Couplets d'un condamné à sa femme, après son jugement

Auteur(s)

Année de composition

1794

Genre poétique

Description

Huitains d'octosyllabes en rimes croisées

Mots-clés

Musique

Paratexte

Ces couplets sont très connus ; mais ils font anecdote, et on a cru qu'ils ne devaient pas être omis dans un recueil où l'on a toujours soin de consigner ce qui caractérise les différentes époques.

Texte

Air : De la soirée orageuse
ou 
Air : On compterait les diamans

L'heure avance où je vais mourir ;
L'heure sonne, et la mort m'appelle.
Je n'ai point un lâche désir,
Je ne fuirai pas devant elle :
Je meurs plein de foi, plein d'honneur ;
Mais je laisse ma douce amie
Dans le veuvage et dans les pleurs !
Ah ! Je dois regretter la vie.

Demain mes yeux inanimés
Ne s'ouvriront plus sur tes charmes ;
Tes beaux yeux, à l'amour fermés,
Demain seront noyés de larmes ;
Le froid glacera cette main
Qui m'unit à ma douce amie ;
Je ne vivrai plus sur ton sein !
Ah ! Je dois regretter la vie.

Si j'ai dix ans fait ton bonheur,
Garde de briser mon ouvrage ;
Donne un moment à la douleur,
Donne à la raison ton bel âge ;
Qu'un aimable époux, à son tour,
Vienne rendre à ma douce amie,
Des jours de paix, des nuits d'amour !
Je ne regrette plus la vie.

Je revolerai près de toi,
Des lieux où la vertu sommeille ;
Je ferai marcher avec moi,
Un songe heureux qui me réveille ;
Je reverrai la volupté,
Ranimer encor mon amie ;
L'amour aux bras de la beauté !
Je ne regrette plus la vie.

Si le coup qu'on frappe demain,
N'écrase pas mon triste père ;
Si l'âge, l'ennui, le chagrin,
Te conserve ma tendre mère ;
Ne les fuis point dans ta douleur,
Reste à leur sort toujours unie ;
Qu'ils me retrouvent dans ton cœur !
Ils aimeront encor la vie.

Je vous ai quittés pour jamais ;
Adieu plaisirs, joyeuse vie,
Propos libertins et vin frais
Qu'avec quelque peine j'oublie ;
Mais j'ai mon passeport demain,
Je prends la voiture publique,
Et vais partir, le front serein,
Sous la faux de la République.

Mes chers et tristes compagnons,
Ne pleurez point mon infortune ;
C'est, dans le temps où nous vivons,
Une misère à tous commune ;
Dans vos gaîtés, dans vos ébats,
Buvant, criant, faisant tempête ;
Mes amis, ne m'avez-vous pas
Fait quelquefois perdre la tête ?

Quand au milieu de tout Paris,
Par un ordre de la patrie,
On me roule à travers les ris
D'une multitude étourdie,
Qui croit que de la liberté,
Ma mort assure la conquête ;
Qu'est-ce autre chose en vérité,
Qu'une foule qui perd la tête ?