Anniversaire de Louis XVI, dernier roi des Français (L')

Année de composition

ap. 1793

Genre poétique

Description

Alexandrins en rimes plates

Paratexte

Quidquid delirant reges plectuntur Achivi.

Texte

Il brille après quatre ans le jour de la justice !
Le jour qui d'un despote éclaira le supplice,
Qui du peuple français punit le meurtrier !
Salut, gloire immortelle au 21 janvier !
Mais quoi ? Dans ce grand jour tout garde le silence,
Le froid républicain n'ose élever la voix,
Et ce n'est qu'en secret que l'homme libre en France
Applaudit à la mort du dernier de ses rois !
Que les tems sont changés ! L'esprit public expire,
Un acte de justice est traité de forfait.
L'esclave des tyrans regrette leur empire,
Le patriote tremble et le peuple se tait.
Sous les yeux du Sénat créé pour nous défendre,
Le royalisme en pleurs, en longs habits de deuil,
Du dernier des Capets, cherchant en vain la cendre,
Gémit de ne pouvoir pleurer sur son cercueil.
Il le dit. Il l'écrit, et d'une main impie,
Cherchant, à déchirer le sein de la patrie
Il ose demander à ce peuple trompé,
Ce qu'a fait le tyran que la foudre a frappé ?…
Peuple ! Ce qu'il a fait ?… Consulte les victimes
Qu'à sa vengeance atroce ont immolé ses crimes.
Vois dans le champ de Mars ces femmes, ces enfans,
Ces vieillards massacrés, l'un sur l'autre expirans !
Sous les murs de Nancy, vois cet affreux carnage.
Vois ces braves guerriers immolés à sa rage,
Ces soldats expirés sous le fer des bourreaux !
Le tigre est altéré… Le sang coule à grands flots,
Mais il n'étanche point la soif qui le dévore.
Pleine du sang français, sa bouche en cherche encore,
Et, s'il semble hésiter, un monstre furieux
Lui, présente le vase et lui ferme les yeux.
Dans l'antre ténébreux où se forge la foudre
Qui doit frapper le peuple et le réduire en poudre
Dans ces lieux dont sa voix t'a défendu l'abord,
Vois ces foudres d'airain prêts à vomir la mort.
Saisis ce plomb mordu par la dent vénéneuse,
D'un monstre à qui l'on dut cette journée affreuse.
Vois Louis dans la nuit, courant encourager
Des milliers d'assassins armés pour t'égorger,
Lui-même leur verser une liqueur perfide,
Leur donner du combat le signal homicide,
Et s'enfuir lâchement à l'instant du danger.
Entends ces cris affreux au milieu des ténèbres,
Le bronze qui nous donne un salutaire éveil,
L'airain qui, dans les airs, lançant des sons funèbres,
T'avertit du danger, et t'arrache au sommeil.
Sous les murs du palais, à ce signal d'alarmes,
Vois tous les citoyens se presser confondus.
On trompe leur candeur… Ils s'avancent sans armes…
Le plomb mortel les frappe ! Ils ne sont déjà plus.
Vengeance… De ce cri les échos retentissent,
Le salpêtre s'allume et frappe les brigands
Et nos tubes d'airain s'avancent et vomissent
Le trépas mérité qu'ils cachoient dans leurs flancs.
Peuple, tu fus vainqueur. Mais combien ta victoire
En frappant tes amis, te coûta de regrets ?
Ce spectacle sanglant empoisonna ta gloire,
Et tu vis au laurier se joindre les cyprès…
« Mais Louis étoit bon, te diront ses esclaves,
Le Sénat l'enchaîna, lui donna des entraves,
Il voulut resaisir un pouvoir usurpé,
Dans le choix des moyens sans doute il fut trompé.
Tout le monde eut des torts ; chacun fit des victimes ;
La Révolution enfanta tous les crimes ;
À la hache des lois loin de l'abandonner
Le Sénat aurait dû le plaindre et pardonner. »
L'ai-je bien entendu ? Louis fut bon !… Perfides !
Vous tous qui partagiez ses vœux liberticides,
Osez interroger ! Attendez votre arrêt
De ceux qu'à son service attacha l'intérêt ;
Ils ont étudié son affreux caractère.
Il eut de Charles IX la rage sanguinaire,
Il eut les mêmes goûts et le même penchant,
Et tous vous répondront : Louis fut un méchant.
La Révolution enfanta tous les crimes,
Dites vous !… Répondez ! Pour nous rendre victimes
Capet attendit-il le quatorze juillet ?
Perd-on le souvenir de son premier forfait ?
A-t-on donc oublié que tout l'or de la France,
De la maison d'Autriche augmentant la puissance,
Par le canal impur du fléau des Français,
Passa chez Joseph II, prépara ses succès,
Mit la France épuisée à deux doigts de sa perte ?
Qu'à son ambition même elle fut offerte ?…
Et quand le peuple entier, las de mordre ses fers,
Eut de son énergie étonné l'univers,
Quand de ses oppresseurs le cortège servile
Chez les tyrans voisins fut chercher un asile,
Que fit Louis alors ?… Louis avait le choix,
Faire en roi citoyen, exécuter les lois
Ou, despote absolu, gardant son caractère,
Soutenir de ses droits l'orgueilleuse chimère,
De ses nombreux valets, partager le destin,
Triompher… ou périr, les armes à la main.
Mais, trop lâche en effet, pour tenter la conquête,
Il craignit les dangers qui menaçaient sa tête.
Trop jaloux à la fois, du pouvoir absolu,
Entre ces deux partis Louis irrésolu
Saisit l'hypocrisie, et d'un masque perfide
Il couvrit avec art sa fureur parricide.
Le peuple confiant, crut aux vertus d'un roi ;
Il crut à son amour, vanta sa bonne foi…
La bonne foi des rois !… Ô prestige ! Ô blasphème !…
Le peuple y crut pourtant et le Sénat lui-même !
Dans son sein le parjure a la voix d'un flatteur
Fut de la liberté nommé restaurateur.
Capet en l'écoutant, songeait à sa disgrâce,
Ce titre était trop grand pour une âme aussi basse…
Pour un peuple abusé, qu'un vain espoir séduit,
C'était un songe heureux que le réveil détruit.
Les rois, la liberté… Ce mot seul les offense
Et du trône au niveau l'intervalle est immense.
Le Sénat, dites vous, usurpa son pouvoir ;
Non, le Sénat d'abord lui dicta son devoir,
Lui pardonna ses torts et ce respect antique
Pour l'abus du pouvoir et d'un droit chimérique
Sur ses nombreux forfaits nous fit fermer les yeux.
Il faisait nos malheurs, nous le rendions heureux.
Tigre avide de sang pour mieux river nos chaînes,
Il fuit… On le saisit, on l'arrête à Varennes ;
De sa fuite coupable on connaissait le but ;
L'échafaud l'attendait… Le trône le reçut.
Son front poudreux encore ceignit le diadème ;
Le Sénat lui rendit l'autorité suprême,
La constitution, comme roi des Français,
Lui donna le pouvoir qu'aucun roi n'eut jamais,
Pouvoir même trop grand pour un roi patriote ;
Monarque jusqu'alors, il eût été despote,
Et, si plus éclairé, Louis eût attendu,
Chargé de nouveaux fers le peuple était perdu.
Mais trop impatient d'assouvir sa vengeance,
Il prépare en secret la perte de la France ;
Endurci dans le crime et bravant le remords,
Il fait aux révoltés passer tous ses trésors,
Des rois coalisés il presse les cohortes,
Et quand leurs escadrons déjà sont à nos portes,
Quand par leurs bataillons, avec art entassés,
Déjà sûr tous les points nous sommes menacés,
Nos frontières, nos camps, nos remparts sans défense
Sont livrés par Louis, livrés,… sans résistance,
Il veut semer partout le carnage et le deuil
Et du sol des Français faire un vaste cercueil.
Oui ! Si, depuis sept ans, les horreurs de la guerre
Des flots de sang humain ont inondé la terre,
C'est à ce roi cruel que l'on doit ce fléau,
C'est lui qui des Français a creusé le tombeau.
Ombres de nos guerriers, sortez de la poussière,
Soulevez vos tombeaux, victimes de Louis.
Martyrs du champ de Mars et de la France entière ;
Venez nous retracer ses forfaits inouïs.
Écartez vos linceuls ! La plaie encor saignante
Est de ses cruautés une image parlante.
Là, le plomb de Bouillé, là, le fer des bourreaux
Dans la nuit du cercueil ont plongé des héros.
Paraissez à la fois pour venger vos injures.
Aux yeux de ses amis entr'ouvrez vos blessures
Et si l'on cherche encor les crimes de Capet,
Répondez à la fois : Voilà ce qu'il a fait.
« Mais quoi ? diront ici les esclaves du trône,
Si Louis abusa des droits de sa couronne,
S'il suivit des flatteurs les conseils imprudens,
S'il trompa les Français, et trahit ses sermens,
La majesté royale en est-elle avilie ?
L'antique loi d'État doit-elle être abolie ?
N'est-il donc chez les rois ni foi, ni loyauté ?
L'homme est l'auteur du crime et non la royauté… »
Partisans des Capets et des vertus royales,
De l'univers entier parcourez les annales !
La royauté du crime est le sûr talisman ;
Tel fut bon citoyen qui roi, devient tyran.
Homme, il fit des heureux, prince, il fait des victimes
Et l'absolu pouvoir est la source des crimes.
Le roi pervertit l'homme, anéantit les lois
Et les rois sont méchans par cela qu'ils sont rois.
Que m'importent, d'ailleurs, vos étranges sophismes,
Et vos distinction set vos froids syllogismes ?
Frémissant des forfaits que sa bouche ordonna,
Quand du sang des Français j'ai vu rougir la Seine,
À l'aspect des martyrs que sa voix condamna,
Je ne recherche point pour éteindre ma haine,
Si c'est l'homme ou le roi qui les assassina.
D'un simple individu le crime n'intéresse
Que quelques citoyens que son action blesse :
Mais les crimes des rois blessent les nations
Jouet de leur caprice et de leurs passions,
Le peuple tout entier soumis à leur puissance,
Souffre de leurs forfaits et gémit en silence.
Si l'obscur assassin, par l'intérêt conduit,
Vient me percer le flanc dans l'ombre de la nuit,
S'il prive son pays d'un citoyen utile,
L'assassin sur le trône en égorge cent mille.
L'un, le crime commis, s'enfuit épouvanté,
L'autre repose en paix, sûr de l'impunité.
Il en est, je le veux, dont l'âme moins féroce
Eût frémi de commettre une action atroce,
Qui, d'un peuple soumis et surchargé d'impôts
Ont cru devoir, pour eux, assurer le repos,
Il en est qui de sang se sont montrés avares…
Dans les fastes des tems ces exemples sont rares.
De 68 rois que la France a comptés
À peine il en est deux que l'histoire ait cités,
Louis XII et Henri. Mais ces deux grands modèles
Sont-ils à leurs sermens toujours restés fidèles ?
Ce Henri (je le sais) qui craignait le ligueur,
Fit au peuple inquiet entrevoir le bonheur :
Mais de sang, sur ses pas je vois pourtant des traces,
Henri IV signa le code affreux des chasses
Et le trépas d'un cerf, tué dans ses forêts,
Ne put être vengé que par le sang français,
Louis XII afficha le pardon des injures
Et du duc d'Orléans oublia les blessures :
Mais quand le Milanais, contre lui révolté,
Reconnut de nouveau sa souveraineté
Louis pardonna-t-il, à la main ennemie
Qui voulut à son joug arracher sa patrie ?
Non ? Sforce fut puni comme pour trahison ;
Une cage de fer lui servit de prison.
Pendant dix ans entiers, il fut forcé d'y vivre ;
On lui refusa tout, tout, jusqu'à même, un livre.
Aux regards insolens des valets de la Cour,
Aux sarcasmes amers, exposé chaque jour.
Du malheur à longs traits il vuida le calice,
Et la mort seule enfin termina son supplice.
Peuple, voilà les rois ! S'il fut un des plus grands
Ce Louis, tant vanté, que sont donc les tyrans ?
De ces tigres cruels l'ombre même me blesse.
Périssent à la fois ces lâches oppresseurs,
Vampires dévorans qui s'abreuvent sans cesse
Et des sueurs du peuple, et de sang et de pleurs,
Nous avons des Capets brisé le joug antique ;
De son sang, le dernier scella la République.
Malgré les vains efforts des esclaves des rois,
Nous saurons conserver la liberté, nos droits.
Jurons au despotisme une haine immortelle !
Jurons à l'anarchie une guerre éternelle !
Sachez, vous qui des rois arborez l'étendard,
Qu'entre le trône et nous il existe un poignard.

 
 

Sources

BNF, Ye 14247.