Poète exempt de fiel, de bassesse et d'orgueil !
Ainsi la gloire au moins s'assied sur ton cercueil !
Quand Midas présidait à des joutes profanes,
Il t'envia le prix qu'on décerne à tes mânes :
Lemierre ! Par ton nom mon vers accrédité,
Peut-être aura du poids dans la postérité ;
Et l'amitié me trompe, ou ma voix presque usée
S'en va de tes succès réjouir l'Élysée.

C'est à la liberté que, sous l'œil des tyrans,
Tu sentis le besoin de consacrer tes chants.
Tandis qu'un Genevois, dans sa vaste carrière,
Inondait nos cités du jet de sa lumière :
De ses pas courageux fidèle observateur,
À son exemple enfin devenu créateur,
Tu montas avec lui sur les rocs helvétiques,
Pour y mieux contempler l'esprit des républiques,
Et remettre au niveau les superbes humains
Que du même limon tirent les mêmes mains.

Assez et trop longtemps l'altière Melpomène
De fabuleux exploits avait enflé la scène :
Il te fut réservé d'y porter le premier
Les mœurs simples d'un peuple agricole et guerrier ;
D'y fouler à ses pieds, avec la tyrannie,
Une race coupable, et toujours impunie ;
Et de nous pénétrer, à l'aide de l'acteur,
Du sentiment profond renfermé dans ton cœur.
C'est l'âme du grand Tell qui remplissait la tienne.
Voilà le vrai talent, le seul qui t'appartienne,
Qui puisse éterniser chez des républicains
La fierté d'un pinceau digne de tes dessins !

Le temps changea nos mœurs : il faut changer de style.
Lucain, dans notre école, est plus lu que Virgile :
Tu le seras. Le vœu que Tell avait formé^[1]
De l'Adour^[2] à la Sambre est déjà proclamé ;
Et la foudre, en roulant du haut de nos montagnes,
Annonce aux rois la guerre et la paix aux campagnes.