Vaisseau « Le Vengeur » (Le)

Auteur(s)

Année de composition

1794

Genre poétique

Description

Paratexte

Texte

Sur l'Océan jamais la France
Ne déploya tant de grandeur.
Son bras de l'Anglais oppresseur
Punissait la longue insolence ; 
Du joug de ces tyrans, et si vils, et si fiers, 
Qui toujours sur le nombre ont fondé leur courage, 
Nos libres matelots affranchissaient les mers ;
Leurs chants républicains échauffaient le carnage ;
Et quel que soit l'arrêt du sort, 
Ils tiendront leur serment : la victoire ou la mort !

Mais bientôt à leurs vœux les vents sont infidèles, 
D'un souffle contraire emporté,
Le Vengeur combat seul, de la ligne écarté.
Quatre flottantes citadelles 
De leur canon sur lui dirigent tous les feux. 
Il y répond : longtemps le succès est douteux.

La voile déchirée aux vents laisse un passage ;
Le rapide boulet emporte le cordage ;
La vergue, sans appui, frappe les mâts rompus ;
Ils se brisent, et le navire
Au gouvernail n'obéit plus ;
Et nos braves marins de dire : 
« Feu, stribord ! Feu, bas-bord ! Des voiles et des mâts 
Servent à qui veut fuir, mais nous ne fuirons pas. »

Ces mots augmentent leur audace. 
Deux vaisseaux d'Albion, de débris tout couverts, 
S'éloignent du combat ; d'autres ont pris leur place. 
Du Vengeur cependant les membres entrouverts 
Laissent de toutes parts entrer l'onde fatale :
Plus d'espoir ! La flotte rivale 
Criait à nos guerriers : « Imprudents ! Rendez-vous ; 
Baissez ce pavillon, ou vous périssez tous. »

« Eh ! quoi ! La superbe Angleterre
Dans ses ports verrait le Vengeur
Suivre lâchement un vainqueur !
Quel affront pour la France entière !
Nous libres, nous républicains. 
Par un marché honteux achetant notre vie, 
Nous pourrions nous livrer à votre perfidie !
Et des fers chargeraient nos mains ?
À nous déshonorer, osez-vous bien prétendre ? 
Les Français aujourd'hui ne savent plus se rendre. »

Ainsi parlant, nos matelots 
Déjà poursuivis par les flots. 
Montent sur le tillac ; en signe de leur joie, 
De tous côtés leur main déploie
Les pavillons aux trois couleurs, 
Et la flottante flamme, et les pavois vainqueurs.
Les chapeaux qui couvraient leur tête 
Sont élevés dans l'air comme en un jour de fête.
La mer s'ouvre ; ces mots heureux
Consolent leur âme héroïque :
France ! Liberté ! République ! 
Ils disent, et les flots se referment sur eux.

Troupe invincible et magnanime.
De votre dévouement sublime
La France instruira l'univers. 
De sa reconnaissance entendez les concerts.
Du vaisseau que votre courage 
Refusa de livrer à l'infâme Albion
Elle suspend la noble image
Aux voûtes de son Panthéon ;
Au pinceau fidèle elle ordonne
De vous reproduire à nos yeux.
Et sur l'immortelle colonne
Elle écrit vos noms glorieux.
Ces noms éclatants dans l'Histoire, 
De nos jeunes marins orneront la mémoire ; 
Et dans tous les combats, ces enfants de l'honneur
Se ressouviendront du Vengeur.