Ossian à Bonaparte

Auteur(s)

Année de composition

v. 1802

Genre poétique

Description

Alexandrins en rimes plates

Musique

Paratexte

Jusqu'au palais des vents, où mon ombre tranquille,
Assise nuit et jour sur un trône mobile,
Voit flotter sous ses pieds tout le vaste univers
Comme un brouillard obscur, hôte errant des déserts,
Les cent bardes gaulois, pleins d'une douce ivresse,
Ont fait monter leurs chants de paix et d'allégresse ;
Terre auguste, salut ! Salut, guerriers fameux !
Quand la nuit, et non loin du torrent écumeux,
Dans les forêts d'Arven, sur ma harpe fidèle,
Je chantais les travaux d'une race immortelle ;
Quand la voix du passé me racontait tout bas
Du siècle de Fingal les illustres combats,
Je disais : « La valeur a passé sur la terre,
L'avenir, insensible à la voix de la guerre,
Oubliant par degré jusqu'au nom des héros,
Dormira dans un lâche et timide repos… »
Je le disais… Des pleurs inondaient mon visage ;
Et lorsque, de la vie achetant le voyage,
Ossian fut s'asseoir auprès de ses aïeux,
Sa douleur le suivit au palais nébuleux.
Mais, vains pressentimens ! Mensongères alarmes !
Mon ombre, réveillée au tumulte des armes,
Sur la Gaule affranchie a vu de toutes parts
La guerre et la victoire unir leurs étendards.
Mes ancêtres, penchés au bord de leurs nuages,
D'un regard protecteur, à travers les orages,
Suivant les bataillons des braves triomphants,
À l'heure du triomphe ont cru voir leurs enfants.
Ils t'admiraient surtout, fils de la Renommée,
Héros libérateur d'une terre opprimée !
Toi, le chef des tribus de ce peuple guerrier,
Toujours grand et vainqueur sous la pourpre et l'acier.
Qu'à ta gloire en secret le barde était sensible,
Lorsque, devant tes pas et ta lance terrible,
Éperdu, s'enfuyait l'étranger orgueilleux,
Comme au sein des forêts, sur les rocs sourcilleux,
À l'aspect du chasseur, la biche épouvantée
S'enfuit, en bondissant, vers sa grotte écartée !
C'est moi, dans le péril, qui protégeais tes jours ;
C'est moi qui te prêtais un utile secours,
Quand, sur les monts chargés de glaces éternelles,
Ouvrant à tes guerriers des routes infidèles,
Dans les airs étonnés tu suspendais leurs pas ;
Mon souffle loin de toi dispersait les frimas.
Traversais-tu les flots, je planais sur ta tête :
Mon invisible bras écartait la tempête ;
J'ordonnais au zéphyr d'aplanir ton chemin,
Et l'ouragan captif rugissait dans ma main.
Eh ! Qui, plus qu'Ossian, jaloux de te défendre,
Aurait dû te porter un intérêt plus tendre ?
En toi seul revivaient ces héros révérés,
Instruits par mes leçons, par mes chants célébrés.
Comme eux, je te voyais, au matin de ton âge,
À l'humanité sainte allier le courage,
Ne verser qu'à regret le sang de l'ennemi ;
Dans la gloire et l'honneur chaque jour affermi,
Confier au tombeau, de tes mains généreuses,
Du brave renversé les dépouilles heureuses,
Et, partout escorté des antiques vertus,
Offrir partout la paix aux peuples abattus.
Tel, aux jours belliqueux de la Calcédonie,
Dans les bois que remplit ma funèbre harmonie,
Brillait à son printemps, sous mes yeux paternels,
Cet Oscar, la terreur et l'amour des mortels.
Quand la soif des combats tourmentait sa jeunesse :
« Cher Oscar ! lui disais-je, orgueil de ma vieillesse,
Fais resplendir ta lance au-delà de nos monts ;
Mais fuis de tes aïeux l'exemple et les leçons ;
Sois, pour les oppresseurs, un ardent météore,
Et, pour les opprimés, un rayon de l'aurore. »
Ô toi qui, dans mon cœur, vis à côté d'Oscar,
Chef du peuple, à ton tour écoute le vieillard.
Jusqu'au terme incertain de tes belles années,
La Gaule te remet ses grandes destinées ;
De son bonheur futur c'est t'imposer la loi.
Quel ordre consolant ! Regarde autour de toi :
La bataille homicide a fui de ces contrées ;
Les mères des héros, si longtemps éplorées,
Dans leurs foyers, asile et de paix et d'amour,
Préparent pour leurs fils le banquet du retour.
Détache, il en est temps, détache cette épée,
Que la mort a conduite, et n'a jamais trompée ;
Les bardes chanteront ton repos glorieux.
Écoute avec transport leurs chants mélodieux ;
S'ils n'immortalisaient le brave qui succombe,
L'étranger, en sifflant, passerait sur sa tombe.
Mes hymnes quelquefois ont charmé tes instants :
De l'illustre Fingal les combats éclatants
Peut-être ont enflammé ta jeunesse guerrière…
Sans ma harpe et ma voix, qui connaîtrait mon père ?

Texte

 
 

Sources

Almanach des Muses pour l'an XI, ou Choix des poésies fugitives de 1802, Paris, Louis, an XI, p. 93-96.