Hymne pour l'inauguration d'un temple à la Liberté dans la section de l'Observatoire, en la ci-devant église Saint-Jacques, le 26 brumaire an II
Auteur(s)
Paratexte
Couplets chantés par Chéron, citoyen de la section du faubourg du Nord, artiste attaché à l'Opéra national
Texte
Musique de Lesueur
Ô Liberté, Liberté sainte,
Déesse d'un peuple éclairé,
Règne aujourd'hui dans cette enceinte,
Par toi ce temple est épuré.
Liberté ! Devant toi, la Raison chasse l'imposture ;
L'erreur s'enfuit, le fanatisme est abattu,
Notre évangile est la Nature,
Et notre culte est la Vertu.
Ton temple, aux rivages du Tibre,
Sous les Gracchus eût pu fleurir.
Un peuple, indigne d'être libre,
Sans les venger les vit périr.
Liberté ! Tu n'étais que la vaine idole de Rome ;
Mais ton triomphe est plus assuré parmi nous ;
Ce n'est point le vœu d'un seul homme,
C'est le vœu, le besoin de tous.
Longtemps nos crédules ancêtres
Laissèrent usurper leurs droits ;
Liés de l'étole des prêtres,
Courbés sous le sceptre des rois.
Qu'aux accents de ta voix, tombent les sceptres et les mitres.
Du genre humain que les droits partout soient gravés !
Le monde avait perdu ses titres ;
La France les a retrouvés.
Enfans d'une mère commune,
Les hommes en droits sont égaux ;
Mais l'égoïsme et la fortune
Avaient rompu des nœuds si beaux.
Liberté, grâce à toi, l'Égalité nous sert d'enseigne.
Le sot orgueil n'a plus ses hochets insolens ;
On ne distingue sous ton règne,
Que les vertus et les talens.
À quelle riante espérance
Du monde embellit l'horizon !
Le vieux bandeau de l'ignorance
Est déchiré par la Raison.
À ta voix, Liberté ! Le prêtre s'éclaire lui-même ;
Il devient homme, il veut se rendre citoyen,
La tiare et le diadème
Devant ce titre ne sont rien.
Quels tributs, à l'Être Suprême,
Sont les plus dignes d'être offerts ?
Ceux d'un peuple, que le ciel aime,
Puisqu'il a su briser ses fers.
Liberté, sous tes lois, oui, la Morale est plus auguste ;
De sa lumière, un cœur libre est plus pénétré,
Pour être bienfaisant et juste,
Il ne faut ni roi, ni curé.
Aimer sa patrie et ses frères,
Servir le peuple souverain,
Voilà les sacrés caractères
Et la foi d'un républicain
D'un enfer chimérique, il ne craint point la vaine flamme,
D'un ciel menteur il n'attend point les faux trésors.
Le ciel est dans la paix de l'âme,
Et l'enfer est dans les remords.
Assez d'objets faux, ou futiles,
Avaient usurpé notre encens ;
C'est aux objets vraiment utiles
Qu'est dû le culte du bon sens.
Oublions, abjurons, les préjugés et les chimères ;
Que la Raison, foulant à ses pieds les abus,
Ouvre le siècle des lumières,
De l'industrie et des vertus.
Chantons en ce jour d'allégresse,
Couvrons de fleurs et de lauriers
Le soc, la boussole, la presse
Et les armes de nos guerriers
Liberté, tes trésors sont seuls dignes de nos hommages
Grâce au flambeau que tu fais luire désormais,
Nous honorons, dans ces images,
Les vrais biens que tu nous promets.
Et vous, despotes de la terre !
Monstres et tigres couronnés !
Vous, auteurs d'une affreuse guerre,
Fédéralistes forcenés !
Ennemis des Français, lâches qui demandez un maître,
La liberté s'affermit par vos propres coups.
Malgré vous nous l'avons fait naître ;
Nous la garderons malgré vous.
Sur la Montagne indestructible
Dont les oracles nous sont chers,
Le patriote incorruptible
Dicte la loi de l'Univers.
Liberté ! C'est de là que sonne le tocsin du monde !
Tyrans, tremblez ! Fuyez ô superstitions !
Sur cette Montagne se fonde
La liberté des nations.
Liberté, compagne fidèle
Des lois sages, des bonnes mœurs !
Du ciel même fille immortelle,
Objet des vœux des plus grands cœurs !
Liberté, d'un regard tu fais pâlir la tyrannie,
Sans toi, pour l'homme il ne peut être de bonheur,
Toi seule es l'âme du génie,
Et la mère de la Valeur.
Soutien, contre de vils esclaves,
Le courage de nos enfants !
Notre cause est juste, ils sont braves ;
Fais les revenir triomphants.
Quand par eux des tyrans la rage impuissante est punie,
Veillons pour eux, et que la France, à leur retour,
Leur offre une famille unie
Par la Nature et par l'amour.