Réponse à la satire intitulée « La Fin du 18e siècle », ou Conseils à un jeune poète qui veut embrasser le genre de la satire
Mots-clés
Paratexte
Épître à un jeune poëte qui veut embrasser le genre de la satire
Texte
Comme toi, des beaux vers je connais la puissance ;
De leurs touchans accords la divine influence,
Par un charme secret et console et séduit ;
Elle échauffe le cœur, elle élève l'esprit :
Ah ! Combien il est doux de chanter ce qu'on aime.
Le poète content se suffit à lui-même,
Son génie embrasé par le feu du désir,
Enfante un vers brûlant où se peint le plaisir.
Mais, crois-moi, cher Damis, renonce à la satire ;
On ne saurait aimer le trait qui nous déchire ;
Contemple avec dédain ces rimeurs envieux,
L'un sur l'autre acharnés, se déchirer entr'eux ;
Semblables aux vautours qui fondent sur la proie,
Brille dans leurs regards une barbare joie ;
Quand d'une serre avide on les voit déchirer
L'agneau qui sur les fleurs se plaît à folâtrer.
Ou tel un loup, pressé par la faim qui le chasse,
Hors du bois il s'élance, et de sa dent vorace
Il saisit avec rage un innocent chevreau
Qui broute, en sautillant, la feuille de l'ormeau.
Laisse le froid Cléon, plagiaire imbécile,
Creuser à nos dépens sa mémoire servile,
Et récitant par-tout des morceaux empruntés,
Citer, comme de lui, les vers qu'il a gâtés ;
Garde-toi d'imiter ces tristes pamphlétaires,
Des poisons de Zoïle affreux dépositaires,
Aristarques sans goût, sans bon sens,sans raison,
Qui trouvent tout mauvais et ne font rien de bon ;
Laisse-les dénigrer des hommes estimables,
Chéris pour leurs talens, pour leurs vertus aimables ;
Le reptile qui siffle en un marais fangeux,
N'altère point l'éclat d'un soleil radieux.
On imprime un libelle ? Un libelle fait rire ;
On l'annonce, et bientôt dans un premier délire
Le public curieux y court avec fureur ;
Il lit, il se repent ; il foule aux pieds l'auteur.
Ose avouer tes vers ; un écrit anonyme
Prouve un lâche écrivain indigne de l'estime
Laisse dans le mépris ces nouveaux Marsias
Convoiter les chardons qui couronnent Midas.
Je le dis franchement, leur courroux me fait rire ;
Je leur livre mes vers ; ils peuvent en médire,
Les trouver froids, sans goût, blâmer mes soixante ans,
Et de leur souffle infect souiller mes cheveux blancs
En paix avec mon cœur, je sais braver leur rage ;
Qu'ils frondent mes écrits, mais respectent mon âge ?
La vieillesse a des droits sur l'homme vertueux,
Et qui l'ose insulter est un monstre odieux.
Que fait à Demoustier
À Laya
A combattu l'erreur en défendant les loix,
Que Zoïle contr'eux ose élever la voix ?
Qu'importe à Roederer, à Vigée
Qu'un misérable auteur, dans une plate phrase,
Ose citer leurs noms justement estimés ?
En sera-t-il moins sot ? Seront-ils moins aimés ?
Non, non ! Le vrai talent, en dépit de l'envie,
Franchit sans s'arrêter les bornes de la vie,
Et tel un aigle altier qui fixe au loin les mers,
Il dédaigne un ciron et plane au haut des airs.
De grâce, réponds-moi, que produit la satire ?
C'est un art dangereux que celui de médire.
Le chantre du Lutrin se fit des ennemis,
Et le joyeux Scaron eut toujours des amis ;
On craignait Despréaux, on aimait Lafontaine ;
Pourquoi ? C'est que toujours la candeur nous entraîne ;
Florval n'a rien gagné pour critiquer autrui,
Et ses vers avortés font mal parler de lui ;
Vainement de Boileau l'humeur impatiente,
Ornait de vers pompeux la satire mordante ;
Par un plus doux moyen, il charma l'univers,
Ce fut en lui dictant des loix sur l'art des vers.
Une sage critique est faite pour instruire ;
Mais la critique, ami, ce n'est point la satire ;
C'est un flambeau brillant qu'allume la raison,
Qui de la flatterie écarte le poison ;
Sur le défaut de goût, il dirige, il éclaire ;
Avec ménagement, son reflet salutaire
Nous atteint, et présente un fidèle miroir
Où l'orgueil insensé redoute de se voir.
À tes jeunes talens, j'offre un plus noble usage ;
Aux grâces, aux vertus consacre ton hommage ;
Que tes vers amoureux peignent la volupté,
Et que Bernard t'instruise à chanter la beauté ;
Des arts consolateurs ose agrandir la sphère ;
Chez les peuples lointains vas porter la lumière ;
Qu'une morale pure embellisse tes vers,
Par d'utiles écrits, éclaire l'univers ;
Dans le sublime élan d'une intrépide audace,
Veux-tu d'un vol rapide atteindre le Parnasse ?
Et de l'ode pompeuse esquisser les tableaux ?
De Pindare ou Lebrun emprunte les pinceaux ;
De l'amour outragé, si tu peins les alarmes,
Pour que son désespoir nous présente des charmes,
Vas près de Collandeau les yeux baignés de pleurs,
De la tendre Héloïse écouler les douleurs.
Préfère-tu les champs ? Que ta muse docile
Consulte chaque jour Saint-Lambert et Delille ;
Si tu veux du théâtre affronter les hazards,
Sur Corneille et Racine arrête tes regards ;
Animé par l'amour, dans un bouillant délire,
Pour un sexe enchanteur que ta muse soupire !
Il règne sur le monde ; au sommet d'Hélicon,
C'est lui qui mêle un myrrhe au laurier d'Apollon ;
Les muses tour à tour y tressent sa couronne,
Et d'immortelles fleurs elles ornent son trône ;
À leurs côtés, Sapho soupire ses malheurs,
El pour l'ingrat Phaon répand encor des pleurs ;
Le dieu lui-même enfin, quand il monte sa lyre,
D'une nymphe amoureuse attend un doux sourire,
Il l'obtient, et bientôt ses sons mélodieux
Triomphent de la nymphe et vont charmer les Dieux ;
La Beauté seule, ami, forme le vrai poète,
Et les vers qu'elle inspire, Amour les interprète :
C'est l'Amour qui des arts allume le flambeau,
Il leur prête toujours quelque charme nouveau.
Vole près d'Égérie, et d'une main légère
Orne son jeune front d'une fleur bocagère ;
Si le nom de Rosette embellit tes chansons,
Que l'aimable pudeur en module les sons ;
Conduis le jeune Hylas près de sa Timarette,
De roses, de rubans qu'il orne sa houlette ;
De l'idylle riante offre-nous les tableaux,
Décris les prés, les bois, les vergers, les hameaux,
C'est là qu'à tes regards s'offrira la Nature,
Et que tu puiseras dans une source pure ;
C'est là que le plaisir formera les talens,
Et que la vérité dirigera tes chants !
Écoute les conseils que l'amitié m'inspire,
Crains l'art trop dangereux de blâmer, de médire ;
Quand on a, comme toi, de l'esprit, des talens,
On doit chasser au loin de funestes penchans ;
Franchis d'un pas hardi la pénible barrière,
Qui des arts enchanteurs nous ouvre la carrière ;
Si tu veux que ton vers soit par-tout approuvé.
Écris comme Voltaire, imite Legouvé
Prends les mâles crayons de l'auteur de Lucrèce
Qui, comme toi, paré des fleurs de la jeunesse,
Sur la scène tragique a triomphé trois fois,
Et s'est à notre estime acquis de justes droits ;
Sous les loix du bon goût que ta muse rangée
Puise dans les trésors qui s'ouvrent pour Vigée,
Successeur de Gresset, cet élégant auteur
Prête à la poésie un attrait séducteur ;
L'auteur d'Agamemnon
Son succès éclatant doit stimuler Ion zèle.
Voilà ce que propose à tes nobles travaux
Un ami qui te croit digne de tels rivaux ;
Sur le Pinde, auprès d'eux, ose marquer ta place,
Et nous applaudirons à ta naissante audace.