À Bonaparte, Premier Consul, sur les événemens qui ont précédé et suivi le 18 brumaire
Texte
Ô toi qu'avec respect les nations admirent !
Toi, du globe deux fois le pacificateur ;
Pour célébrer ton nom, les muses qui m'inspirent,
Sont la sagesse et la valeur.
Ah ! Tu quittes trop tôt le pays de Saturne[1] ;
La terre des savans[2] semble attirer tes pas :
En vain l'Adige en pleurs laisse échapper son urne,
Pour te retenir dans ses bras.
Quand le Nil sur ses bords vit ton puissant génie
Briser des Mameluks le joug trop odieux ;
Il te prit, fils de Mars, amant de Polymnie !
Pour l'un de ses antiques dieux.
Le désert aussitôt retentit de ta gloire :
Le déesse aux cent voix s'envole vers l'Arnon[3],
Elle va, des Français, annoncer la victoire
Aux fils de Moab et d'Ammon.
Isis, reconnaissant tes soldats intrépides[4],
Sourit, et dit : Pour eux mes palmes vont grandir :
L'ombre de Sésostris, du haut des pyramides,
À tes succès vient applaudir.
L'adorateur d'Allah[5] t'admire comme un ange
Qui peut de Mahomet rectifier les lois ;
Et du golfe Arabique aux rivages du Gange,
Les peuples chantent tes exploits.
Mais hélas ! loin de toi, sans guide, ma patrie
Dans un gouffre de maux allait s'anéantir ;
Sa gloire chancelante était presque flétrie,
La tienne vient la raffermir.
Par ton retour heureux, les cœurs à l'espérance,
Fermés depuis long-temps, enfin se sont r'ouverts :
Nos bouches ont chanté le sauveur de la France,
Et le héros de l'univers.
Tel que Phébus naissant, dans un jour de brumaire,
Dissipe d'un rayon, des nuages épais ;
Tu fis sur l'horizon, dans ce jour salutaire,
Briller l'aurore de la paix.
Quoi ! Des rois aveuglés par l'esprit de vertige,
Dédaignent cette paix que Mars leur fait offrir !
Alpes, abaissez-vous ! Par un nouveau prodige,
Mon héros va la conquérir.
Déjà du Saint-Bernard son pied franchit les glaces,
Aux italiques champs la gloire le conduit :
La valeur qui s'empresse à marcher sur ses traces,
Au milieu des frimats le suit.
Pour la deuxième fois, sur ses rives fleuries,
L'Éridan[6], des Français revoit les étendards :
De Germanie en vain les bandes aguerries,
Se rassemblent de toutes parts.
J'entends déjà leurs cris : du bronze redoutable
Le son frappant les airs, fait gémir les échos :
Dans l'Olympe ébranlé, le destin immuable
A l'œil fixé sur mon héros.
Sur un nuage d'or, à sa voix, descendue,
Aux champs de Marengo, la Victoire paraît ;
Dans son œil enflammé, déjà l'aigle éperdue
A lu le foudroyant arrêt.
La coalition, dans ce jour est vaincue,
Le léopard cruel en rugit de douleur :
Albion, à regret, semble être convaincue
Qu'il faut céder à la valeur.