Chant du 14 juillet 1790 / Hymne pour la fête de la Révolution

Auteur(s)

Année de composition

1790

Genre poétique

Description

Quatrains d'alexandrins terminés par un octosyllabe en rimes croisées

Texte

Musique de Gossec

Il est venu le jour où, depuis une année,
Les destins de la France ont fini ses revers :
Accourez, Citoyens ; cette auguste journée
A rompu nos antiques fers.

Français, offrons à Dieu l'hymne patriotique ;
Mêlons à nos serments des chants pleins de fierté :
Courons sur le lieu même, autrefois despotique,
Où naquit notre liberté.

Gravons sur les débris de ces tours formidables
Le récit du combat, les exploits des vainqueurs,
Les lois de notre empire, et les noms respectables,
De nos premiers législateurs.

Que le roi des Français ait part à notre hommage ;
Ne l'environnons point d'esclaves enchaînés,
Et n'avilissons point aux pieds de son image
Des peuples entiers prosternés.

Nous avons vu des rois chéris de la victoire :
La justice du temps a brisé leurs autels ;
Mais le temps, toujours juste, élèvera sa gloire
Sur des fondements immortels.

Dieu du peuple et des rois, des cités, des campagnes,
De Luther, de Calvin, des enfants d'Israël,
Dieu que le guèbre honore au pied de ses montagnes,
En invoquant l'astre du ciel !

Ici sont rassemblés sous ton regard immense
De l'empire français les fils et les soutiens,
Célébrant devant toi leur bonheur qui commence,
Égaux à leurs yeux comme aux tiens.

D'un mortel isolé, connaissant la faiblesse,
D'un mortel citoyen sentant la dignité,
Forts de leur union, sans maître, sans noblesse,
Agrandis par l'égalité.

Nous jurons d'obéir, de donner notre vie
Au peuple souverain dont émane la loi ;
Nous jurons d'obéir à cette loi chérie,
Nous jurons d'obéir au roi.

Plus d'ordres différents, plus même de province :
La France désormais, en son immensité,
Ne voit qu'un seul empire, un seul peuple, un seul prince
Unis dans la même cité.

Rappelons-nous ces temps où des tyrans sinistres
Du peuple assujetti foulant aux pieds les droits ;
Ces temps si près de nous, où d'infâmes ministres
Trompaient les peuples et les rois.

Des brigands féodaux les rejetons gothiques
Alors à nos vertus opposaient leurs aïeux ;
Et le glaive à la main, des prêtres fanatiques
Versaient le sang au nom des cieux.

Princes, nobles, prélats nageaient dans l'opulence ;
Le peuple gémissait de leurs prospérités ;
Du sang de l'opprimé, des pleurs de l'indigence,
Leurs palais étaient cimentés.

En de pieux cachots, l'oisiveté stupide,
Afin de plaire à Dieu reléguait les mortels :
Des martyrs périssant par un long suicide,
Blasphémaient au pied des autels.

L'injustice des rois, toujours si bien servie,
Peuplait d'infortunés un repaire odieux :
Au fond de ce tombeau, condamnés à la vie,
Ils expiraient sans voir les cieux.

Ils n'existeront plus ces abus innombrables !
La sainte liberté les a tous effacés ;
Ils n'existeront plus ces monuments coupables !
Son bras les a tous renversés.

Dix ans sont écoulés, nos vaisseaux, rois de l'onde,
Pour fonder sa puissance, ont traversé les mers ;
Elle vient maintenant des bords du nouveau monde,
Régner sur l'antique univers.

De nos champs renommés elle aborde la rive ;
Ses pas sont entourés de citoyens guerriers ;
Elle tient dans ses mains et le glaive et l'olive ;
Son front est couvert de lauriers.

Au milieu des périls, La Fayette est son guide :
Depuis qu'en Amérique il devint son appui,
Elle a suivi partout sa prudence intrépide ;
Elle est toujours auprès de lui.

La mère des vertus, des talents, du génie,
La liberté réside au sein de nos remparts ;
Nous verrons la sagesse à l'éloquence unie,
Les mœurs, le courage et les arts.

Nous verrons désormais, ainsi que dans Athènes
Chez un peuple sensible et de la gloire épris,
Socrate et Périclès, Sophocle et Démosthènes,
Orner le superbe Paris.

Soleil qui parcourant ta route accoutumée,
Donnes, ravis le jour, et règle les saisons :
Qui versant des torrents de lumière enflammée,
Mûris nos fertiles moissons.

Feu pur, œil éternel, âme et ressort du monde,
Puisses-tu des Français admirer la splendeur !
Puisses-tu ne rien voir, dans ta course féconde ;
Qui soit égal à leur grandeur !

Malheur au despotisme ! Et que l'Europe entière,
Du sang des oppresseurs engraissant ses sillons,
Soit pour notre déesse un vaste sanctuaire,
Qui dure autant que tes rayons !

Que des siècles trompés le long crime s'expie !
Le ciel pour être libre a fait l'humanité ;
Ainsi que le tyran, l'esclave est un impie,
Rebelle à la Divinité.