses vrais intérêts,
Tout a couvert enfin ses yeux d'un voile épais.
Elle a reçu le prix d'une aveugle conduite ;
Des revers mérités en ont été la suite :
La faulx républicaine a moissonné cent fois
Ses nombreux bataillons, trop foible appui des rois.
Les rivages du Rhin, ceux du Pô, de l'Agide,
Ont été, chaque jour, les témoins d'un prodige.
Encore un seul effort, l'Autriche n'était plus.
Les pas de nos héros soudains sont suspendus ;
Une trêve fatale est offerte, acceptée,
Et la valeur française en sa course arrêtée.
La paix était à Vienne ; un sinistre congrès
A nourri des débats et retardé la paix.
Pendant ces jeux cruels de la diplomatie,
Avec nos ennemis l'Autriche négocie ;
Elle met à profit ces délais meurtriers
Qu'on croit avoir le feu de nos guerriers.
Hier, prête à succomber, elle demandait grâce ;
Insolente aujourd'hui, l'Autriche nous menace.
Il en est temps encore ; elle peut échapper
À la rigueur du sort tout prêt à la frapper.
Que, lasse de poursuivre une vaine vengeance,
À ses ressentimens elle impose silence ;
Que, lasse d'écouter de trop vaines fureurs,
Elle accepte à Rastadt la paix et ses faveurs.
Mais si, toujours liée au char de l'Angleterre,
Elle remet sa cause aux chances de la guerre,
La France fait un signe à ses fiers défenseurs ;
Ils volent à sa voix ; et nos drapeaux vainqueurs,
Flottant sur les tombeaux de Vienne ensevelie,
Disent aux nations : l'Autriche fut punie.
Quel aspect la Pologne offre aux regards surpris !
Ses enfans enchaînés, ses défenseurs proscrits,
Ses trésors envahis, ses moissons ravagées,
Sa population, ses villes partagées,
Victime de projets dès long-temps résolus,
Au rang des nations, elle n'existe plus.
Pour sauver son pays du malheur d'être esclave,
En vain Kosciuscko, moins fortuné que brave,
A su, par ses efforts, rendre son nom fameux,
La fortune a trahi ce héros généreux.
La dévastation, le sang et le carnage
Ont fini, cimenté cet horrible partage.
Le faible Polonais n'a point eu de vengeur !
N'est-on pas criminel, quand on n'est pas vainqueur ?
Et les rois ont souffert ces outrages extrêmes !
Il s'agissait, hélas ! d'un peuple… et non d'eux-mêmes.
L'extinction d'un peuple est un événement
Qui plaît à leur orgueil, et lui sert d'aliment.
Aucun bras ne soutient ta sublime querelle !
As-tu reçu, Pologne, une injure éternelle ?
Non ; tes membres épars seront un jour unis,
Et tes spoliateurs, dépouillés et punis.
Quel est ce colossal et languissant empire,
Où la force commande et la beauté soupire,
Où le pouvoir, flottant dans d'inhabiles mains,
Laisse au caprice seul tout le sort des humains,
Où les mœurs à la fois féroces, énervées,
Règlent les actions publiques et privées,
Où les arts dégradés, repoussés par les mœurs,
Jettent si lentement de si faibles lueurs,
Où les dissensions, les discordes civiles
N'ont jamais amené des résultats utiles,
Où le fatal cordon, muet exécuteur,
Délivre le tyran des objets de sa peur ?
À ces traits on devine, on nomme la Turquie.
Elle sut des Français être long-temps l'amie ;
Ses plus chers intérêts lui commandaient ces nœuds :
Qui vient de les briser ? Un dépit orgueilleux.
Sa faiblesse n'a pu nous voir sans sa jalousie,
Guidés par le succès, surprendre Alexandrie :
À son droit prétendu de souveraineté,
Elle a cru qu'à dessein on avait insulté ;
Oubliant en un jour des siècles d'alliance,
Elle éclate, elle s'arme, et court à la vengeance.
Qu'elle va payer cher, à ses nouveaux amis,
Un hypocrite zèle et des secours promis !…
Ils saisiront leur proie, en prenant sa défense ;
Et j'aperçois l'abyme où s'éteint sa puissance.
Fiers et jaloux Anglais, nouveaux Carthaginois,
Qui vous jouez de tout, et même de vos lois,
Qui, voulant surpasser vos modèles antiques,
Ajoutez des forfaits à vos torts politiques,
Qui, courbés sous le joug d'un ministre pervers,
Voulez, au même affront, soumettre l'univers,
Qui, soudoyant les rois, vos infâmes complices,
Sous leur trône ébranlé, creusez des précipices,
Qui, mendiant l'appui des plus vils scélérats,
Avez mis un tarif à leurs assassinats,
Dont la diplomatie, insigne espionnage,
N'est, mensonge éternel, qu'un cours de brigandage,…
Insulaires altiers, ne vous y trompez pas ;
Les temps sont accomplis ; la tombe est sous vos pas.
Les peuples abusés par des promesses vaines,
Vont enfin vous connaître, et secouer leurs chaînes.
Ils détournent les yeux d'un stérile trésor,
Et vous ne pompez plus leur sang avec votre or.
Un crédit élevé sur les bases d'argile,
Nourri par un effort toujours plus difficile,
Fondé sur une erreur prête à s'évanouir,
Touche au moment suprême, et soudain va périr.
La ligue des tyrans que vous avez formée,
Se perd, au gré des vents, comme de la fumée.
Anglais ! Vous restez seuls : dans cet isolement
Ne prévoyez-vous pas le fatal dénoûment ?
L'Angleterre a causé tous les maux de la guerre,
Leurs poids, en retombant, écrase l'Angleterre ;
Le continent n'a plus d'opprimés, d'oppresseurs ;
Le libre sein des mers, plus de dominateurs.
Ami, je mets un terme à ma course rapide.
Puisse la Liberté, qui m'a servi de guide,
Se frayer un chemin par des succès nouveaux,
Et bientôt ranimer mes trop faibles pinceaux !
Ces vœux seront remplis. Un mortel magnanime,
Qui, toujours courageux, fut, si souvent, sublime,
Que l'histoire, à son rang, un jour saura placer,
D'une voix prophétique, a su nous l'annoncer,
Quand il a dit ce mot, de vérité profonde :
Le ruban tricolore fera le tour du monde.