Napoléone (La)

Auteur(s)

Année de composition

1802

Genre poétique

Description

Dizains

Paratexte

L'ode que nous offrons au public a été faite il y a treize ans ; l'auteur fut jeté dans les cachots du Temple, puis transféré dans diverses prisons, et persécuté pendant dix années. Son interrogatoire attesterait qu'il avoua hautement la NAPOLÉONE, quoique selon toute apparence le désaveu fut l'unique moyen d'éviter la mort. Il n'a pas démenti un seul instant cet acte de fermeté.
Ces strophes ne sont pas expressément appropriées à la circonstance, et elles auraient gagné sans doute à être revues par le poëte, qui les a improvisées à vingt ans, et qui ne les a jamais corrigées ; mais nous avons pensé que les bons Français verraient avec plaisir la première atteinte portée par un homme de lettres à Buonaparte, tout puissant, dans le moment où la France, épuisée par les convulsions politiques, tombait toute entière dans ses fers, et osait à peine jeter un œil de regret sur son ancien bonheur et ses légitimes souverains.

Texte

Que le vulgaire s'humilie
Sur les parvis dorés du palais de Sylla,
Au-devant du char de Tullie,
Sous le sceptre de Claude et de Galigula !
Ils régnèrent en dieux sur la foule tremblante :
Leur domination sanglante
Accabla le monde avili ;
Mais les siècles vengeurs ont maudit leur mémoire
Et ce n'est qu'en léguant des forfaits à l'Histoire
Que leur règne échappe à l'oubli.

Vendue au tyran qui l'opprime,
Qu'une tourbe docile implore le mépris !
Exempt de la faveur du crime,
Je marche sans contrainte et n'attends point de prix.
On ne me verra point mendier l'esclavage,
Et payer d'un coupable hommage
Une lâche célébrité.
Quand le peuple gémit sous sa chaîne nouvelle,
Je m'indigne du joug ; et mon âme fidelle
Respire encore la liberté !

Il vient, cet étranger perfide,
Insolemment s'asseoir au-dessus de nos lois ;
Lâche héritier du parricide,
Il dispute aux bourreaux la dépouille des rois,
Sycophante vomi des murs d'Alexandrie
Pour l'opprobre de la patrie
Et pour le deuil de l'univers,
Nos vaisseaux et nos ports accueillent le transfuge :
De la France abusée il reçoit un refuge ;
Et la France en reçoit des fers.

Il est donc vrai ! Ta folle audace
Du trône de ton maître ose tenter l'accès !
Tu règnes : le héros s'efface ;
La Liberté se voile et pleure tes succès.
D'un projet trop altier ton âme s'est bercée ;
Descends de ta pompe insensée ;
Retourne parmi tes guerriers.
À force de grandeur crois-tu pouvoir t'absoudre ?
Crois-tu mettre ta tête à l'abri de la foudre
En la cachant sous des lauriers ?

Quand ton ambitieux délire
Imprimait tant de honte à nos fronts abattus,
Dans l'ivresse de ton empire,
Rêvais-tu quelquefois le poignard de Brutus ?
Voyais-tu s'élever l'heure de la vengeance,
Qui vient dissiper ta puissance
Et les prestiges de ton sort ?
La roche Tarpéienne est près du Capitole ;
L'abîme est près du trône, et la palme d'Arcole
S'unit au cyprès de la mort.

En vain la crainte et la bassesse
D'un immense avenir ont flatté ton orgueil.
Le tyran meurt ; le charme cesse ;
La Vérité s'arrête au pied de son cercueil.
Debout dans l'avenir, la Justice t'appelle ;
Ta vie apparaît devant elle,
Veuve de ses illusions.
Les cris des opprimés tonnent sur ta poussière
Et ton nom est voué par la nature entière
À la haine des nations.

En vain au char de la victoire
D'un bras triomphateur tu fixas le destin ;
Le temps s'envole avec ta gloire,
Et dévore en fuyant ton règne d'un matin.
Hier j'ai vu le cèdre. Il est couché dans l'herbe.
Devant une idole superbe
Le monde est las d'être enchaîné.
Avant que tes égaux deviennent tes esclaves,
Il faut, Napoléon, que l'élite des braves
Monte à l'échafaud de Sidney.

 
 

Sources

BNF, 8 Ye 5500.