Paix ! La paix ! (La)

Année de composition

1790

Genre poétique

Description

Alexandrins en rimes plates

Mots-clés

Paratexte

Texte

Ah ! Ah ! Des vers ! Voyons cet homme est-il des nôtres ?
Ceci fera-t-il suite aux Actes des apôtres ?
– Non, messieurs, bannissez un espoir superflu :
Vous nommez un journal que je n'ai jamais lu.
– Monsieur est démocrate ! – Oh non. – Aristocrate ?
– Mon Dieu, non, je vous jure et mon oreille ingrate
Ne peut s'accoutumer à tous ces noms nouveaux.
– Eh mais, qu'êtes-vous donc, en ce cas ? – En deux mots, 
Un citoyen loyal. – J'en ai l'âme ravie
Mais il faut être, enfin, d'un parti dans la vie.
– Je vous déclare, moi, que je ne suis d'aucun.
Expliquons-nous pourtant : car j'en ai bien pris un ;
C'est de vivre avec tous en bonne intelligence
C'est, puisque j'ai besoin moi-même d'indulgence,
D'en avoir pour autrui ; sans être indifférent,
D'être doux, modéré, surtout très tolérant ;
De n'être point surpris qu'ici-bas chacun tienne
À son opinion, et de garder la mienne.
– Êtes-vous contre ou pour la révolution ?
– Eh pourquoi me tenter par cette question ?
Je gage qu'avec vous pour peu que je m'explique,
Vous m'allez répliquer… Dieu sait quelle réplique !
Si je veux me défendre, alors vous prendrez feu : 
Et moi, je finirai par oublier mon vœu ;
Et dans ce long débat qu'un mot aura fait naître,
Par affliger, blesser, un bon ami peut-être ;
Car j'oserai le dire, et j'en fais vanité,
J'ai des amis, j'en ai d'un et d'autre côté.
Eh ! Pourquoi voulez-vous, messieurs, que je m'expose
À perdre une si douce, une si rare chose ?
Un grand bien, un beau droit va vous être rendu
Mais moi, me rendra-t-on l'ami que j'ai perdu ?
Et d'ailleurs, qui m'oblige à rompre le silence ?
Suis-je donc nécessaire au bonheur de la France ?
Ô que je la plaindrais ! Mais, grâce au ciel, je crois 
Que tout pourra fort bien se terminer sans moi.
Mon inutilité ne manque point d'excuses.
Je cultive en secret le commerce des muses :
Car on fera des vers encor, c'est mon espoir.
Fatigués tout le jour, il faudra bien, le soir,
Revenir, tôt ou tard, aux plaisirs doux, honnêtes.
Puis, franchement, messieurs, grâce au bruit que vous faites
Lorsque vous parlez tous à la fois et si haut,
Je n'ai ni les poumons, ni la force qu'il faut :
On ne m'entendrait point. Tout ce que je puis faire,
C'est d'aller, de venir, dans ma petite sphère,
D'adoucir les esprits, de calmer les débats.
Je m'approche de l'un, et je lui dis tout bas :
« Vous souffrez, vous perdez ; mais quoi vous êtes père
Et moi, je perds aussi, je souffre : hé bien, j'espère. »
Et lorsque je rencontre un cœur trop ulcéré,
« L'infortuné, me dis-je, est un objet sacré[1] :
Quand il serait injuste, il est bien excusable.
Je suis homme[2], et dois plaindre un homme inconsolable. »
Je lui laisse exhaler et sa bile et son fiel,
Espérant tout du temps, et laissant faire au ciel.
Je dis à l'autre : « Eh mais, quelle fureur vous pousse ?
Ayez donc une joie et plus calme et plus douce :
Supportez le bonheur avec humanité,
Et montrez-nous qu'au moins vous l'avez mérité. »
Du reste, autour de moi qu'on murmure, qu'on fronde,
Je vais criant partout : « Ami de tout le monde ! »
Non, en valet poltron et prompt à s'alarmer,
Mais en homme qui sent le doux besoin d'aimer,
Trouvant tout naturel de chérir ses semblables,
Et, pourvu qu'ils soient bons, les voyant tous aimables.
La liberté, sans doute, est un bien précieux ;
Mais la paix ! Ah ! La paix est un présent des cieux.
Mon bon patron saint Jean, et non pas Jean-Baptiste
Prêchant dans le désert, mais Jean l'Évangéliste,
Disciple bien aimé du maître le plus doux,
Disait toujours : « Enfants, aimez-vous, aimez-vous,
Puis, aimez-vous, encor. » Morale enchanteresse !
Et moi, je le répète, et je le dis sans cesse.
« Aimons-nous, aimons-nous. » Voyons des mêmes yeux,
Soyons du même avis, cela vaudrait bien mieux :
Mais, si nous épousons des sentiments contraires,
Souvenons-nous du moins que nous sommes tous frères.

 

  1. ^ Res est sacra miser
  2. ^ Homo sum ; humani nihil a me alienum puto (Ter.)
 
 

Sources



COLLIN D'HARLEVILLE Jean-François, Œuvres, Paris, Chez Janet et Cotelle, 1821, tome 4, p. 49-52.