Dernier tocsin du terrorisme (Le)

Auteur(s)

Année de composition

1795

Genre poétique

Description

Dizains d'octosyllabes

Paratexte

Ode sur la mort du représentant Féraud, assassiné par les factieux, le premier prairial, au sein de la Convention

Texte

Du cours glorieux de tes destins,
France, quel bras souille la trace !
Dans ton sein quelle odieuse race
Détruit l'ouvrage de nos mains ?
Mère faible, mère égarée !
Attends-tu d'être déchirée
Par les tigres et les vautours ?
Attends-tu que le noir Tartare
Pour exaucer leur vœu barbare,
Dans ses flancs dévore tes jours ?

La loi demande une hécatombe ;
Nos vieux tyrans ont des suppôts :
L'air qui s'exhale de leur tombe,
Anime encor d'autres bourreaux ;
Ciel, quel mouvement effroyable !
Ces nouveaux géants de la fable
Veulent-ils rompre leur prison
Ou les spectres que leur génie
Avait créé durant leur vie,
Versent-ils sur nous leur poison.

Cité de sages, de guerriers,
Cache ton front dans la poussière ;
Le funeste jour qui t'éclaire
Doit mettre en cendre tes lauriers :
Où sont les amis de ta gloire ?
Où sont tes généreux appuis,
Le Soleil qui voit ta victoire
Dans ton sein ne voit qu'ennemis.

D'un peuple aveuglé sur ses droits
Les flots partout ferment les routes,
Je le vois bientôt sous les voûtes
Du Temple auguste de nos loix ;
Dans ses rangs le fer homicide
Et la mort au bras parricide
Aux brigands donnent des leçons,
Tandis que dans le sanctuaire
Aux traits sanglants de leur colère
Nos sénateurs prêtent leurs fronts.

Peuple, arrête, connais ton frein,
Contre ces murs brise ta rage,
Incline-toi devant l'image
Du véritable souverain ;
Des brigands sauve l'arche sainte ;
Quoi, scélérats ! Dans cette enceinte
Vous massacrez son défenseur…
Tombe Féraud, mais ta mémoire
Vaut mieux pour nous qu'une victoire,
Et trouvera plus d'un vengeur.

Descends du haut de l'Élysée
Ombre pure, que les regrets
D'une terre purifiée
Prennent pour toi quelques attraits :
Ta vertu, tes exploits civiques
Retentiront dans nos cantiques
Pour nous fournir une leçon ;
Des héros les ombres plaintives
Avec les échos de nos rives
Tour à tour rediront ton nom.

Vous, dont les époux vertueux
Sont tombés sous le fer du crime ;
Vous, dont l'épouse fut victime
Des forfaits les plus monstrueux,
Venez orner le mausolée
Père, mère, sœur désolée ;
Parents, amis, unissez-vous,
Du martyr que la mort vous donne
Gravez ces mots sur la couronne :
À Féraud qui est mort pour nous.

Devoir cruel, tristes pensées,
Pieux sujets de souvenirs !
Suspendez nos larmes passées,
Il nous faut plus que des soupirs :
Le sang de l'innocent s'agite
Comme une mer se précipite
Vers l'amphybie qui veut sortir ;
Hommes de sang, dans cet abîme,
Que votre nom, que votre crime
Tombent soudain pour s'engloutir.

Vous fuyez nos clartés funèbres,
Féroces enfants de la nuit ;
Vous cherchez partout des ténèbres
Devant le jour qui vous poursuit :
Votre existence sacrilège
Trouvera partout le cortège
De ceux dont vous fîtes le deuil ;
Partout le rigoureux génie
Des magistrats de la patrie
Les mettra sur votre cercueil.

Vents, balayez leur cendre impure
D'un sol rendu à l'équité ;
Livrez leur chair à la pâture
Du tigre affreux moins détesté ;
Sur les débris de ce colosse,
Pères conscrits, fermez la fosse,
Et les tombeaux qu'ils ont ouverts,
Ou pour instruire les sauvages,
Dispersés dans tous les plages,
Ceux dont frémit notre univers.

 
 

Sources

BNF, 8 Ye 5398 bis.