Ode républicaine au peuple français, sur l'Être suprême / Hymne à l'Éternel
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Paratexte
Flatter le souverain, c'est trahir la patrie.
Texte
Musique de Langlé
Si j'osai quand le sceptre armait la tyrannie,
D'un vers républicain épouvanter les rois
Si de la liberté l'indomptable génie
Sut toujours enflammer et mon cœur et ma voix :
Si malgré la Bastille et ses tours menaçantes
Proclamant cette fière et sainte liberté
J'osai poursuivre alors de mes rimes sanglantes
L'insecte usurpateur qu'on nomme majesté.
Si de l'indépendance avançant la conquête
Dans le sein des tyrans je plongeai le remord
Si la palme civique en ombrageant ma tête,
La dévoue à la gloire et peut-être à la mort :
Français dont j'éveillai les langueurs léthargiques,
Peuple-Roi, trop longtemps par les rois détrôné,
Non tu ne craindras point mes accents énergiques ;
Tu prêteras l'oreille à qui t'a couronné.
Tu règnes ! Tu peux tout : crains ce pouvoir extrême.
Crains surtout les flatteurs ; ils enivrent l'orgueil :
Ils ont perdu les rois ; ils te perdraient toi-même ;
C'est eux qui sous le trône ont creusé le cercueil.
La vérité ! Voila mon offrande chérie.
Loin de toi pour jamais le vil encens des cours.
Flatter le souverain, c'est trahir la patrie.
C'est du bonheur public empoisonner le cours.
Peuple ! Sans la sagesse une aveugle puissance
Vers sa chute bientôt précipite ses pas.
La vérité m'inspire. Ô terre ! Fais silence.
Malheur à l'insensé qui ne l'écoute pas !
Atome d'un instant, poussière fugitive
Homme né pour la mort, parle ! As-tu fait les cieux ?
As-tu dit à la mer : brise-toi sur la rive ?
As-tu dit au soleil : marche et luis sous mes yeux ?
C'est un Dieu qui l'a dit ! Ce Dieu de la pensée
N'a pas besoin d'autels de prêtres ni d'encens.
Mais quelle ingratitude orgueilleuse, insensée,
Oserait lui ravir tes vœux reconnaissants ?
Et contre l'Éternel un vermisseau conspire !
Et, rampant dans un coin de ce vaste univers,
L'homme chasserait Dieu du sein de son empire !
Il nommerait sagesse un délire pervers !
L'impie atteste en vain le néant ou l'absence
D'un Dieu que les remords révèlent aux forfaits :
Et moi, j'ose attester l'invisible présence
D'un Dieu qu'à l'univers révèlent ses bienfaits.
Ces astres que tu vois, ce globe où tu respires,
Tes jours, ta liberté sont l'œuvre de ses mains,
Il tient du haut des cieux les rênes des empires,
Et veille avec amour sur les frêles humains.
Fuis, superstition ! Tu l'armais du tonnerre :
Ton ministre insensé lui prêtait sa fureur.
Qui fait parler le Ciel ment toujours à la terre ;
Et la terre encensait l'imposture et l'erreur.
Quoi ! L'Europe à genoux trembla sous la tiare !
Et le pieux effroi des crédules mortels,
D'un pontife romain payant le luxe avare,
Brigua l'honneur honteux d'enrichir ses autels !
Tyran fourbe et sacré, fier d'une triple idole,
Toi qui vendis le Ciel trop longtemps outragé,
Misérable imposteur, descends du Capitole !
Le prêtre a disparu : l'Éternel est vengé.
Ah ! L'être indépendant, cause unique et féconde,
N'est point ce triple dieu qu'enferme un ciel jaloux.
Père de la nature, il anime le monde.
Nous respirons en lui, comme il respire en nous.
Non, Dieu n'existe point s'il n'est pas dans notre âme.
C'est là que retentit son immortelle voix.
Il habite les cœurs : c'est là qu'en traits de flamme
Lui-même a su graver nos devoirs et ses lois.
Son culte est la vertu : le juste est son image.
D'hypocrites mortels l'ont trop défiguré.
Ah ! Pourvu que des cœurs il reçoive l'hommage,
Qu'importe sous quels noms ce Dieu soit adoré !
C'est en face du Ciel devant l'Être des êtres,
Que tes législateurs ont détrôné les rois.
Toi-même, ô nation ! Libre enfin de tes prêtres,
Tu voulus par un Dieu sanctifier tes droits.
À ce grand créateur qui te nourrit, qui t'aime,
Tu ne réserves point un oubli criminel.
Pour régner sur les rois, sers bien ce roi suprême,
Tombe avec l'univers aux pieds de l'Éternel.
Inspiré par ce Dieu qu'indigne l'esclavage,
Peuple relève-toi pour frapper les tyrans.
De la Seine à jamais affranchis le rivage,
Jurons la liberté sur leurs corps expirants.
Du monarque éternel les nations sont filles.
Est-ce donc pour les rois qu'il créa l'univers ?
Est-ce à leur fol orgueil, est-ce à quelques familles
Qu'il voulut asservir tant de peuples divers ?
Le cèdre du Liban s'était dit à lui-même :
Je règne sur les monts : ma tête est dans tes cieux.
J'étends sur les forêts mon vaste diadème,
Je prête un noble asile à l'aigle audacieux.
À mes pieds l'homme rampe… et l'homme qu'il outrage
Rit, se lève, et d'un bras trop longtemps dédaigné,
Fait tomber sous la hache et la tête et l'ombrage
De ce roi des forêts de la chute indigné.
Vainement il s'exhale en des plaintes amères ;
Les arbres d'alentour sont joyeux de son deuil :
Affranchis de son ombre ils s'élèvent en frères,
Et du géant superbe un ver punit l'orgueil.