Rétablissement du culte (Le)

Auteur(s)

Année de composition

1802

Genre poétique

Description

Alexandrins en rimes plates

Paratexte

Texte

Que l'Homère thébain, dans les siècles antiques,
Ait chanté pour ses dieux aux fêtes olympiques,
Je n'emprunterai point ses profanes accords !
Mais toi qui du Cédron fis retentir les bords,
Qui charmas du Liban les cèdres solitaires,
Viens résonner encor sous mes mains téméraires,
Harpe du roi prophète, et que tes sons touchants
Dans ce jour solennel accompagnent mes chants !
Au jour de désespoir, de vengeance et de haine,
Les méchants avaient dit dans leur âme hautaine :
« Dieu n'est point : le mensonge et la crédulité
Livrèrent seuls le monde à son autorité.
S'il existe ce Dieu que le faible révère,
Qu'il pousse jusqu'à nous le cri de sa colère :
Qu'il descende des cieux, et, la foudre à la main,
Qu'il vienne proclamer son pouvoir souverain ! »
Ils disaient ; et leur bouche, aux blasphèmes ouverte
Du fidèle tremblant avait juré la perte.
Insensibles et sourds à la voix du remord,
Dans l'ombre ils aiguisaient le glaive de la mort ;
Et bientôt, messagers de l'esprit des ténèbres,
Ils épouvantent l'air de hurlements funèbres.
Comme une légion de voraces corbeaux
Qui cherchent leur pâture au milieu des tombeaux.
Se voile tout à coup d'un sinistre nuage :
Le Roi des Rois, surpris dans ses solennités,
Voit tomber sous leurs coups ses temples dévastés ;
Les lévites en pleurs, autour de l'arche sainte,
Défendent vainement cette pieuse enceinte
Où leurs hymnes de paix s'envolaient chaque jour,
Parmi des flots d'encens, jusqu'au divin séjour.
Sous le lin protecteur, la pourpre, les guirlandes,
Aux pieds de ces autels, témoins de tant d'offrandes,
Sanglants, percés de traits, ces martyrs glorieux
Tombent, et le pardon est écrit dans leurs yeux.
Qui veillera sur vous, auguste sanctuaire ?
Vos appuis ne sont plus : la horde sanguinaire
De vos détours secrets fouille les profondeurs ;
L'or et les monuments de vos saintes grandeurs,
Le pain mystérieux, et les vases de gloire,
Tous ces trésors, butin d'une affreuse victoire,
Dans Babylone en deuil indignement traînés,
Frappent d'un juste effroi ses peuples consternés :
D'infâmes histrions, d'abjectes courtisanes,
Pressent les coupes d'or de leurs lèvres profanes,
Et boivent à longs traits, dans leurs flancs entr'ouverts,
Un vin qu'en souriant leur versent les enfers.
Mais pour les assassins qu'un feu caché dévore
À peine des forfaits luit la sanglante aurore :
Plus d'un asile obscur soustrait à leurs regards
Ces hommes qui du Ciel portaient les étendards.
Apôtres des cités, dans une paix profonde,
Satisfaits d'échapper aux tempêtes du monde ;
Les uns, du monastère antiques habitants,
Frappaient le saint autel de leurs fronts pénitents ;
Les autres, au milieu des montagnes arides,
Des grottes, des forêts, nouvelles Thébaïdes,
Allaient faisant le bien dans leur humilité,
Et, pauvres, secouraient encor la pauvreté.
Mais le crime parut armé de sa puissance :
Le désert fut troublé dans son vaste silence ;
Les échos de ces bois, de ces murs révérés,
Qui n'avaient répondu qu'à des hymnes sacrés,
Répétèrent alors l'outrage et le blasphème :
La piété timide et se livrant soi-même,
Le front calme, attendit ses bourreaux inhumains,
Et sans murmure aux fers tendit ses faibles mains.
C'est là, dans les détours du cloître taciturne,
Qu'élevant vers son Dieu sa prière nocturne,
Au formidable appel de l'airain de minuit,
Rêveuse, elle marchait à pas lents, et sans bruit ;
C'est là que, recueillie en des pensers austères,
À la sombre lueur des lampes funéraires,
Elle allait quelquefois dans un angle écarté
S'asseoir entre la tombe et l'immortalité
Temples majestueux, vénérables portiques,
Des vierges de Sion, abris mélancoliques ;
Murs ténébreux, où l'âme, en son ravissement
Avec Dieu même osait converser librement,
Vous fûtes dépouillés de vos pompes divines.
Le silence et la mort, fantômes des ruines,
Tranquillement erraient autour de vos débris ;
Ta ronce serpentait le long de ces pourpris,
D'une écume empestée infectant le saint lieu,
Rampait sur l'autel même où descendit un Dieu.
Digne sujet d'horreur pour les races futures !
Des temples, transformés en étables impures,
Se virent par la fange obscurément flétris ;
Ciel vengeur ! Des chevaux pour les combats nourris,
Hennissaient sous la voûte où des voix pacifiques
Du Dieu de l'univers entonnaient les cantiques,
Et de leurs pieds d'airain, en leurs fougueux transports,
Battaient le marbre antique où reposaient les morts …
Les morts … Ils n'étaient plus dans leurs couches d'argile :
Le crime osa forcer ce redoutable asile ;
Dans ces noirs souterrains, domaines du trépas,
Sur la poudre des temps osa graver ses pas.
Il osa renverser de leurs trônes funèbres
Des pontifes sacrés, des monarques célèbres,
Des sages, des héros qui dormaient en ces lieux,
Sur la foi des mortels, sous la garde des cieux ;
Il osa du sépulcre ouvrir le flanc avare ;
Et Sibaris, témoin de ce larcin barbare,
Les vit, sans tressaillir, aux pieds de ses remparts,
Semer de tant de rois les vestiges épars.
« Quand l'homme sans retour au tombeau doit descendre,
Qu'importe, disait-il, qu'on respecte sa cendre ?
Rien ne peut lui survivre. Un aveugle destin
De la vie, en naissant, lui trace le chemin.
Qu'il meure ! Il va grossir l'éternelle matière,
Et son corps, affranchi d'une chaîne grossière,
En atomes légers, sur les ailes des vents,
Vole se réunir aux divers éléments. »
Tel en ces tristes jours on l'entendit lui-même
Avilir des tombeaux la majesté suprême.
La mort inexorable, offerte à nos regards,
À coups précipités frappait de toutes parts ;
Hélas ! Et nul ami, les yeux mouillés de larmes,
N'osait du dernier jour adoucir les alarmes ;
Nul ministre de paix, nul ange du Seigneur,
Au mourant, étendu sur un lit de douleur,
Ne venait adresser la parole de vie.
Hélas ! Partout errante, et partout poursuivie.
Leur race infortunée allait de mers en mers,
De climats en climats, traîner ses longs revers.
Tu fuyais avec eux, toi, leur chef magnanime
Pontife révéré, ta vertu fut un crime ;
Et la religion qui te prêtait sa voix,
Et la tiare sainte, et la pourpre des rois,
Rien des nouveaux Dathans n'épouvanta l'audace ;
Poursuivi par l'effroi, l'insulte et la menace,
Renversé sans retour de ce trône pieux,
Qu'un apôtre lava de son sang glorieux,
Rome te vit loin d'elle achever ta carrière,
Et Valence ferma ton auguste paupière.
Mais, tandis que le juste, entouré de bourreaux
À l'Être qui peut tout se plaignant de ses maux,
Pour soutenir des jours que le malheur consume
Se nourrit en secret du pain de l'amertume,
L'impie, avec orgueil, sur la pourpre étendu,
Bravant le fer vengeur, par un fil suspendu,
Et promenant ses doigts sur une lyre d'or,
À ses chants assassins donne un coupable essor.
S'il méconnaît le Dieu que l'univers adore,
Il en invente un autre, et sans pudeur l'honore.
La raison désormais est sa divinité.
Sous ses traits imposteurs, une infâme beauté,
Assise sur l'autel, reçoit un vil hommage ;
Autour d'elle l'encens s'épaissit en nuage,
Et son adorateur, devant elle abaissé,
Lui présente en tribut le sang qu'il a versé.
Cependant, effrayé de ce forfait extrême,
Il veut au Roi des Rois rendre le diadème.
Maudit des nations, il veut leur révéler
Le Dieu que de son trône il tenta d'exiler.
Lui-même, sous les yeux d'une terre proscrite,
Commande en son honneur une fête hypocrite :
Les chênes, les lauriers, doux tribut des hameaux,
Serpentent sur les murs en verdoyants rameaux.
Ces parfums que le mois aurore de l'année
Prodigue sans mesure à la terre étonnée,
Aux prés, aux champs, aux bois, aux collines ravis,
Des temples, des palais embaument les parvis.
Le sang a disparu sous des touffes de roses ;
Et, du sein de ces fleurs nouvellement écloses,
La France, soulevant son front silencieux,
Voit la pompe profane et détourne les yeux.
Là, parmi tous ces dais de flottante verdure,
À l'éclat du soleil, et devant la Nature,
Au retour du printemps, et sous l'azur du ciel,
L'impie, insolemment, décrète l'Éternel.
L'Éternel lui répond par un coup de tonnerre ;
L'ange exterminateur descendu sur la terre
S'avance environné d'un tourbillon de feux ;
Dans sa main resplendit le glaive lumineux ;
Balthazar est atteint au milieu de sa joie :
Il tombe, les enfers viennent saisir leur proie ;
Et les peuples, surpris, se demandent entre eux :
« Comment est-il tombé ce colosse orgueilleux ? »
L'impie avait vécu ; mais son ombre sanglante
Planait encor sur nous, et semait l'épouvante.
Le tabernacle encor de deuil était voilé.
Enfin vers l'orient, par Dieu même appelé,
Un héros apparaît sur la sainte montagne ;
La gloire le précède et l'amour l'accompagne :
De la religion il vient sécher les pleurs.
Cette épouse du Ciel, oubliant ses malheurs,
Replace sur son front la couronne immortelle :
Ses yeux ternis longtemps brillent d'un nouveau zèle.
Timide, et respirant d'un passé douloureux,
Son cœur s'ouvre à l'espoir de faire des heureux,
Et ses beaux chants d'amour et de reconnaissance
De son libérateur célèbrent la puissance.
Comme un astre charmant qui vers le soir nous luit
L'olivier à la main, l'aimable paix la suit.
De la triste Sion toutes deux exilées,
Dans ses murs triomphants toutes deux rappelées,
Compagnes d'infortune et de félicité,
Ensemble rendent grâce à la divinité.
Abandonne, ô Sion, les crêpes du veuvage !
Temple, relève-toi sur le sacré rivage !
Fleurs, embaumez les airs des parfums les plus doux !
Le Dieu fort et vivant dépouille son courroux.
Faut-il chanter ce jour d'éternelle mémoire,
Et d'un autre Cyrus la dernière victoire ?
Le soleil, couronné de splendeur et de feux,
Voyageur matinal, s'avançait dans les cieux ;
À ses premiers rayons le bronze des batailles
Tonne pour le Très-Haut au sein de nos murailles ;
L'airain religieux, muet dix ans entiers,
Mêle une voix sonore à ses accents guerriers.
Le long de nos remparts une foule enivrée
Contemple avec transport cette aurore sacrée.
Vers le saint édifice, à son maître rendu,
Chacun vole, et, d'amour et d'ivresse éperdu,
Semble douter encor d'un réveil qui l'enchante.
Ô du culte chrétien pompe auguste et touchante !
Ces lévites, couverts de longs habits de lin,
Les sons de la trompette et de l'orgue divin,
Le cantique de paix, la myrrhe et le cinname
Voltigeant sous la voûte en odorante flamme,
Tous ces braves, vieillis dans la gloire et l'honneur,
Balançant leurs drapeaux sur l'autel du Seigneur,
Les transports, les soupirs, les vœux d'un peuple immense,
Et celui qui d'en haut apporta la clémence
Humiliant lui-même en ce moment sacré
Son front victorieux de palmes entouré …
Il semble que, parlant à travers un nuage,
Dieu fasse à tous les cœurs entendre ce langage :
« De vils profanateurs, outrageant mon pouvoir,
D'une main sacrilège ont brisé l'encensoir.
Ils ont séduit mon peuple et rompu l'alliance
Qui joignait sa faiblesse à ma toute-puissance :
Et moi, de mes fureurs ouvrant les arsenaux,
J'ai fait tomber sur lui mes plus cruels fléaux ;
Tremblant, il a crié vers le Dieu de ses pères :
Alors paraît un homme en des jours plus prospères
Heureux médiateur entre mon peuple et moi ;
Il relève mon temple et rétablit ma loi ;
Sa gloire, ses vertus désarment ma vengeance ;
Au rang des nations je replace la France.
Déjà de toutes parts, rendus à leurs troupeaux,
Les pasteurs dispersés, rentrent dans les hameaux
Et viennent prodiguer à leurs brebis fidèles
Des secours vigilants et des soins dignes d'elles.
Des paroles de paix, d'indulgence et d'amour,
Dans le sein du bercail annoncent leur retour.
Peuple, réjouis-toi ! Mais que de ta pensée
L'image de ton Dieu ne soit plus effacée ;
Garde, au fond de ton cœur, une constante foi,
Et mon œil vigilant s'arrêtera sur toi.

 
 

Sources

Almanach des Muses de 1803, ou Choix des poésies fugitives de 1802, Paris, Louis, an XI, p. 258-266.