Bergère des bords du Gardon à Madame Bonaparte (Une)

Année de composition

1802

Genre poétique

Description

Mots-clés

Musique

Paratexte

Idylle à la paix

Texte

J'étais sur les bords du Gardon,
Mon troupeau sommeillait sous un figuier sauvage,
Je fredonnais une tendre chanson ;
J'aime à chanter sur ce rivage.
Mais soudain, flûtes et hautbois
Retentissent à mon oreille ;
Aux sons du tambourin répondent mille voix ;
Mon cœur s'agite et mon troupeau s'éveille.
J'accourais à ce bruit, lorsqu'un jeune berger
Me crie à travers le feuillage :
« Lise ! La paix ! La paix ! Son heureux messager
Est enfin dans notre village. »
La paix ! À ce doux nom, je reconnais la main
Qui fait ce présent à la terre ;
Je songe ensuite à mon hymen
Toujours retardé par la guerre.
Ô toi ! Compagne du héros
Qui donne la paix à la France,
Vois le bonheur de nos hameaux,
Entends la voix de la reconnaissance.
Tu partages tout son destin,
Il fait jaillir sur toi les rayons de sa gloire :
Le jour où tu reçus sa main
Fut pour ton cœur un beau jour de victoire.
Il t'aime, on nous le dit ; sur les bords du Gardon,
Il n'est bruit parmi nous que de ce bon ménage.
Ménage ! Ah ! Pour ce mot obtiendrai-je pardon ?
C'est là mon rustique langage.
Je voudrais dire un des traits de bonté,
Dont chaque jour tu sèmes ta carrière :
Souris à ma naïveté ;
Je vais le raconter en style de bergère.

Un vieux pasteur n'avait plus de troupeau ;
On avait ravagé son plus beau pâturage ;
Il n'avait plus pour toit que l'abri du feuillage ;
Mais le ciel prend pitié du plus petit agneau.
Un jour, arrive à ma chaumière
Ce malheureux ; (Alexis est son nom)
Il venait consulter son ami, mon vieux père,
L'oracle de tout le canton.
– Dès demain, lui dit-il, je fais un grand voyage,
Je porte mes pas vers Paris.
– Vers Paris, Alexis ! Et qu'y faire, à votre âge ?
– Réclamer mon troupeau. Je veux, mes bons amis,
Visiter ce bruyant rivage ;
Je m'y sens entraîné par un heureux présage.
– Suivez ce doux pressentiment ,
Lui dit mon père en l'embrassant.
Il part ; il voit les rives de la Seine ;
Il croit attendrir tous les cœurs ;
Il conte en vain ses malheurs,
On rit de sa franchise, on insulte à ses pleurs,
Un vieillard bienfaisant adoucit seul sa peine ;
Il lui dit : « J'avais perdu
Mes enfants et leur héritage :
Je suis heureux, Fanny m'a tout rendu.
Que mon bonheur du vôtre soit le gage ! »
À ce simple récit, il conçoit de l'espoir ;
Il vole vers le Louvre, et demande à vous voir.
On le refuse, il se plaint, il s'obstine ;
On le repousse, il se mutine :
Les gardes l'arrêtaient, lorsqu'il voit votre char
Venir vers lui d'une course légère,
Il vous fait en pleurant une tendre prière,
Et vous lui répondez par un tendre regard :
– Pauvre vieillard ! Captif on vous emmène !
Qu'avez-vous fait ? Parlez, séchez vos pleurs.
– Eh ! J'ai voulu vous conter mes malheurs ;
C'est là mon crime ; et la garde inhumaine… »
Vous souriez, et l'on brise sa chaîne.
Libre par vous, il vole à MalmaisonMaison de plaisance du Premier Consul.
Près d'un ruisseau, sur un banc de gazon,
Il se repose, et reçoit audience ;
Vous l'accueillez comme un homme des champs
Il vous dépeint ses droits, son innocence ;
Il offre à votre cœur des tableaux bien touchants.
– Vous verrez vos agneaux bondir dans la prairie,
Bon Alexis ; dites dans les hameaux :
« Le Consul m'a rendu ma cabane chérie ;
Il s'intéresse à nos troupeaux ;
Il est l'ami des champs et de la bergerie. »
Le lendemain de ce beau jour,
Se consomma l'acte de bienfaisance.
Alexis est heureux ; il redit tour à tour
Et vos bienfaits, et sa reconnaissance.

C'est ainsi qu'aux bords du Gardon
Une jeune et tendre bergère
Aux échos attendris répète votre nom.
Son offrande à la paix vous semblera légère ;
Mais que peut-elle offrir ? Une simple chanson.

 
 

Sources

Almanach des Muses pour l'an XI, ou Choix des poésies fugitives de 1802, Paris, Louis, an XI, p. 45-48.