Élégie sur la mort du général Desaix

Auteur(s)

Année de composition

1800

Genre poétique

Description

Décasyllabes

Paratexte

Texte

Desaix n'est plus !… Faut-il que la victoire
Si cher, hélas ! Nous vende ses faveurs !
Desaix n'est plus !… Faut-il que sa mémoire
Soit le sujet des plus vives douleurs !
Le plomb fatal, dans les champs d'Italie,
De ce héros a terminé la vie ;
Et sa valeur qui l'entraîne au cercueil,
Des fiers Germains devient encor l'écueil.
À Marengo, leur aigle audacieuse
Semblait déjà planer victorieuse ;
Nos bataillons, par le nombre accablés,
Faisaient en vain des efforts redoublés :
Ils succombaient, et la fuite peut-être…
Mais les Français doivent-ils la connaître ?
À vous, Germains, ce sort est réservé ;
Tout votre espoir va vois être enlevé.
Desaix est là, Desaix encor nous reste,
Son seul aspect doit vous être funeste.
Desaix s'élance, et ses braves soldats
Avec ardeur accompagnent ses pas.
Il est bientôt au sein de la mêlée…
De l'ennemi la masse est ébranlée :
En un instant ses rangs sont dispersés ;
Et ses soldats sous nos coups renversés,
Lorsque la mort est leur seule espérance,
De leurs vainqueurs éprouvent la clémence.
Mais quels sanglots et quels lugubres cris
Ont succédé soudain au bruit des armes ?
Quelle douleur glace tous les esprits ?
Français vainqueurs, qui fait couler vos larmes ?
Desaix est mort !… De ses glorieux jours
Le sort cruel vient de trancher le cours,
Lorsqu'ils allaient briller d'un plus beau lustre.

Tu meurs, Desaix, tu meurs sans être illustre !
Et c'est, dis-tu, ton unique regret !
Quoi ! Sous tes pas quand ta tombe s'ouvrait,
Même en mourant, ta rare modestie
D'un seul instant ne s'est point démentie !
Au champ d'honneur tu descends au cercueil,
Ton trépas même augmente encor ta gloire,
Et tu péris sans connaître l'orgueil !
Non, non, Desaix, en vain tu l'as pu croire,
Que tant d'exploits, de talens, de vertus,
À l'avenir pourraient être inconnus.
Ton nom déjà n'est-il pas dans l'Histoire,
Sur le chemin de la postérité ?
Je l'apperçois en mille endroits cité,
Par-tout orné des dons de la victoire.
J'y vois le Rhin témoin de tes efforts,
De tes succès obtenus sur ses bords :
Le Nil lui-même et les déserts d'Afrique,
Les habitans de ces lointains climats
Y sont garans du courage héroïque
Et des vertus dont tu les étonnas ;
L'Égyptien que tu civilisas,
Rempli pour toi d'un souvenir durable,
Dans ses récits transmet à ses neveux,
De Sédiman le combat mémorable
Qui suffirait pour te rendre fameux.
Enfin le Pô, le Pô sur-tout atteste
Comment ta mort, aux Germains si funeste,
Surpasse encor l'éclat de tant de jours
Dont les hauts faits ont illustré le cours ;
Comment aussi les mains de la victoire,
Après t'avoir tant de fois couronné,
Ne pouvant plus porter plus haut ta gloire,
Par le trépas ont tout à coup borné
Et leurs faveurs et ta noble carrière.
En vain, des temps l'impuissante barrière
S'opposerait à ces témoins nombreux :
Ton nom, tes faits, ta gloire toute entière
Seront connus de nos derniers neveux.

Repose en paix, ombre auguste et chérie ;
Qu'aucun regret ne trouble ton repos !
S'il est un lien qu'au sortir de la vie,
Vont habiter les mânes des héros,
Avec Kléber ce séjour te rassemble.
Tous deux, hélas ! Nous vous pleurons ensemble,
Nous vous perdons tous deux en un seul jour.
Qui l'eût dit, lorsque dans cette enceinte
Qui de Kléber fut le fatal séjour,
Et de son sang nous offre encor l'empreinte,
Votre amitié vous dicta des adieux,
Pleins d'un espoir, hélas ! trop spécieux ;
Qui vous l'eût dit que d'un horrible crime
L'un de vous d'eux serait bientôt victime,
Tandis que l'autre, en changeant de climats,
Courrait lui-même au devant du trépas ?
Aurions-nous pu nous-mêmes nous attendre
Que le tombeau dût seul vous réunir,
Et qu'à la fois vous dussiez y descendre ?
Nous espérions un plus doux avenir,
Chacun de vous avait droit d'y prétendre ;
Et cependant notre espoir est trompé !
De coups mortels l'un et l'autre est frappé !
Au même instant l'un et l'autre succombe !

Consolez-vous, et du sein de la tombe,
Mânes sacrés, partagez les regrets,
L'ardent amour et la reconnaissance
Qu'à tous les deux consacrent les Français.
Une prochaine et glorieuse paix
En cet instant flatte notre espérance ;
De vos travaux elle est la récompense ;
Nous la devrons à vos brillans succès.
Ah ! Puissions-nous, avec pleine assurance,
Et pour long-temps jouir de ses bienfaits !
Libres, heureux, nous saurons à jamais
Nous rappeler que c'est là votre ouvrage,
Que votre sang en fut sur-tout le prix.
De tous les cœurs vous recevrez l'hommage.
Chacun dira : « C'est Héliopolis,
C'est Marengo, qu'illustra leur courage ;
Ce sont les lieux où sont morts ces héros ;
C'est aussi là que leurs derniers travaux
Nous ont laissé la paix pour héritage.

 
 

Sources

Courier de l'Égypte, n° 89, 30 brumaire an IX, p. 3-4.