À François de Neufchâteau sur son poème des « Vosges »
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Paratexte
Texte
Depuis longtemps, à l'humble prose,
D'austères devoirs m'ont réduit.
Lire des vers !... hélas ! Je n'ose ;
Par eux, je crains d'être séduit.
Ma lyre, à regret suspendue,
À ma voix ne vient plus s'unir.
Mais elle n'est que détendue ;
Bientôt on l'entendrait gémir.
D'Homère oubliant les merveilles,
Je suis une de ses leçons ;
Et je me bouche les oreilles,
Pour fuir de trop dangereux sons.
Mais aux accents d'une sirène,
Aujourd'hui j'ai mal résisté ;
Et je sens bouillonner ma veine,
Depuis que François a chanté.
Que j'aime sa douce harmonie,
Son style pur, brillant et clair !…
Ses chants illustrent sa patrie,
Et les Vosges ont un Haller.
Il nous révèle les délices
De ce pays trop peu vanté,
Pauvre de trésors et de vices,
Riche de mœurs, de liberté ;
Riche de sources salutaires,
De fleuves, de lacs transparents,
De neiges, de rocs, solitaires,
De précipices, de torrents.
Là[1] Voltaire honora l'asile
De plus d'un savant ignoré ;
Là[2] respira notre Virgile,
Loin d'un peuple aux tyrans livré.
Ah ! Reviens, aimable poète,
Ne crains plus de tristes hasards :
Reviens, ta place est toute prête
Dans le nouveau temple des arts.
Que François ici te ramène :
Venez tous deux, par vos concerts,
Réveiller aux bords de la Seine
Le goût assoupi des beaux vers.
Chantre des Vosges, que j'envie
L'essor que tu viens de tenter !
Comme toi, j'aime ma patrie :
Que ne puis-je aussi la chanter !
Sources
Fables inédites de M. P.-L. Ginguené, membre de l'Institut de France, servant de supplément à son recueil publié en 1810, et suivies de quelques autres poésies du même auteur, Paris, Chez Michaud, 1814, p. 288-291.