Bon soir, je vais dormir
Auteur(s)
Mots-clés
Paratexte
À l'auteur des Étrennes de l'Institut, de la Fin du XVIIIe siècle, de la Guerre des petits dieux, de Mon Apologie, etc…etc…etc…
Texte
Tu le veux, j'y consens, Cléon, je vais dormir
Tes utiles avis préviennent mon désir.
Celui-ci me plaît fort ; je veux en faire usage,
Et te prouver, ami, combien je le crois sage.
Mais, avant de goûter les fruits de ce conseil,
Avant que je me livre aux douceurs du sommeil,
Et que le dieu du jour dérobe à ma paupière
De son disque brillant l'éclatante lumière,
Un moment, avec toi, permets-moi de causer :
Ton cœur est généreux, il saura m'excuser.
J'aime à te voir armé de cette mâle audace,
Qui te fait insulter aux enfans du Parnasse ;
Oui, j'aime ce poème, où, singe de Parny
Avec moins de talent, moins de grâces que lui,
Aux petits dieux du jour tu déclares la guerre :
Je crois voir un pygmée affronter le tonnerre !
Je t'admire surtout, quand, dans ton abandon,
La férule à la main, comme un autre Pradon,
Sans crainte du danger, dans ta marche rapide,
Tu mutiles nos vers d'une main intrépide.
Ce courage est sublime, il prouve ta valeur ;
Mais il ne prouve pas que tu sois bon auteur.
Ne pense pas qu'ici je prétende confondre
Tes lumineux écrits, auxquels je vais répondre ;
Ne crois pas que, bouffi d'un ridicule orgueil,
De m'attaquer à toi j'ose braver l'écueil ?
Le calme me plaît trop, et je crains trop l'orage :
Mais tu sais qu'un enfant aime le badinage ;
Combien il est heureux, cet âge intéressant,
Où, sans crainte, l'on dit tout ce que le cœur sent ;
Où, guidé par les jeux de la vive folie,
On ne redoute point la piquante saillie !
Sur le front de l'enfance est l'ingénuité ;
Auprès d'elle, sans cesse, on voit la vérité
Errer en folâtrant sur ses lèvres badines,
Et prêter plus de charme à ses grâces mutines :
On se plaît à l'entendre, on se plaît à la voir ;
Jamais le doux plaisir ne trompe son espoir.
L'enfant , toujours bercé par de rians mensonges,
Dans la paix du sommeil retrouve d'heureux songes,
Il se plaît à se voir environné des jeux :
Et quand il a joué, l'enfant dort beaucoup mieux
D'ailleurs, je n'aime point l'art affreux de médire :
La gaîté me plaît seule, et tes vers me font rire.
Honnête et doux rimeur, dont les soins bienveillans
Ont de quelques pavots orné mes cheveux blancs,
Par toi, je me retrouve au matin de la vie :
Je vais donc te parler sans humeur, sans envie.
Toi qui, comme Médée, employant le poison,
De ton cher Dusausoir fis un nouvel Eson,
Tu sais bien que l'enfant dit toujours ce qu'il pense ;
Entends les accens vrais de ma reconnaissance :
Je ne redoute rien de ton emportement,
Et vais sur tes pamphlets m'expliquer franchement.
Tu te fais imprimer : mais, avant que d'écrire,
Il ne serait pas mal, mon cher, de savoir lire
D'étudier à fond Richelet et Restaut :
On s'expose à tomber, lorsqu'on marche trop tôt.
L'archet du chansonnier qui braille dans la rue,
Ses lamentables cris qui vont frapper la nue,
Agacent moins mes nerfs, font moins grincer ma dent,
Que les aigres accords de ton luth discordant.
Perroquet de Gilbert, tu te prétends poète ;
Des arrêts d'Apollon tu te dis interprète,
Et, ne sais même pas comment on doit rimer !
Sur des auteurs dont l'art a droit de nous charmer,
Distillant les poisons que ton âme recèle,
Partout tu prends leurs vers, que ta muse morcelle ;
Et, du fond du bourbier où s'égare ta voix,
Tu veux les régenter et leur dicter des loix.
Mais, avant de prétendre à ce beau privilège,
Il faut t'asseoir encor sur les bancs du collège.
Quoi ! Rimeur inconnu, tu railles Palissot !
N'est-ce pas hautement t'avouer pour un sot ?
Es-tu donc un Boileau pour censurer Despaze ?
Je sais bien qu'un beau nom peut honorer ta phrase
Et qu'un homme de goût, par un Midas cité,
N'en parvient pas moins cher à la postérité ;
Mais je sais encor mieux, il faut que je le dise,
Qu'attaquer le talent, c'est fêter la sottise ;
Qu'en vain un froid censeur veut faire l'important ;
Il n'empêtre que lui dans les filets qu'il tend.
En poursuivant Baour, vois à quoi tu t'exposes !
Baour, dans ses Trois Mots, nous a dit mille choses ;
Toi, dans tes mille vers, tu ne dis pas un mot.
Sans respect et sans goût, tu frondes Petitot,
Jeune auteur estimable et dont la modestie
Égale les talens qui consolent sa vie.
Chabeaussière, à son tour, excite ta fureur.
Tu poursuis dans Lanlier l'élégant voyageur
Qui sait avec tant d'art présenter Lasthénie,
De l'aimable Antenor échauffant le génie ;
Et sur-tout de Vigée estropiant le nom
Tu veux, lourd Marsias, défier Apollon !
Mais, du nom d'un auteur ornant un paragraphe,
On devrait, ce me semble, en savoir l'orthographe,
Et craindre de pousser de bizarres travers
Jusqu'à le mutiler, pour arranger un vers.
Je me garde pourtant de blâmer ta méthode ;
Elle n'est point gênante, elle est douce, commode ;
Tes préceptes sont sûrs pour rimer aisément :
L'ignorance y sourit, mais le goût les dément.
Quatre fois, dans tes vers, la rime masculine
Vient frapper mes regards ; bientôt la féminine,
Succédant à son tour, jalouse de ses droits,
À mon oreille aussi retentit quatre fois.
Que dis-je ? Si la rime échappe à ta mémoire,
Au mot gloire soudain ta muse oppose gloire ;
L'hémistiche, en ton vers, ne marque aucun repos :
Faut-il les allonger, tu raccourcis les mots ;
Tu braves le bon sens, et ta muse indiscrète,
Avec arrête encor fait rimer bayonnette.
Poursuis, mon cher Cléon : tes rapides essais
Te font connaître assez quels seront tes succès !
Tu prétendais, sans doute, au sommet du Parnasse,
Auprès de Despréaux occuper une place !
Renonce à cet espoir, abjure cette erreur ;
Au fond de ton marais signale ta fureur :
Au sommet d'Hélicon, malgré ta sotte audace,
Boileau ne voudrait pas de toi pour son Paillasse.
Cesse de te livrer à ton fatal penchant.
Non, ce n'est pas assez d'avoir l'esprit méchant,
Et de piller par-tout, sans goût, sans connaissance
Des vers, fruits du génie et de l'expérience ;
D'opposer aux auteurs un stérile courroux ;
Il faut, pour bien frapper, bien diriger ses coups,
Tel qu'un brave guerrier, qui craint une défaite
A soin de préparer sa prudente retraite,
Il faut, mon bon Cléon, qu'un satirique auteur
Sache de l'art des vers atteindre la hauteur ;
Que sur-tout, évitant l'écueil de la licence,
Il craigne de montrer sa stupide ignorance ;
Que sa prose mordante, ou son vers offenseur,
Ne puissent être atteints par l'arme du censeur.
Oui, pour qu'une satire obtienne nos suffrages,
Il faut que son motif soit de nous rendre sages,
Despréaux, dans ses vers, a frondé les erreurs ;
Gilbert, dans ses écrits, a défendu les mœurs ;
L'ingénieux auteur qui fit la Dunciade,
De sots, moins sots que toi, redressa l'incartade.
Vainement de Chénier tu critiques les vers :
L'auteur de Fénelon, de mille écrits divers,
Où, malgré des défauts, le génie étincelle,
N'a rien à redouter des traits de ton libelle.
Eh ! Crois-tu que Laya, sage et profond penseur
Du champ de la science heureux cultivateur,
Qui consacre au travail les jours de son bel âge,
Puisse craindre jamais ton impuissante rage ?
Si tu l'as espéré, ton espoir sera vain :
Dans sa course, un géant n'aperçoit pas un nain.
Laisse-là Dumoustier, il rit de ta folie ;
Ce conciliateur, cet ami d'Émilie,
Cher aux arts, à l'amour, aimable autant qu'aimé,
Sera, malgré ton livre, en tous lieux estimé;
Et ses rians tableaux de la mythologie
Sont plus chers au, public que ton Apologie.
Chazet a de l'esprit, du goût, de la gaîté ;
Il tourne un vers heureux avec facilité.
Je préfère un couplet de sa Muse fertile
À ces nombreux écrits qu'empoisonne ta bile.
Ne t'acharnes donc plus sur des noms chers aux arts,
Noms qui du dieu des vers ont fixé les regards,
Noms enfin qui, long-tems environnés de gloire,
Seront, malgré tes cris, recueillis par l'histoire.
Mais toi, dans un instant, tu seras oublié ;
Reste dans ton réduit, confus, humilié :
Des arts consolateurs l'invincible puissance
A déjà dévoilé ta profonde ignorance.
On n'est pas criminel pour manquer de talent
Il est vrai ; mais, écoute un avis excellent :
C'est être criminel qu'oser lui faire outrage ;
Renonce à la satire, et, crois-moi, deviens sage.
Assez d'autres, sans toi, par de mauvais écrits,
Apprêteront à rire aux oisifs de Paris.
Que vendre ces écrits soit ton unique affaire :
Il vaut bien mieux, Cléon, les vendre que les faire.
Aux doux sons de ma lyre, en démontrant tes torts,
Je sens que, malgré moi, je bâille, je m'endors.
Encre un mot pourtant. – Il faut que j'en convienne.
Tu fis une satire… Hélas ! Ce fut la tienne…
Mais, avec toi, déjà, c'est trop m'entretenir ;
Bon soir, mon cher Cléon, bon soir ; je vais dormir.