Aux représentans du peuple

Auteur(s)

Année de composition

1795

Genre poétique

Description

Quatrains d'alexandrins terminés par un octosyllabe en rimes embrassées

Texte

Dignes représentans, citoyens courageux,
Votre voix nous rassure, et la vertu respire ;
La justice reprend son légitime empire ;
Le crime seul tremble à vos yeux.

Nous la vîmes longtems, sans balance à la main,
N'employer que le fer dont elle étoit armée ;
Et la France en tous lieux, tremblante, consternée
Tomber sous son glaive inhumain.

Sous le nom spécieux d'un phantôme de loi,
Un despotisme affreux, tyran inexorable,
Pesoit sur l'innocent, plus que sur le coupable,
Et répandoit partout l'effroi.

Chez un peuple où brillait la douce humanité,
Que d'excès ! Que d'horreurs !… Ô dieux ! Pour notre gloire
De ces tems malheureux dérobez la mémoire
Aux yeux de la postérité.

Par des atrocités commande-t-on l'amour ?
Ah ! C'est donc vainement que brisant nos entraves,
Nous mettons, en héros, malgré des flots d'esclaves,
La victoire à l'ordre du jour.

Que nous servent six ans de peine et de travaux,
Si, malgré nos succès, l'odieuse Anarchie,
De son sceptre d'airain, mutilant ma patrie,
Nous livre à des tourments nouveaux ?

Trop longtems parmi nous a régné la terreur :
C'est l'arme du tyran, et qui le fait maudire :
L'auguste Liberté méconnoît un empire
Qui n'est fondé que sur la peur.

Nous avons décrété la sainte Égalité :
Si nous sommes égaux, si nous sommes tous frères,
Loin de les aggraver, allégeons les misères
De la fragile humanité.

Le sage peut errer ; mais son cœur innocent
Et pur comme le jour, est tout à sa patrie,
Faudra-t-il, sans pitié l'arrachant à la vie,
Punir le sommeil d'un moment ?

Nos ennemis jaloux, dans leurs plans inhumains,
Sur nos divisions fondent leur espérance :
Sevrons-les du plaisir de voir gémir la France
En se déchirant de ses mains.

Périsse aussi, comme eux, sous son masque imposteur !
Le traître qui, gagé par la ligue despote,
Est délateur perfide, intriguant patriote,
Français de bouche, Anglais de cœur.

Ne parler que de meurtre et de proscription,
Pour un Français, grands dieux ! quel horrible langage,
Eh ! Que nous pourroit donc demander davantage
Le sombre habitant d'Albion ?

Tel, abusant jadis nos crédules ayeux,
Au pied d'un chêne antique, un barbare druide
S'abreuvoit de leur sang, et d'un fer homicide
Les immoloit au nom des dieux.

Il est passé ce tems de trouble et de malheurs :
Dignes représentans, votre mâle énergie,
En proscrivant le crime, agrandit la patrie,
Et vous attache tous les cœurs.

Par vous le citoyen respire en ses foyers ;
Sa main cultive en paix son tranquille héritage,
Sans craindre d'être encor, par un nouvel orage,
En proie à des flots meurtriers.

On ne voit plus la Loire, et l'Indre désolé,
De cadavres sans nombre, immolés sur leurs rives,
Porter l'affreux fardeau sur leurs ondes plaintives,
À l'Océan épouvanté.

La pâle mort a fui de ces lieux pleins d'horreurs :
Un décret créateur repeuplant la contrée,
Souffle un esprit de vie, et rend à la Vendée
Des milliers de cultivateurs.

Quel heureux changement, que de nouveaux guerriers !
Pères de la patrie, achevez votre ouvrage :
Près du port, empêchez qu'un perfide naufrage
Ne change en cyprès nos lauriers.

Ramenez l'âge d'or : les vertus l'ont donné :
Qu'elles soient en honneur ; que le méchant périsse ;
Mais qu'il rende, en mourant, hommage à la justice
Des loix qui l'auront condamné.

Ainsi tout nous annonce un brillant avenir.
Par vos soins, on triomphe, on s'éclaire, on s'épure :
Vos noms seront sacrés, et la race future
Bénira votre souvenir.

 
 

Sources

BNF, Ye 14574.