À un Anglais

Auteur(s)

Année de composition

1802

Genre poétique

Description

Texte

Jeune et fier enfant d'Albion !
Toi qui des jeux de mon enfance
Fus, dix ans, aux rives de France,
Le témoin et le compagnon,
Mais que le sort et ta naissance
Ont fixé sur le sol breton ;
L'accent de l'amitié paisible,
Remplaçant le bruit du canon,
Peut de Paris dans ta maison
Aller frapper ton cœur sensible.

La guerre cesse son fracas ;
Tout reprend un aspect tranquille ;
Le Français, pour franchir le pas
Qui le sépare de ton île,
N'a plus besoin de bateaux plats.

Et toi, vers nos côtes riantes
Tu pourras voguer désormais,
Sans craindre en chemin les boulets,
De nos chaloupes fulminantes.

Triste apôtre de la raison,
Viens dans notre pays bouffon
Sucer le lait de la folie,
Viens échapper, mon cher Breton,
Sous le beau ciel de ma patrie,
Aux brumes de ton horizon.
Viens dans mon heureux hermitage
Me prouver que tu m'es rendu.
Il est bien doux, après l'orage,
De retrouver sur le rivage
L'ami que l'on croyait perdu.

Tu verras ce Paris immense
Qu'un tyran trop tard abattu,
Dans sa féroce extravagance,
Souilla du sang de la vertu.
L'honnête homme dans ses murailles
D'épouvante n'est plus atteint,
Paris est un volcan éteint
Dont on a purgé les entrailles.
Grâce au retour des jours sereins,
On joue aujourd'hui sur ses laves ;
Et les Français républicains,
Du plaisir sont encore esclaves.
Le despotisme ici vaincu,
Du trône est tombé dans l'abîme,
Mais nos travers ont survécu
À la mort de l'ancien régime.

Visite la société,
Vois l'élégant et l'élégante,
L'un portant un frac écourté,
L'autre une robe transparente,
Barrière aujourd'hui suffisante
Entre l'œil et la nudité.

Va dans nos salons, nos lycées,
Entendre nos rimeurs bannaux,
Donner des mots pour des pensées,
Des fadeurs pour des madrigaux.
Écoute ces petits oracles,
Sans rien savoir, juger de tout,
S'ériger en maîtres de goût,
En législateurs de spectacles.

Pour nos spectacles, je conviens
Que plus d'un prête à la critique ;
À ceux-ci l'on entend des riens
Enjolivés par la musique ;
À ceux-là l'on voit des chevaux,
Dans leur genre bêtes sublimes,
Exécuter sur des tréteaux
Des ballets et des pantomimes.

Sais-tu quel est notre Opéra,
Et sa tactique musicale ?
Vas-y, tu croiras être là
Dans le chœur d'une cathédrale.

Les calembours te plaisent-ils ?
Aimes-tu la pointe légère,
Les jeux de mots, les traits subtils ?
Le vaudeville est ton affaire.
Mais pour un plus noble plaisir
Si dans toi le désir s'éveille,
Si de Racine et de Corneille
Les beaux vers te font tressaillir,
Ou si tu veux voir le génie,
Enjoué sans être bouffon,
Joindre à la gaîté de Thalie
L'éloquence de la raison,
Cours à ce temple magnifique,
À ce temple où de longs succès
Fixent le sceptre dramatique
Aux mains de l'Apollon français.

Veuve de Le Kain, Melpomène,
Avec des charmes effacés,
Se traînait faible sur la scène,
Ses jours de gloire étaient passés ;
Mais du retour de son bel âge,
L'espérance en son cœur renaît,
Le jeune Laffon paraît fait
Pour mettre un terme à son veuvage.

Les journaux t'amusent, dit-on,
Nous en avons ; et si le style
De Desfontaine et de Fréron
Ne te fait pas bouillir la bile,
De Geoffroy lis le feuilleton,
Tu verras comment ce critique
Distillant saintement le fiel,
Calomnie en l'honneur du Ciel
La phalange philosophique.
Tu verras ce grand écrivain
Assaisonner d'un sel caustique
Des principes de capucin.
Tu verras avec quelle adresse
Son habile dévotion
Glisse des phrases de sermon
Dans l'analyse d'une pièce ;
Et comment d'un ton magistral,
Faisant le galant sacrifice,
Il cajole d'un madrigal
La beauté d'une jeune actrice.

Vive son goût et sa raison !
Minos de la littérature,
Il met les mots sur son peson,
Et, si l'on croit ce qu'il assure,
Voltaire, en fait d'invention,
Ne l'emporta pas sur Voiture.

Cet arrêt te fâche ! Tout beau !
Qu'importe le blâme ou l'éloge
Qui sort d'un semblable cerveau ?
C'est un fou d'un genre nouveau,
Eh bien ! Laisse-le dans sa loge,
Qu'il y déraisonne à son gré.

Et toi porte ailleurs ta présence,
Vois ce lieu jadis consacré
À l'asyle de la puissance,
Ce Louvre aujourd'hui décoré
Des conquêtes de la vaillance.
Parcours ces jardins, ces remparts
Bordés de galans édifices,
Séjour de luxe et de délices,
Élevés, ornés par les arts.
Contemple la magnificence
De ce palais de la grandeur,
Où la sagesse, où la valeur
De nos destins tient la balance.

De nos maux l'excès t'est connu,
Vois le héros qui les répare ;
Et tu pourras dire : J'ai vu
Ce que la France a de plus rare.