Bon soir, je vais dormir

Auteur(s)

Année de composition

1799

Genre poétique

Description

Alexandrins en rimes plates

Mots-clés

Paratexte

À l'auteur des Étrennes de l'Institut, de la Fin du XVIIIe siècle, de la Guerre des petits dieux, de Mon Apologie, etc…etc…etc…

Texte

Tu le veux, j'y consens, Cléon, je vais dormirL'auteur du poème intitulé la Guerre des petits Dieux et de la satire qui a pour titre : mon Apologie (titre qu'il a pris à Gilbert), dit dans cette dernière satire : « Dors, mon cher Dusausoir, aux doux sons de ta lyre ». Toujours docile, et jaloux de suivre les bons avis qu'on me donne, je dois commencer par remercier l'auteur de la bienveillance qu'il me témoigne, et lui prouver combien je désire m'en rendre digne. J'ai cru ne pouvoir mieux y réussir, et me procurer un sommeil doux, qu'en prenant chaque soir son libelle, avant de me coucher. Que d'obligations je lui ai ! Depuis quelque tems, le sommeil ne s'approchait qu'avec peine de ma paupière ; mais, depuis que je lis ce qu'il appelle ses satires, je jouis d'un sommeil calme et non interrompu. Non, je ne connais pas de remède plus efficace contre l'insomnie ;
Tes utiles avis préviennent mon désir.
Celui-ci me plaît fort ; je veux en faire usage,
Et te prouver, ami, combien je le crois sage.
Mais, avant de goûter les fruits de ce conseil,
Avant que je me livre aux douceurs du sommeil,
Et que le dieu du jour dérobe à ma paupière
De son disque brillant l'éclatante lumière,
Un moment, avec toi, permets-moi de causer :
Ton cœur est généreux, il saura m'excuser.
J'aime à te voir armé de cette mâle audace,
Qui te fait insulter aux enfans du Parnasse ;
Oui, j'aime ce poème, où, singe de ParnyLe citoyen Parny, un de ceux qui, dans le dix-huitième siècle, ont exercé avec le plus de succès le genre de la poésie érotique, a publié, depuis peu, un poëme qui a pour titre : la Guerre des Dieux. Si le caractère de la philosophie qui règne dans cet ouvrage est un peu licencieux, si la morale n'y est pas assez respectée, on n'y retrouve pas moins, et très-fréquemment, le chantre séduisant d'Éléonore ; on n'y est pas moins enchanté du talent de cet aimable poète, qui n'a connu de rival, en ce genre, que feu Berlin, et qui semble enfin ne vouloir confier ses secrets qu'au jeune et modeste Deguerle, déjà connu par une traduction de Pétrone, par l'Éloge des Perruques, et par nombre de poésies érotiques, toutes plus gracieuses les unes que les autres. Un poète tel que Parny est tellement élevé, qu'il est impossible que quelques traits décochés par l'envie puissent l'atteindre. Mais, il est des gens qui ne doutent de rien. Ils veulent écrire ; et comme les moyens leur manquent, ils dérobent partout. Cléon a pris le titre du poème de Parny, le plan du Lutrin de Boileau ; à Gilbert, le titre et le plan de sa satire, intitulée mon Apologie. Il n'a laissé aux auteurs célèbres que je viens de citer, que ce qu'il n'a pu absolument leur dérober, la brillante exécution. Il ressemble à ces jeunes filles qui apprennent à broder : elles achètent des patrons tout dessinés, étendent dessus leur mousseline, et déchirent à pointe d'aiguilles les patrons qu'elles ne peuvent imiter,
Avec moins de talent, moins de grâces que lui,
Aux petits dieux du jour tu déclares la guerre :
Je crois voir un pygmée affronter le tonnerre !
Je t'admire surtout, quand, dans ton abandon,
La férule à la main, comme un autre Pradon,
Sans crainte du danger, dans ta marche rapide,
Tu mutiles nos vers d'une main intrépide.
Ce courage est sublime, il prouve ta valeur ;
Mais il ne prouve pas que tu sois bon auteur.

Ne pense pas qu'ici je prétende confondre
Tes lumineux écrits, auxquels je vais répondre ;
Ne crois pas que, bouffi d'un ridicule orgueil,
De m'attaquer à toi j'ose braver l'écueil ?
Le calme me plaît trop, et je crains trop l'orage :
Mais tu sais qu'un enfant aime le badinage ;
Combien il est heureux, cet âge intéressant,
Où, sans crainte, l'on dit tout ce que le cœur sent ;
Où, guidé par les jeux de la vive folie,
On ne redoute point la piquante saillie !
Sur le front de l'enfance est l'ingénuité ;
Auprès d'elle, sans cesse, on voit la vérité
Errer en folâtrant sur ses lèvres badines,
Et prêter plus de charme à ses grâces mutines :
On se plaît à l'entendre, on se plaît à la voir ;
Jamais le doux plaisir ne trompe son espoir.
L'enfant , toujours bercé par de rians mensonges,
Dans la paix du sommeil retrouve d'heureux songes,
Il se plaît à se voir environné des jeux :
Et quand il a joué, l'enfant dort beaucoup mieuxL'auteur, dans une nouvelle édition de sa satire, Fin du dix-huitième siècle, m'a fait l'honneur de me destiner une note supplémentaire, où il a la bonté de m'appeler un enfant de soixante ans. Quelques envieux du rare talent satirique de l'auteur ont voulu regarder ce trait comme une épigramme ; ils se sont bien trompés. Il peut être un, peu méchant, mon cher Cléon, mais il n'est point malin ; moi, plus juste, j'ai rendu hommage à la pureté de ses intentions ; j'y ai reconnu un homme qui, pénétré de ce tendre respect qu'impriment les deux extrémités de la vie, les a réunies en ma faveur, pour le tendre un seul et même hommage.
D'ailleurs, je n'aime point l'art affreux de médire :
La gaîté me plaît seule, et tes vers me font rire.

Honnête et doux rimeur, dont les soins bienveillans
Ont de quelques pavots orné mes cheveux blancs,
Par toi, je me retrouve au matin de la vie :
Je vais donc te parler sans humeur, sans envie.
Toi qui, comme Médée, employant le poison,
De ton cher Dusausoir fis un nouvel Eson,
Tu sais bien que l'enfant dit toujours ce qu'il pense ;
Entends les accens vrais de ma reconnaissance :
Je ne redoute rien de ton emportement,
Et vais sur tes pamphlets m'expliquer franchement.
Tu te fais imprimer : mais, avant que d'écrire,
Il ne serait pas mal, mon cher, de savoir lireJe me crois fondé à donner ce conseil à Cléon. Dans cette même note que je viens de citer, il me paraît qu'il a lu, au moins très légèrement, ces quatre vers de ma réponse, qu'il rappelle « Que fait à Demoustier, à Luce, à Chabeaussière, / À Laya, dont la plume éloquente et sévère, / En combattant l'erreur a défendu les loix, / Que Zoïle contr'eux ose élever la voix ? ». Je ne prétends pas assurément citer ces quatre vers pour un modèle dé poésie ; mais, à moins que Cléon ne me le démontre jusqu'à l'évidence, par des autorités telles que le dictionnaire de l'Académie, Dumarsais, et tant d'autres, grammairiens profonds, je croirai fermement n'avoir point offensé la syntaxe ; je croirai fermement que cette locution n'a rien de dur, de trivial, d'incorrect ; en un mot, rien qui blesse la pureté de la langue. Ah ! Si j'avais dit, comme la note l'indique, « que fait que etc… », assurément j'aurais été coupable du vandalisme le plus barbare ; mais le « que » relatif, jeté au quatrième vers, présente plus de bon usage que de mauvais goût : donc, l'auteur satirique, ou ne sait pas lire, ou lit au moins très légèrement ;
D'étudier à fond Richelet et Restaut :
On s'expose à tomber, lorsqu'on marche trop tôt.

L'archet du chansonnier qui braille dans la rue,
Ses lamentables cris qui vont frapper la nue,
Agacent moins mes nerfs, font moins grincer ma dent,
Que les aigres accords de ton luth discordant.
Perroquet de Gilbert, tu te prétends poète ;
Des arrêts d'Apollon tu te dis interprète,
Et, ne sais même pas comment on doit rimer !
Sur des auteurs dont l'art a droit de nous charmer,
Distillant les poisons que ton âme recèle,
Partout tu prends leurs vers, que ta muse morcelle ;
Et, du fond du bourbier où s'égare ta voix,
Tu veux les régenter et leur dicter des loix.
Mais, avant de prétendre à ce beau privilège,
Il faut t'asseoir encor sur les bancs du collège.
Quoi ! Rimeur inconnu, tu railles Palissot !
N'est-ce pas hautement t'avouer pour un sot ?
Es-tu donc un Boileau pour censurer Despaze ?
Je sais bien qu'un beau nom peut honorer ta phrase
Et qu'un homme de goût, par un Midas cité,
N'en parvient pas moins cher à la postérité ;
Mais je sais encor mieux, il faut que je le dise,
Qu'attaquer le talent, c'est fêter la sottise ;
Qu'en vain un froid censeur veut faire l'important ;
Il n'empêtre que lui dans les filets qu'il tend.
En poursuivant Baour, vois à quoi tu t'exposes !
Baour, dans ses Trois Mots, nous a dit mille choses ;
Toi, dans tes mille vers, tu ne dis pas un mot.
Sans respect et sans goût, tu frondes Petitot,
Jeune auteur estimable et dont la modestie
Égale les talens qui consolent sa vie.
Chabeaussière, à son tour, excite ta fureur.
Tu poursuis dans Lanlier l'élégant voyageurLe citoyen Lantier, homme depuis long-tems connu sous le rapport le plus favorable, dans la littérature et au théâtre ; dans la première, par le Voyage d'Antenor en Grèce, ouvrage aussi agréable qu'instructif, qui a obtenu le plus grand succès ; et au théâtre, par la jolie comédie de l'Impatient, pièce restée au répertoire, qu'on revoit toujours avec un nouveau plaisir, et dans laquelle le sublime Molé déploie ce rare talent qui fait le désespoir de ceux qui suivent sa brillante carrière,
Qui sait avec tant d'art présenter Lasthénie,
De l'aimable Antenor échauffant le génie ;
Et sur-tout de Vigée estropiant le nomJe crois que se tromper sur l'orthographe d'un nom ignoré est une erreur bien excusable ; mais, lorsqu'un homme est aussi connu que l'est le citoyen Vigée, estropier son nom n'est-ce pas prouver qu'on n'a eu d'autre projet que celui d'attaquer un auteur jouissant d'une haute réputation. Il vaudrait mieux, en pareil cas, le lire, et prendre de lui des leçons de goût, de correction et de poésie,
Tu veux, lourd Marsias, défier Apollon !
Mais, du nom d'un auteur ornant un paragraphe,
On devrait, ce me semble, en savoir l'orthographe,
Et craindre de pousser de bizarres travers
Jusqu'à le mutiler, pour arranger un vers.
Je me garde pourtant de blâmer ta méthode ;
Elle n'est point gênante, elle est douce, commode ;
Tes préceptes sont sûrs pour rimer aisément :
L'ignorance y sourit, mais le goût les dément.
Quatre fois, dans tes vers, la rime masculine
Vient frapper mes regards ; bientôt la féminine,
Succédant à son tour, jalouse de ses droits,
À mon oreille aussi retentit quatre fois.
Que dis-je ? Si la rime échappe à ta mémoire,
Au mot gloire soudain ta muse oppose gloire ;
L'hémistiche, en ton vers, ne marque aucun repos :
Faut-il les allonger, tu raccourcis les mots ;
Tu braves le bon sens, et ta muse indiscrète,
Avec arrête encor fait rimer bayonnette.

Poursuis, mon cher Cléon : tes rapides essais
Te font connaître assez quels seront tes succès !
Tu prétendais, sans doute, au sommet du Parnasse,
Auprès de Despréaux occuper une place !
Renonce à cet espoir, abjure cette erreur ;
Au fond de ton marais signale ta fureur :
Au sommet d'Hélicon, malgré ta sotte audace,
Boileau ne voudrait pas de toi pour son Paillasse.
Cesse de te livrer à ton fatal penchant.
Non, ce n'est pas assez d'avoir l'esprit méchant,
Et de piller par-tout, sans goût, sans connaissanceDans ma réponse à la satire intitulée la Fin du dix huitième siècle, j'ai cité plusieurs vers que l'auteur avait pillés dans divers auteurs : en répondant à celle-ci, je pourrais renouveler ces citations à l'infini ; mais ce serait abuser de ta patience de mes lecteurs. J'aime mieux leur indiquer un moyen aussi prompt que sûr, de connaître ce qui appartient à l'auteur, et ce qu'il a dérobé aux autres. Lorsque le lecteur rencontrera quelques vers, ou même des tirades entières, qui lui paraîtront trancher avec le ton et le style général de l'ouvrage, et présenter encore, quoique mutilés par l'auteur, quelque apparence de verve et de poésie, il peut, sans hésiter, écrire en marge : ceci est pillé. Mais, toutes les fois que des idées bizarres ou inconvenantes, des grossièretés crues et des vers sans harmonie et sans mesure, oh ! Alors, lecteur, écrivez hardiment, ceci appartient à l'anonyme,
Des vers, fruits du génie et de l'expérience ;
D'opposer aux auteurs un stérile courroux ;
Il faut, pour bien frapper, bien diriger ses coups,
Tel qu'un brave guerrier, qui craint une défaite
A soin de préparer sa prudente retraite,
Il faut, mon bon Cléon, qu'un satirique auteur
Sache de l'art des vers atteindre la hauteur ;
Que sur-tout, évitant l'écueil de la licence,
Il craigne de montrer sa stupide ignorance ;
Que sa prose mordante, ou son vers offenseur,
Ne puissent être atteints par l'arme du censeur.
Oui, pour qu'une satire obtienne nos suffrages,
Il faut que son motif soit de nous rendre sages,
Despréaux, dans ses vers, a frondé les erreurs ;
Gilbert, dans ses écrits, a défendu les mœurs ;
L'ingénieux auteur qui fit la Dunciade,
De sots, moins sots que toi, redressa l'incartade.
Vainement de Chénier tu critiques les vers :
L'auteur de Fénelon, de mille écrits divers,
Où, malgré des défauts, le génie étincelle,
N'a rien à redouter des traits de ton libelle.
Eh ! Crois-tu que Laya, sage et profond penseurJe ne répéterai point sur ce savant littérateur ce que j'ai dit dans la note qui le concerne, à la suite de ma réponse à la satire Fin du dix-huitième siècle. J'ajouterai que ce jeune auteur, qui jouit déjà d'une haute réputation vient d'offrir au public un précis sur le genre de la satire. Ce travail que l'auteur appelle modestement précis, est une dissertation lumineuse, où il prouve à chaque paragraphe une vaste connaissance des écrivains de l'Antiquité qui ont moissonné abondamment dans le champ fécond de la poésie satirique. Aucun ne lui est échappé : chez les Grecs, Eupolis, Cralinus, Archiloque, Phérécrate, Hermippe, Apollonius d'Alexandrie, Sophon de Syracuse, etc. ; chez les Romains, Lucilius, Horace, Juvénal et Perse. Le citoyen Laya développe avec clarté les différents genres de la satire, et tous il les rapporte au même but : l'instruction, l'utilité et la morale. Ce précis, qui fait le plus grand honneur au littérateur très-instruit qui l'a exposé avec autant de goût que de clarté, se trouve dans le n° 11 des Veillées des Muses, deuxième année : c'est un fleuron de plus à la couronne littéraire du jeune Laya,
Du champ de la science heureux cultivateur,
Qui consacre au travail les jours de son bel âge,
Puisse craindre jamais ton impuissante rage ?
Si tu l'as espéré, ton espoir sera vain :
Dans sa course, un géant n'aperçoit pas un nain.
Laisse-là Dumoustier, il rit de ta folie ;
Ce conciliateur, cet ami d'Émilie,
Cher aux arts, à l'amour, aimable autant qu'aimé,
Sera, malgré ton livre, en tous lieux estimé;
Et ses rians tableaux de la mythologie
Sont plus chers au, public que ton Apologie.
Chazet a de l'esprit, du goût, de la gaîté ;
Il tourne un vers heureux avec facilité.
Je préfère un couplet de sa Muse fertile
À ces nombreux écrits qu'empoisonne ta bile.
Ne t'acharnes donc plus sur des noms chers aux arts,
Noms qui du dieu des vers ont fixé les regards,
Noms enfin qui, long-tems environnés de gloire,
Seront, malgré tes cris, recueillis par l'histoire.
Mais toi, dans un instant, tu seras oublié ;
Reste dans ton réduit, confus, humilié :
Des arts consolateurs l'invincible puissance
A déjà dévoilé ta profonde ignorance.
On n'est pas criminel pour manquer de talentImitation d'un vers que l'auteur a bien voulu me destiner, où il dit, en parlant de moi : « On n'est pas criminel pour manquer de bon sens. » Le public a les deux reprochés sous les yeux ; c'est à lui seul de juger lequel est le mieux fondé,
Il est vrai ; mais, écoute un avis excellent :
C'est être criminel qu'oser lui faire outrage ;
Renonce à la satire, et, crois-moi, deviens sage.
Assez d'autres, sans toi, par de mauvais écrits,
Apprêteront à rire aux oisifs de Paris.
Que vendre ces écrits soit ton unique affaire :
Il vaut bien mieux, Cléon, les vendre que les faire.

Aux doux sons de ma lyre, en démontrant tes torts,
Je sens que, malgré moi, je bâille, je m'endors.
Encre un mot pourtant. – Il faut que j'en convienne.
Tu fis une satire… Hélas ! Ce fut la tienne…
Mais, avec toi, déjà, c'est trop m'entretenir ;
Bon soir, mon cher Cléon, bon soir ; je vais dormir.

 
 

Sources

BNF, Ye 20931.