Ode du 14 juillet 1789
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Paratexte
Cette ode fut ébauchée à l'époque même qu'on célèbre. Elle était restée depuis imparfaite parmi les papiers de l'auteur. Dans les jours complémentaires de l'an VI, il se trouvait sur une terre étrangère, et dans des circonstances qui l'engagèrent à revoir à la hâte ses manuscrits, pour mettre en sûreté ce qui lui paraîtrait de quelqu'intérêt : il y retrouva sa minute pleine de ratures et de lacunes. Pendant la nuit suivante, dans une position qui n'est connue que de ceux qui étaient alors auprès de lui, tout occupé du souvenir de sa patrie, il soulagea la plénitude de ses sentimens, en mettant la dernière main à cette ode patriotique. De retour dans la métropole des Arts et de la Liberté, il présente aujourd'hui ce faible ouvrage à l'indulgence des poëtes et des républicains. Il n'a pas cru devoir changer les dernières strophes, les seules, la dernière surtout, où il n'ait pas corrigé un seul mot
Texte
Muses, Pinde, Apollon, poétiques mensonges,
Loin de moi ! Je t'implore, ô sainte Vérité !
Amour de la patrie, auguste Liberté,
Venez remplacer de vains songes.
Heureux qui, pénétré de tes feux immortels,
Chante, victorieux, ses entraves brisées ;
Qui des palmes de Mars, de son sang arrosées,
Couronne vos sacrés autels !
Liberté ! Liberté ! Que ce cri retentisse
De Paris au Détroit, aux Alpes, aux deux mers ;
Ennemis impuissans qui nous forgiez des fers,
Que ce cri soit votre supplice !
Vos bataillons nombreux effrayaient nos remparts :
Le bronze impatient demandait le carnage :
Quel souffle protecteur a détourné l'orage
Et dissipe vos étendarts ?
Ainsi l'enfant du Nord, aux perçantes haleines,
Fond sur le vent impur que le Sud a vomi,
Et dissout en vapeurs le nuage ennemi
Qui déjà grondait sur nos plaines.
Tombez, du Despotisme insolens bastions,
Gouffres où gémissaient la vertu, le courage ;
Tours, dont le nom fameux disait notre esclavage
Aux plus lointaines nations !
L'éclat de votre chute a vengé la patrie,
A rompu des tyrans le projet ténébreux ;
Le lys aimé du Ciel[1], à ce signal heureux,
Renaît sur sa tige flétrie.
D'où jaillissent ces flots d'intrépides soldats ?
Trop long-tems assoupi sous le poids de sa chaîne,
Le paisible habitant des rivages de Seine
Se réveille et vole aux combats.
Mais qui pourra guider ces cohortes naissantes,
Et régler de leurs pas l'essor impétueux ?
Oh ! Qui saura changer ces rangs tumultueux
En phalanges obéissantes ?
S'il était un héros, qui de la liberté
Eût cherché, jeune encor, le noble apprentissage
Jusqu'au-delà des mers, où frémissait la rage
Du Léopard ensanglanté ;
Un héros, aux dangers calme autant qu'intrépide,
Étranger à l'orgueil, aux bassesses des grands,
Nourri d'amour du peuple et d'horreur des tyrans,
Dont le nom seul fût une égide !
Qu'il vienne ! Les respects, les civiques honneurs,
L'enthousiasme ardent, l'aveugle confiance
Le suivront ; et jamais politique puissance
Ne se fonda mieux sur les cœurs.
Mais que jamais sur lui la faveur mensongère
Ne verse les pavots d'un perfide sommeil !
Il s'évanouirait, comme une ombre légère
Aux premiers rayons du soleil.
- ^ Le lys était encore alors l'emblème de la France