Épître à la Société des amis de la liberté et de l'égalité, séante aux ci-devant Jacobins
Mots-clés
Paratexte
Texte
C'est à toi dont la vigilance,
Le zèle ardent & l'active constance,
Ont défendu la liberté
Contre la rage & l'insolence
Du monstre de la royauté ;
Intrépide Société,
Vrai foyer du patriotisme,
Où le feu sacré du civisme
Fit éclore l'égalité ;
C'est à toi, fléau des despotes,
Qu'un franc républicain & de cœur & d'esprit,
Mandataire des sans-culottes,
Adresse ce rapide écrit.
Asservi par la violence,
Et contraint d'étouffer les accens de ma voix,
Depuis trente ans, dans le silence,
Je nourrissois ma haine pour les rois
Et mon horreur pour l'esclavage.
Sans cesse en butte aux caprices divers
D'un tigre couronné, d'un monstre anthropophage,
Je frémissois sous le poids de mes fers,
Et je disois, dans ma détresse :…
Liberté sainte, objet de ma tendresse,
Quand verrai-je flotter tes drapeaux triomphans
Sur les débris épars des trônes des tyrans !
Quand verrai-je tomber la foudre
Sur ces colosses orgueilleux !
Quand verrai-je réduire en poudre
Leurs satellites odieux !
Tels étoient mes désirs… & tels étoient les vœux
Que formoit mon âme inquiète,
Quand tout-à-coup, du fond de ma retraite,
J'entends ces cris perçans retentir dans les airs…
Ils roulent comme le tonnerre…
« Éveillez-vous, habitans de la terre,
Le peuple de Paris vient de briser vos fers ;
Du despotisme altier il renverse l'empire,
La liberté renaît… Enfin l'homme respire !
Ces cris sont répétés par mille échos divers
Oui, c'est lui, citoyens… c'est ce peuple paisible,
Qui, las enfin d'être persécuté,
Cédant à son courroux justement excité,
Se lève brusquement, arme son bras terrible…
Il fond comme un torrent sur ce repaire horrible
Où gémissoit l'humanité,
Renverse avec fracas ces souterrains funèbres
Où, sous le voile des ténèbres,
Croyant de leurs forfaits ensevelir l'horreur,
Nos satrapes buvoient dans la coupe des crimes
Le sang innocent des victimes
Qu'ils immoloient à leur fureur.
Oui, c'est lui, citoyens, c'est lui dont le courage
A délivré l'humanité
Du joug affreux de l'esclavage…
Vous lui devez la liberté…
Oui, vous la lui devez ;… lui seul la fit éclore ;
Et son sang qu'il versa pour cette déité
Que tout républicain adore
Nos yeux l'ont vu couler encore
Pour cimenter l'égalité…
En vain la noire calomnie
Tenteroit de ternir ses civiques exploits ;
La France doit à son génie,
À sa force, à son énergie
L'anéantissement de rois.
Si sa haine pour l'esclavage
A quelquefois égaré son courage,
Son retour vers l'humanité,
Sa franchise, sa loyauté,
Doivent d'une erreur passagère
Faire oublier le mal peut-être nécessaire
Au salut de la liberté.
Vas, peuple généreux, ne crains rien pour ta gloire !
Nos triomphes brillans, nos rapides succès,
Sont les salutaires effets
De la mémorable victoire
Que tes héros unis aux héros marseillais
Ont, par leur valeur intrépide,
Remporté, le dix août, sur le tyran perfide
Qui tant de fois versa le sang français.
Mais quoi ! Tandis qu'aux rives de la Meuse,
Du Var, de l'Escaut & du Rhin,
La Nation victorieuse
Des satrapes & du destin,
Déploie avec éclat l'étendard tricolore ;
Tandis que nos braves guerriers,
L'olivier à la main, le front ceint de lauriers,
Aux peuples opprimés vont annoncer l'aurore
Du nouvel âge d'or qui pour nous vient d'éclore.
Faut-il que la dissention,
L'intérêt, la haine, l'envie,
L'amour-propre, la jalousie,
Agitent la Convention !
Faut-il que la division,
La discorde, la zizanie,
Dérangent, troublent l'harmonie
De ses délibérations !
Que de petites passions,
Vil partage de l'égoïsme,
Détournent, brisent les rayons
De ce flambeau qu'alluma le civisme,
Pour éclairer les nations.
Mandataires d'un peuple libre
Non, ce n'est pas ainsi, qu'aux rivages du Tibre,
Un Sénat, la terreur des tyrans & des rois,
Concertoit ses projets, & dirigeoit ses lois !
Mandataires d'un peuple libre,
Des millions d'individus,
Comptent sur vos talens, comptent sur vos vertus,
Sur votre sagesse profonde.
Représentans, souvenez-vous
Que vous devez des loix au monde ;
Qu'après avoir enfin… porté les derniers coups
Au monstre couronné qui déchira la France,
Sur le tombeau de ce tyran cruel
Vous devez élever l'édifice éternel
De notre liberté, de notre indépendance.
Et toi, Mère-société,
Toi, dont le sein fera toujours l'asile
Des droits de l'homme & de l'égalité,
Use, dans ce temps difficile,
De ton esprit, de ta sagacité.
Déjà ton zèle & ton activité
Repoussant de la force armée
Le projet incivique, antirépublicain
Ont redressé l'esprit humain,
Rassuré la France alarmée.
Déjà, par tes foins vigilans,
Les subterfuges politiques
Des fourbes & des intrigans,
Les trames, les complots iniques
Des frippons & des charlatans.
Les lenteurs aristocratiques
Des modérés & des feuillans,
Et l'astucieuse tactique
Des pirates & des forbans
Sont connus de la République.
De tes salutaires écrits
Dans peu la bénigne influence
En détruisant la méfiance,
Va rallier les bons esprits.
Elle a déjà posé le cachet du mépris
Sur les farces anticiviques[1]
Et sur les feuilles méphitiques[2]
Qu'on voit pulluler dans Paris.
Elle a déconcerté la clique
Des parasites, des gourmets ;
Culbuté le conseil aulique
Des fabricateurs de projets
Et pourchassé la meute famélique
De ces doguins, de ces roquets,
Qui contre notre République
Jappent chaque jour des pamphlets.
Ô Société tutélaire
De la raison & de la vérité;
Modèle de fraternité,
De la vertu vrai sanctuaire,
Ah ! Par quelle fatalité
Falloit-il qu'en ton sein un monstre sanguinaire,
Par le royalisme exalté,
Choisît, frappât une victime !
Ah ! Pour transmettre à la postérité
Notre horreur pour la royauté
Falloit-il donc encore un crime !
Non ; mais un vil tyran qui de la cruauté
Fit constamment son idole chérie,
Devoit par une atrocité
Sceller le terme de sa vie.
Poursuis, digne Société,
Soutiens dans sa lutte pénible
Cette Montagne inaccessible
Aux appas séducteurs de la cupidité ;
Cette Montagne incorruptible,
Qui combat pour le peuple & pour l'égalité ;
Poursuis, ranime ton courage,
Tes efforts réunis aux efforts concertés
Des Jacobins de nos cités,
Braveront le nouvel orage
Que Pitt & George ont suscité ;
Et sauveront encor des horreurs du naufrage
Le vaisseau de la liberté.