Chant du 1er vendémiaire an IX

Auteur(s)

Année de composition

1800

Genre poétique

Description

Texte

Musique de Lesueur

Jour glorieux, jour de mémoire !
Ô Rome antique, sors du tombeau !
La France aura toute la gloire,
Et par les mains de la Victoire
Elle rallume ton flambeau !

Tu renais parmi nous, République guerrière !
Et l'hydre des partis, du sein de la poussière,
Attaque vainement ton empire nouveau.
Les premiers jours de ta carrière
Rappellent Hercule au berceau.

Du haut du Capitole où dormait son génie,
L'antique Liberté, fuyant la tyrannie
Du Capitole s'élance, oui s'élance à notre voix.
Et sur les bords heureux que la Seine féconde,
Elle vient rétablir ses autel et ses lois. 

À ses nobles drapeaux la Victoire fidèle,
Le front ceint de lauriers, vient s'asseoir
Sur des trônes brisés.

Grand Dieu, les nations à tes pieds prosternées
Implorent tes bienfaits :
Ô toi qui d'un regard fixes les destinées !
Désarme la Victoire,
Et permets aux vainqueurs de couronner la gloire
Par les mains de la Paix.

Et l'avare Albion, qui rêve des conquêtes,
Doit un jour implorer la faveur des tempêtes
Pour ses propres remparts.

Ô Liberté ! Que la paix équitable
Te rende tes attraits !
Ton courroux indomptable avait changé tes traits.

Condamnés par l'Anglais au malheur de la guerre,
Les peuples réunis des trois parts de la terre
Expirent sous nos coups.
Jusqu'aux sources du Nil sa haine infatigable
Va porter ses fureurs à l'Arabe indomptable
À l'Ottoman jaloux.
Ô vengeance ! Ô terreur ! Par les flammes rapides
Le Nil voit consumer leurs cadavres livides,
Dont ses bords sont couverts.
Et des vents des déserts l'haleine déchirante
Mêle les tourbillons de leur poussière errante
Au sable des deux mers.
Grand Dieu ! Veille sur la patrie,
Veille sur ses défenseurs !
Et que du Gange au Tibre
Dans le monde étonné,
Le peuple le plus libre
Soit le plus fortuné !

Dieu, nous implorons ta puissance !
Arrête leurs complots !
Dieu, protège la France !
Conserve ses héros !

Ô Dieu ! J'entends gémir l'Europe ensanglantée ;
L'airain tonnant au loin, sur l'onde épouvantée,
Répond à ses douleurs.
Un héros présentait le bonheur à la terre,
Et l'aveugle Albion du démon de la guerre
Évoque les fureurs.
Eh bien ! Nobles appuis de la France outragée,
Soldats républicains que l'Europe vengée
Vous doive son repos.
Jurez-lui que l'Anglais, auteur de ses alarmes,
Sera loin de ses bords exilé par vos armes
Sur l'abîme des flots !
Nous le jurons ! Nous donnerons la paix, le bonheur aux deux mondes.
Oui, nous le jurons par la mémoire
De nos frères morts sous nos yeux,
Par ces drapeaux que la Victoire
Suspend à ces murs glorieux !

 

                                                                                                      

 


Autre version :

Fille auguste de la Victoire,
Rome antique ! Sors des tombeaux.
La France hérite de ta gloire ;
Les prodiges de ton histoire
Sont égalés par nos travaux.

Tu renais parmi nous, République guerrière !
Et l'hydre des partis, du sein de la poussière,
Attaque vainement ton empire nouveau,
Les premiers jours de ta carrière
Rappellent Hercule au berceau.

Des murs de Romulus la Liberté bannie,
Loin du Tibre avili fuyant la tyrannie,
S'élance à notre voix ;
Et sur les bords heureux que la Seine féconde,
Elle vient rétablir, pour le bonheur du monde,
Ses autels et ses lois.

En vain mille ennemis de sa grandeur naissante
Liguent, pour l'étouffer, leur fureur impuissante
Et leurs projets rivaux ;
À ses pas glorieux la Victoire fidèle,
Le front ceint de lauriers, vient s'asseoir avec elle
Sur leurs sanglans drapeaux.

L'Éridan consterné, le Danube et le Tibre,
Dont les fiers défenseurs bravaient un peuple libre,
Les ont vus terrassés ;
Et l'avare Albion, qui rêvait des conquêtes,
Dut souvent implorer les fureurs des tempêtes
Pour ses bords menacés.

Jusqu'aux sources du Nil où, d'une main propice,
Nous ramenions les arts, les lois et la justice,
Elle a porté le deuil :
Sa haine a soulevé l'Afrique et l'Arabie ;
Et le sang qui rougit les sables de Libye
Accuse son orgueil.

Et vous aussi, Français, vous pleurez sur vos armes ;
Vos ennemis vaincus sont vengés par vos larmes
Et par votre malheur.
Hélas ! Kléber n'est plus ; la patrie éplorée
Le redemande en vain à la terre sacrée
Qu'affranchit sa valeur.

Magnanime guerrier à qui, sur ce rivage,
Le héros des Français confia l'héritage
De ses nobles desseins ;
Au lieu même où Pompée expira par un crime,
Tu tombes, comme lui, glorieuse victime
Des plus vils assassins.

Ô vengeance, ô terreur ! Ces brigands homicides
Expirent, dévorés par les flammes avides.
Leur complice frémit !
Et le vent qui parcourt l'ardente Éthiopie,
Porte les tourbillons de leur poussière impie
Au camp qui les vomit.

Ô toi, qui d'un regard fixes les destinées,
Grand Dieu ! les nations à tes pieds prosternées
Implorent tes bienfaits :
Trop de sang a coulé ; désarme la Victoire,
Et permets aux vainqueurs de couronner la Gloire
Par les mains de la Paix.

Chœur :

Déesse des arts et des fêtes,
Aimable Paix, descends des cieux ;
La France aux plus riches conquêtes
Préfère tes dons précieux.

Vieillards :

Au sein de nos villes calmées,
De nos invincibles armées
Ramène les pas triomphans.

Femmes :

Rends-nous nos époux et nos frères,
Et sèche les larmes des mères
Par les baisers de leurs enfans.
Mais quoi ! J'entends gémir l'Europe ensanglantée ;
L'airain, tonnant au loin sur l'onde épouvantée,
Répond à ses douleurs.
La France présentait le bonheur à la terre ;
La jalouse Albion, du démon de la guerre
Évoque les fureurs.

Ah ! Sur les flots en vain vous fixez la fortune ;
Un héros brisera le trident de Neptune,
Insulaires altiers !
Voyez autour de lui, sous ces voûtes sacrées,
Errer de vos vainqueurs les ombres révérées,
Et les mânes guerriers.

Au milieu d'eux paraît Turenne, leur modèle,
Qui voit de ce grand jour la pompe solennelle
Consacrer ses exploits :
Turenne ! Dont la cendre et la noble mémoire
Appartiennent bien plus au temple de la Gloire
Qu'à la tombe des rois.

Allons, braves soutiens de la France outragée,
Soldats républicains !  Que l'Europe vengée
Vous doive son repos :
Jurez-lui que l'Anglais, auteur de ses alarmes,
Sera, loin de ses bords, exilé par vos armes
Sur l'abîme des flots.

Chœur de guerriers :

Nous le jurons par la mémoire
De nos frères morts sous nos yeux ;
Par ces drapeaux que la Victoire
Suspend à ces murs glorieux.
Oui, l'ennemi qui nous offense,
Verra fermer à sa puissance
Les ports qui lui furent soumis ;
Et, solitaire sur les ondes,
Ne trouvera dans les deux mondes
Que des rivages ennemis.