Stances sur Bonaparte

Auteur(s)

Année de composition

1800

Genre poétique

Description

Douzains d'heptasyllabes en rimes croisées

Texte

Quel est ce dieu qui s'avance
En planant sur les mortels !
Comme un éclair il s'élance
Dans les sentiers éternels…
Ah ! Sans doute, si la fable
Charme par sa fiction,
Ce héros incomparable
Fait croire à l'illusion.
Dieux de la Grèce et de Rome,
Baissez vos fronts orgueilleux ;
Contemplez dans un seul homme
Vos faits les plus merveilleux.

Il calme dans sa patrie
Les troubles qui l'agitaient,
Il arrête la furie
Des tyrans qui l'attaquaient :
Comme un foudre, il fend, renverse
Leurs bataillons éperdus ;
En un jour des rois vaincus
La ligue impie il disperse :
Les peuples brisent leurs fers,
Et la terre est délivrée.
Tel Jupin dans l'empirée
D'un clin d'œil meut l'univers.

La fanatique Italie,
Sous l'erreur ensevelie,
Il arrache du tombeau ;
Les apôtres du mensonge
Disparaissent comme un songe
Devant son divin flambeau.
En vain, dans Malte fameuse
Cette troupe ténébreuse
Trouvait asyle et secours ;
Ses remparts si formidables,
Qu'on disait inexpugnables,
Ne peuvent tenir deux jours.

Et toi, terre infortunée,
Dont l'affreuse destinée
Fut de subir tour à tour
Le joug de la tyrannie,
Tu vois luire un nouveau jour :
Tes fers brisés sans retour
Vont te rendre à l'industrie,
Et ranimer ton génie.
Père de tant d'arts divins
Qui de leur source féconde
S'épandirent dans le monde,
Pour éclairer les humains.

Lorsque le grand Alexandre
Sur tes rives vint descendre,
En chassa les fiers Persans,
Il n'allégea que tes chaînes,
Pour prendre à son tour les rênes
Qu'il laisse à d'autres tyrans :
Bientôt tes superbes villes,
Tes campagnes si fertiles,
Ne sont que vastes tombeaux ;
Par-tout de tristes décombres
Ne montrent plus que les ombres
De tes merveilleux travaux.

Non moins brave qu'Alexandre,
Bien plus grand, plus vertueux,
Bonaparte vient te rendre,
Égyptien, plus heureux.
Le souffle de son génie
Va raviver ta patrie,
Et ressusciter les arts
Qu'étouffa la barbarie :
Fils de Minerve et de Mars
Amant heureux de la gloire,
La liberté, la victoire
Marchent sous ses étendards.

Mais quelle voix le rappelle
Sur les bords de l'Occident ?
Quelle trame criminelle
Fait voler ce conquérant ?
Tu pensais donc, ligue impie,
Qu'éloigné de sa patrie,
Son bras serait impuissant,
Et ta perfidie impunie ;
Sans respect pour les traités,
Tu crus, pleine d'arrogance,
Anéantir de la France
Les droits et les libertés.

Déjà, de l'aigle indocile
Et du sombre léopard
Flotte par-tout l'étendard ;
Déjà, la guerre civile
S'allume de toute part.
Le héros, d'un vol rapide,
Fendant la plaine liquide,
Au danger est accouru :
Son génie a tout vaincu,
Tout cède à sa noble audace ;
Les rois lui demandent grâce,
Et la ligue a disparu.

Anciens conquérans du monde,
Qui, sur la terre et sur l'onde,
Rendîtes vos noms fameux,
La soif seule de la gloire
Vous guidait à la victoire,
Et des peuples malheureux
Vous aggraviez la misère :
Bonaparte en est le père,
Vous en fûtes les fléaux ;
À lui seul on doit l'offrande.
Oui, c'est un dieu qui commande
Des phalanges de héros.

 
 

Sources

Courier de l'Égypte, n° 85, 30 vendémiaire IX, p. 3-4.