Épître au ministre de l'Intérieur, sur les réparations qu'il a ordonné de faire à mon logement

Auteur(s)

Année de composition

1798

Genre poétique

Description

Octosyllabes

Mots-clés

Musique

Paratexte

Texte

Dans une gothique masure
Où la nonne, au pied de l'autel,
De son cœur bravant le murmure,
Faisait le serment solennel
De dompter l'appétit charnel,
Et de tourmenter la Nature ;
J'habite, quoique un peu mondain,
Une étroite et sombre cellule,
D'où jadis la bénigne Ursule
Faisait nargue à l'esprit malin.
Dans cette demeure isolée
Mes jours s'écoulent tristement,
Et j'ai pour hôtes constamment
Les vents, dont la cohorte ailée
M'assourdit de son sifflement.
Rivale de son insolence,
L'engeance importune des rats
Dans mes foyers tient ses états,
En décrète la permanence.
Au moins si, dans mon galetas,
Quelque nonnain jeune, bien faite,
Laissait voir un joli minois,
Un œil tendre, une main proprette ;
De l'amour déguisant la voix,
Et du Ciel jaloux de ses droits,
Feignant d'épouser la querelle,
Je pourrais essayer parfois
D'apprivoiser son cœur rebelle
Et de désarmer sa pudeur ;
Mais du sort telle est la rigueur,
Qu'on ne voit dans mon hermitage
Que l'insipide et vaine image
Des béats qui peuplent les cieux,
Et dont l'immodeste assemblage
Me force à détourner les yeux.
Par le désordre de ces lieux
Du temps concevez le ravage :
De sainte Agnès le sein moelleux
Gît sous la main de saint Pancrace.
L'œil de sainte Félicité
A presque un air de volupté
Sous la bouche de saint Ignace,
Et sur les débris d'un autel
La barbe du Père éternel
D'une vierge couvre la face.
Pour des yeux tant soit peu chrétiens
Ce spectacle est un vrai scandale ;
Je ne suis point de ces vauriens
Dont l'impiété sans égale
Insulte à l'ordre, à la morale,
Et se moque de Lucifer ;
Francs libertins dont la croyance
Est qu'il n'existe point d'enfer ;
Daignez protéger l'innocence,
Ministre aimable et vertueux :
Il suffit pour me rendre heureux
D'une très modique dépense.
Ordonnez, et bientôt ces lieux…
Mais déjà mon bonheur commence ;
Déjà tout sourit à mes vœux,
Et vous comblez mon espérance.
Ainsi, mon lugubre taudis,
Grâce à votre pouvoir magique,
Va perdre sa forme gothique ;
Et ses monastiques lambris,
Ornés par la seule élégance,
À mes yeux auront plus de prix
Que la très suspecte opulence
De nos fournisseurs de Paris.
Dans mon alcôve solitaire
Le dieu Morphée aura sa Cour.
Les songes viendront tour à tour
Flatter ma tranquille paupière,
M'enivrer du plus doux sommeil
Et d'une main toujours légère
Me bercer jusqu'à mon réveil.
Le jour, des charmes de l'étude
Je saurai faire mon bonheur.
Dans ma paisible solitude
J'admettrai l'ami dont le cœur
Sensible, ignorant l'art de feindre,
De l'amitié connaît le prix.
Mais le fourbe toujours à craindre
Qui, sous un perfide souris,
Cache une infernale malice,
S'il vient chez moi, pour son supplice,
Sur ma porte il lira ces mots :
« Exempt d'ambition, d'envie,
Ici je partage ma vie
Entre l'étude et le repos.
Ami de la simple droiture,
J'éloigne de moi le cœur faux,
Qui vit d'intrigue et d'imposture. »

 
 

Sources

Almanach des Muses pour l'an VII de la République française, ou Choix des poésies fugitives de 1798, Paris, Louis, an VII, p. 157-160.